"Entre le 60 de la Rue de Belfort où je suis né et
la crèche voisine, il y avait le haras. Les étalons venus du Pin y
passaient quelques mois de l'année, c'était la belle saison. Dans la
cour, les juments de Géricault bâillaient à
l'anneau. Quand, les jours de marché, arrivaient les carrioles, c'était
le bordel. Nous allions à l'école. Certains après-midis, les percherons
gris, l'étalon noir, l'élégant pur-sang de feu, peignés, lustrés,
partaient en ballade avec les palefreniers. Nous allions à l'école,
courant le nez bouché devant l'équarrisseur près du Plancaïon ; les
étalons aussi renâclaient et franchissaient le pont après quelques
ruades. Entre les sirènes qui ponctuaient ouverture et fermeture des
usines, nous allions à l'école... Une seule fois, triste journée vide,
resté à la maison pour y soigner une toux "coqueluchoïdale", j'ai bu du
lait de jument. Le lendemain, j'allais à l'école.
Je n'ai dessiné des chevaux, et toujours
de mémoire, que bien plus tard, ceux de l'Apocalypse d'abord. Et une
fois "sur nature" un cheval pétrifié qui pleurait sous la pluie,
d'autres en guerre. J'ai découvert les plus émouvants dans les musées.
Mes chevaux de Flers sont encore un long poème, litanie de silences et
d'émotions : Ucello, cheval au nom d'oiseau ; au théâtre le 'Cheval
fou' de Giono et les trois chevaux blancs du 'Songe d'une nuit d'été',
le mors aux dents."
Jean Peschard, le 5 octobre 2001
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