Litterature header des traductions du grec


Sophocle

        EURIPIDE
Le Cyclope.................La Raison du plus faible
Alceste........................La Mort en ce Palais
Médée.........................Une Femme humiliée
Les Héraclides............Sans merci 
Hippolyte....................Les Malheurs de la Vertu
Andromaque...............La fillette à son papa
Hécube........................Cruautés publiques...
Héraclès......................Divines interférences
Les Suppliantes...........Le fossoyeur patriote
Ion................................L'enfant du miracle
Iphigénie en Tauride....La rectification
Electre.........................Un jeune homme providentiel
Les Troyennes.............Malheur aux vaincues
Hélène.........................La belle que revoilà
Les Phéniciennes........La mort en héritage
Oreste.........................Emportés par la foule
Les Bacchantes...........La fête à Dionysos
Iphigénie à Aulis.........La précaution inutile

RETOUR AU SOMMAIRE GÉNÉRAL
 
La fillette
à son papa



en pdf (80k) ici
Hermione et ses bijoux
Les bijoux d'Hermione
Dans cet écrit, il est fait référence à la nouvelle traduction d'Andromaque d'Euripide par Fred Bibel.

   Claudie Férente est arrivée en même temps que Fred Caulan, ce qui lui permet de participer à la conversation. La comparaison entre l’Andromaque d’Euripide et celle de Racine met en joie la femme du maraîcher. La façon dont le dernier récupère Astyanax, en principe précipité du haut des remparts de Troie sous les yeux de sa mère, a de quoi combler les hellénistes. Ça permet un émouvant tétramètre :  Le seul bien qui me reste et d’Hector et de Troie , et donne un Pyrrhus (autrement dit un rouquin, surnom de Néoptolème) qui veut se faire aimer d’Andromaque plutôt que d’imposer ses droits de maître, et de mettre. L’idée d’un homme qui utilise un enfant pour faire pression sur la mère devait émouvoir le public féminin, souvent marié à un époux trop exigeant choisi par ses parents. Les personnes du sexe ont conquis de haute lutte le droit de choisir leur bourreau. Claudie Férante a joué la première version, où l’auteur, encore acide, dévoile la fascination de l’héroïne pour la brute — elle ne l’avoue que quand elle en est débarrassée — l’intuition du syndrome de Stockholm sur lequel certains pédants sont intarissables. Si ça excite un Roland Barthes (le transparent sémiologue, amateur d’écriture blanche) cela provoque un certain émoi chez les précieuses qui ont adoré Alexandre le Grand tout gluant d’amour galant. D’où le pourpoint tourné en catastrophe, et la deuxième mouture qui arrive si vite qu’on peut la croire déjà prête en cas. Rien n’interdit d’essayer. Ni de renoncer. Quelques éclairs dans Britannicus et surtout Bajazet, sinon une dégelée de jolis vers qu’on se répète à l’envi. La Thébaïde promettait autre chose. Le moins que l’on puisse dire d’Euripide, c’est qu’il ne caresse pas son public dans le sens du poil, et qu’il ne déteste pas ça, le public. Ce ne sont pas des gens de cour.

    On mangera le cassoulet originel d’avant les agneaux andalous, et les haricots d’Amérique. Du lard et de la poitrine salée pour obtenir un fond de graisse, un bon seau de fèves. Les livres de cuisine parlent de fèves au lard. Les béotiens ! Elles seront crues pour l’apéritif, les amateurs enlèveront le germe, les délicats la peau. Ça se mange à la croque au sel. On finira par un gâteau de carottes, agrémenté de raisins secs, de poudre d’amandes, de noix concassées. Les carottes ont été râpées au préalable. En fait, tout a été préparé la veille,il n’y a plus qu’à réchauffer.

   On essuie le sonnet du maître des lieux :
 
     Elle est  sublime, elle est captive, elle est putain
     Elle est de plus aimée des femmes de Trézène
     Elle a perdu Hector qui mérita la haine
     De quelques éplorées consumées de chagrin

     L’autre bréhaigne amère et trop sèche des reins
     N’a rien qui puisse rappeler sa mère Hélène
     Les yeux étincelants à fleur de peau les veines
     Font comme un filet bleu elle n’a pas de seins

     Andromaque a donné un fils à Néoptolème
     L’enfant d’Achille est roux il a ses habitudes
     L’esclave et son petit ô douce solitude
     La pucelle enragée n’offre que des problèmes
     Vient un promis déçu qui tuera le mari
     Pour faire le bonheur de l’immonde chipie
 
   Fred Caulan fait la moue. Petit cru juge-t-il. Mais il est courtois.
   – Si le poète a voulu être prosaïque, il a parfaitement réussi. La synérèse de Néoptolème ne flatte guère l’oreille : néo devient naturellement nyo. C’est au demeurant trop parler de l’absent. S’il y a des problèmes, c’est parce qu’il n’est pas là. Sinon, cette petite garce d’Hermione n’essaierait pas d’égorger Andromaque et son fils. Ménélas, son père, est prêt à la soutenir dans cette vilaine entreprise. S’il n’y avait eu l’intervention de Pélée… Cela dit, la description des deux femmes semble assez fidèle.

   Le maraîcher inflige un autre sonnet aux amateurs déjà sonnés :
 
     Elle aimerait griffer et mordre elle est princesse
     Elle aimerait qu’on l’aime et ne fait rien pour ça
     Si elle tue c’est pour calmer les cancrelats
     Qui rongent son cortex il faut que cela cesse

     Elle appelle aigrement le désir les caresses
     Son père a commandé les Grecs au pied de Troie
     Comme l’a fait son oncle on écoutait leur voix
     La captive s’en rit c’est une enchanteresse

     Si son mari la fuit c’est sûrement sa faute
     Il faut que l’autre meure ainsi que son enfant
     Pour enfin respirer un air trop étouffant
     Ce à quoi elle aspire il faut qu’on le lui ôte
     Le vieux Pélée fait fuir un hôte indélicat
     On tue son petit fils par crainte d’un éclat
 
   Fred Caulan juge que le troisième et le quatrième vers du sizain sont autant de chevilles. Mais on sent bien ce que ressent Hermione.
   La femme du maraîcher croit avoir trouvé une façon amusante d’aborder le sujet.
   – Patrocle avait revêtu les armes d’Achille; celles-ci ont été récupérées par Hector. De rage, le héros aux pieds légers décide de sortir de sa tente, et sa mère, Thétis aux pieds d’argent promet de lui ramener avant l’aube un équipement complet, forgé par Héphaistos, dont un bouclier aux motifs si riches qu’il faut bien à Homère cent trente vers pour les décrire. Les dieux n’ont rien à lui refuser. Ils l’ont obligée, en vertu d’un oracle prédisant qu’elle aurait un enfant plus fort que son père, à épouser Pélée, un mortel. qui n’avait eu que le tort de s’être débarrassé d’un demi-frère trop brillant. Son frère et lui avaient tiré au sort pour savoir qui expédierait le bel indésirable. Le dit sort lui avait épargné le soin de fracasser avec un disque la tête de l’importun. Ce sont là peccadilles de jeunesse, mais l’on se ferait bannir à moins. C’est ainsi qu’il a débarqué à Phtie, épousé la princesse locale, avant de tuer accidentellement, en traquant un sanglier, le roi qui avait eu le temps de le purifier du meurtre du demi-frère. Il échoue à Iolcos où la femme du roi s’éprend de lui (encore Joseph et l’épouse de Putiphar). Après un râteau bien mérité, la royale radasse se venge en envoyant une lettre à la moitié de Pélée qui se pend. De telles mésaventures, il y en aura d’autres, plus honorables, ne l’empêchent pas d’épouser Thétis, la fille de Nérée, qui n’a pas fini de faire payer aux Olympiens cette couleuvre. Catulle parle joliment de leurs noces. Comme le monde est petit, Néoptolème, le fils d’Achille, récupère Andromaque, la veuve d’Hector. Rien n’interdit de faire un enfant à une prise de guerre. Comme il a rendu de grands services, en amenant à Troie Philoctète et son arc, et en rasant la ville, il gagne le droit d’épouser la fille de Ménélas et d’Hélène, sans qui la guerre de Troie n’aurait pas eu lieu. À cheval donné l’on ne regarde pas les dents. Celles-ci sont gâtées. Belle alliance : la mère de la gamine, quoi qu’elle ait fait, est fille de Zeus et de Léda sans doute (Tyndare tenait le chandelle) le père est de la calamiteuse race des Atrides, il a dirigé, avec son frère, le corps expéditionnaire. Agamemnon a été jusqu’à sacrifier Iphigénie (son aînée) pour que sa flotte pût quitter Aulis. De la mauvaise graine. Hermione est aigrie comme on ne devrait pas l’être à son âge, elle n’arrive pas à avoir des enfants. C’est pourquoi elle compte profiter de l’absence de son époux pour tuer Andromaque et son fils. Ménélas vient  l’aider à mener à bien une aussi noble tâche. Heureusement que le vieux Pélée met en fuite l’immonde en le menaçant de son bâton, et délivre les condamnés. Hermione préfère quitter les lieux, mais  engage Oreste qui a déjà trucidé sa mère ainsi qu’Égisthe à s’en aller tuer son époux à Delphes, ce qui lui épargnera quelques représailles.
   L’argument est tellement rude que Nicolas Siffe en oublie les glorieux bâtards que l’on croise dans les textes qu’il a étudiés.
   – Ça fait cinq ans, au moins, si l’on essaie d’être rigoureux — l’enfant est déjà assez grand pour se lancer dans un duo lyrique avec sa mère — qu’Hermione essaie d’avoir un enfant. Elle ne dirait pas qu’elle a le ventre desséché par les maléfices d’Andromaque, s’il n’y avait eu des tentatives, qui ont dû s’espacer. Un homme ne se couche pas avec une femme pour entendre ses récriminations.
   – D’où les conseils avisés de la veuve d’Hector, dit Isabelle Higère. Son héroïque époux semait des bâtards auxquels elle donnait le sein. Cela me semble à peine crédible : les mères des dits bâtards devaient manquer de lait. À moins qu’on les leur ait confisqué, pour les avoir sous la main, et les élever… Et moi qui m’étais attendrie quand je lisais les adieux d’Hector à Andromaque… Si mes souvenirs sont exacts, épouvanté par l’attirail en bronze dont son père était bardé, l’enfant s’est jeté sur le sein de sa belle nourrice. Il est vrai qu’après avoir bercé le gamin, il le repose délicatement sur celui, parfumé, de sa femme. Quid de la nourrice ? Était-ce donc sa femme ? Cela dit, l’épouse de ce guerrier n’assure pas que son repos, elle veille à son confort et à l’éducation de ses bâtards. Je n’exclus pas un geste amical de la légitime. Quand Andromaque fait la leçon à Hermione, je frémis. De telles complaisances me donnent la nausée.
   L’épouse du maraîcher était trop occupée à des considérations d’ordre mythologique, qu’elle n’a pu présenter la pièce. Lucie Biline se dévoue.
   – Prévoyant qu’Hermione, la femme légitime de Néoptolème, va essayer de la tuer, Andromaque se réfugie au pied de la statue de Thétis, la mère d’Achille. Elle a envoyé son enfant chez des amis, où elle le croit en sûreté. Quand Hermione entre en scène, elle est cuirassée de bijoux, ce qui ne prouve que la richesse de son père, qui a pu se fendre d’une aussi belle dot. Elle est à Phtie, pas à Argos, ce que semble oublier Ménélas. Il est beau, le père noble, le cocu magnifique qui a causé la mort de tant de héros au pied de Troie ! Il réussit à dénicher le gamin et menace de l’égorger si Andromaque ne s’éloigne de la statue de Thétis, et dit ensuite qu’il va lui faire trancher quand même la jugulaire, parce que sa fille n’a rien promis. Que Pélée, un vieillard, vienne le menacer avec son bâton, il décampe en disant qu’il a une ville à prendre, et reviendra en force. Des menaces de bravache. Il plante là sa fille, tout simplement. Il était plus gaillard quand il défendait le cadavre de Patrocle. Hermione a quand même assez d’esprit pour imaginer la réaction de son époux. Il y a de quoi concevoir de l’humeur. Heureusement qu’arrive un autre Atride. Oreste qui vient de tuer sa mère. Hermione lui a jadis été promise. Quand l’on sait ce que vaut la parole de Ménélas… Bref, pour complaire à son ancienne fiancée, il expédiera l’époux à Delphes. N’étant plus la femme du mort, elle n’est plus rien à Phtie. Thétis se montre à le fin pour annoncer que Pélée sera immortel, et pourra voir son fils, également immortel.
   – Il serait intéressant d’étudier de plus près les prétentions d’Hermione, dit Marie Verbch. Elle est la maîtresse d’une maison que son époux a hérité de son père, et de son aïeul,, Achille qui a tué Hector, le pire fléau de l’armée grecque, et Pélée qui a épousé une immortelle. Elle entend égorger la concubine du héros sans qui Troie n’aurait pu être prise, et le petit-fils du guerrier le plus vaillant de l’armée grecque, mort parce que le roi de Sparte était incapable de surveiller sa femme. Et il est là, Ménélas, le triste sire, pour aider sa fille à commettre ce double crime, sous prétexte qu’entre alliés, ce qui est à toi est à moi, et ce qui est à moi est à toi. À ce compte, il pourrait tout détruire dans le palais, voire y mettre le feu. Je ne serais pas aussi sévère que vous, quand il quitte la place parce que Pélée le menace. Cela reviendrait à tuer l’époux de Thétis, qui a son autel et sa statue à Phtie. Mais va-t-en empêcher cette petite peste de faire assassiner son époux par Oreste, lequel laisse aux gens de Delphes le soin de lyncher le héros. Néoptolème montre ce qu’il vaut en tuant quelques assaillants avant de mettre les autres en fuite. Ce devait être impressionnant quand Néoptolème a bondi sur la meute. Euripide parle du saut d’Achille. Plus de treize mètres. Hermione ne voit plus qu’une chose, Andromaque a un fils, alors qu’elle n’a pas d’enfants. La captive aurait fait de son ventre un champ où rien ne pousse, et poussé son époux à déserter le lit conjugal. Il faut voir ce qu’il y avait, dans le lit conjugal. Je ne saurais que déformer un vers de Molière :   Que ne vous êtes vous comme elle fait aimer, je ne vous en ai pas empêchée que je sache.  Que dit-elle d’autre, la captive ? Même si les recettes qu’elle propose ne sont pas de mon goût. Ne relève-t-elle pas des petite-maisons, cette petite ?
   Fou rire de Luc Taireux.
   – S’il fallait interner les emmerdeurs des deux sexes, on ne saurait plus où mettre nos malades. La première chose que chacun fait quand il se sent mal, c’est de chercher un responsable de son état. Les gens que l’on côtoie représentent un filon inépuisable. Si Hermione n’a pas d’enfant, ce n’est pas la faute de celle qui en a un. Fût-il de son époux. Elle se croit victime d’un maléfice, elle affirme que sa rivale est une sorcière. Que celui ou celle qui n’a jamais entendu une femme plantée là par son mari soutenir qu’on a dû lui jeter un sort lève la main. Idem pour les coquins des épouses qui s’en vont. Un reste de l’époque bénie où l’on faisait de temps en temps brûler une sorcière. Ce qui est intéressant, ce sont les proportions qu’arrive à prendre la jalousie. Surtout quand la personne jalouse est issue d’une grande famille. Oreste présente un cas aussi étrange. Malgré les Érinyes lancées à ses trousses, il est encore contrarié d’avoir été supplanté par Néoptolème. Il oublie que c’est un mauvais coup de Ménélas. Les envieux se trompent en général de cible. Comment voulez-vous que cette petite enragée comprenne  qu’on n’est pas tenté de mignoter une mégère.
   – Les vilaines spirales, dit Fred Caulan, exercent une étrange fascination. L’expression «évite de… » c’est comme une cape rouge pour un taureau. Hermione ne réfléchit pas aux suites. Il n’est pas conseillé, en l’absence de son mari, de tuer sa concubine, et son fils. N’ayant personne sur place pour lui donner un coup de main, elle fait venir son père et ses esclaves. Je relève la sublime ânerie d’Andromaque : quels amis sont plus à même de protéger son fils que Thétis, une déesse, sa bisaïeule de surcroît. Hermione vient, cuirassée de ses bijoux, invectiver la veuve d’Hector sans imaginer qu’on puisse réfuter tous ses arguments : la captive couche avec le fils du meurtrier de son mari ? Hélène était libre quand elle a quitté le domicile conjugal avec Pâris, on connaît la suite. Quant à Ménélas… pas une seconde, il ne réfléchit à ce qu’elle lui demande, sa fille, tuer la maîtresse chérie de son gendre, et le fils qu’elle lui a donné, le petit-fils d’Achille, l’arrière-petit-fils de la déesse dont il peut voir la statue, et cela dans un palais qui n’est pas le sien. Il est vrai   qu’Hermione est irréprochable, comme nos mannequins sont anorexiques, elle ne veut pas ressembler à sa mère. Se rend-il compte, Ménélas qu’il aide sa fille à se mettre dans le plus mauvais cas qu’on puisse imaginer. C’est le cortège des aveugles chez Brueghel. De deux solutions, on choisit régulièrement la pire. Euripide étale sous nos yeux tout un fond d’impuissance, de désirs qui tournent vite à l’obsession, de rage. Eschyle soulignait notre démesure naturelle, et Sophocle la misère de l’animal social, Euripide nous plonge le nez dans nos sentines et notre goût sans doute pervers pour les abîmes.


***

texte et dessin René Biberfeld - 2015

Retour au Sommaire général

Ces oeuvres sont mises à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France.  - JH Robert Ouvroir Hermétique