Dans cet écrit, il est fait référence à la nouvelle traduction d'
Oreste d'Euripide par Fred Bibel.
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Le maraîcher n’a eu aucun mal à lire les tragiques en
grec. Sa mémoire lui promettait un autre avenir. Il a préféré le sien.
Chez lui, on fête le solstice d’hiver, sans s’inquiéter d’une nativité
dont la date a été fixée a posteriori, ni de Jules, ni de Grégoire. Il
soupe en famille, chez ses parents, comme l’ensemble des frères et des
sœurs, et les marmots, les siens compris, avec sa dame, aux fêtes
ordinaires. Il suit, sinon, le calendrier républicain qui ne tient
compte que des saisons. Frimaire (il n’a pas fait très froid) cède la
place à nivôse (il va peut-être neiger). Un volailler lui a offert deux
canettes, un peu trop pour cinq personnes, mère-grand comprise, qui
n’aime pas le gras. Ça fait beaucoup. Ce sont les philosophes du
potager qui en profiteront. Des mendiants pour la farce, fruits secs
pour recueillir le jus, beaucoup d’oignons, quelques carottes et peu de
pruneaux afin d’avoir une conversation suivie. Une salade pour
commencer, puis un mélange d’ananas, de mangue et de banane, avant le
plat de résistance. Pas besoin de dessert. Juste du café du Guatemala,
moulu à la demande, du thé de l’Himalaya, ou une tisane.
Rares péripéties dans l’Oreste, le héros se contente de
subir. Il va être lapidé par la foule, avec sa sœur ; après un vote
dont on connaît le résultat. Il attend que Ménélas intervienne —
l’oncle se défile, pour ne pas contrarier son beau-père — se prépare à
mourir, jusqu’à l’inter-vention de Pylade qui lui suggère de tuer
Hélène, l’épouse du lâcheur ; Électre s’avise alors que sa fille ferait
une bonne monnaie d’échange. Les dieux subtilisent Hélène à ses
assassins, Apollon arrive lui-même à point pour sauver Hermione,
apaiser la rage de Ménélas, et redistribuer les rôles.
L’épouse du maraîcher soumet à Fred Caulan le dernier sonnet de son mari :
Le cadavre tout frais de Clytemnestre attend
Qu’on lui prodigue enfin les attentions d’usage
Et le peuple d’Argos pris d’une étranger rage
Veut lapider ses deux enfants en même temps
Un prince une princesse on passe un bon moment
Ménélas pourrait faire pencher les suffrages
Mais Tyndare survient il change de langage
Montrant qu’il est une outre ouverte à tous les vents
Il n’y a plus alors qu’à tuer sa catin
Qui trouve le moyen de s’éclipser en douce
Tandis qu’Hermione arrive et vient à la rescousse
Distrayant les furieux qui sont déjà en train
Cela fera quand même un excellent otage
Apollon apparaît on goûte le trucage.
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— Malherbe conseillait le langage bas des harengères polies, dit Fred Caulan, on ne saurait faire mieux.
La femme du maraîcher présente Oreste comme une suite
logique d’Électre. Les Dioscures ont bien précisé que les citoyens
d’Argos se chargeront du cadavre d’Égisthe, Hélène et Ménélas de
celui de Clytemnestre. Entre-temps les partisans des deux morts ont
excité la foule contre les meurtriers qui seront lapidés après un
procès vite expédié. Ménélas ne doit pas trouver bon que l’on traite
ainsi son neveu et sa nièce qui n’ont fait que venger leur père. Il les
défend du bout des lèvres devant le père de la défunte, mais se ravise
quand celui-ci le menace de le faire tricard à Sparte si justice n’est
pas faite. D’où les réactions des condamnés à qui Pylade, l’ami fidèle,
redonne du cœur au ventre. Le cœur au ventre cela revient à tuer
Hélène, que Ménélas comprenne, et de prendre Hermione en otage. Apollon
apparaît avant que l’on sache si le pleutre consent à sacrifier sa
fille pour garder le pouvoir à Sparte.
Isabelle Higère émet l’idée qu’Oreste est la tête à
claques de toute cette histoire. Ses sœurs prennent les choses en
mains, l’une en Tauride, l’autre à Argos, Pylade étant là pour pousser
son ami au cul. Ménélas annonce Falstaff : prêt, ailleurs, à tuer
une esclave et son enfant, il fait très bien le mort en Égypte. Dès
qu’on parle un peu fort, il se dégonfle, et ne voit pas pourquoi l’on
veut tuer Hélène et trancher le gorge à sa fille… Grande gueule et
pauvre type. Et la façon dont on passe, à la fin, du sanglant pathos à
Labiche… Tout le monde se congratule, Embrassons-nous Folleville.
Un ange passe… qu’y-a-t-il à dire après ça ?
Que le frère et la sœur sont de vrais putois, à en croire
Nicolas Siffe. Ils ont déjà tiré partie du sens de l’hospitalité
d’Égisthe et des attentions de Clytemnestre, pour les tuer tous les
deux. Hélène qui demande de leurs nouvelles, est assez confiante pour
demander à Électre de se charger, à sa place, des libations sur le
tombeau de sa tante, vu qu’elle pourrait se faire malmener par
des endeuillés. Si elle n’avait pas été prête à intercéder en faveur
des condamnés, jamais ils n’auraient pu s’approcher d’elle. Ces petits
salopards sont prêts à tuer quatre personnes en deux jours. Pour éviter
le massacre, Apollon subtilise Hélène à ses assassins, puis intervient
avant qu’Hermione se fasse égorger devant son père qui campe sur ses
position. Faute d’être courageux, il sera têtu.
Claudie Férante est choquée par la façon dont Électre encourage son frère et Pylade à égorger Hélène : Crevez-la, tuez-la…allez-y à fond… Une
vraie mégère… On pleurniche quand on va mourir, puis on excite les
autres à tuer. Dans la pièce qui porte son nom, il lui fallait tenir la
main de son frère au moment fatal. Il est de plus nobles colères : Voir le dernier Romain à son dernier soupir, Moi seule en être cause et mourir de plaisir …
Il ne s’agit là que de trancher la gorge à une tante qui ne lui a rien
fait, ainsi qu’à une cousine qui n’en peut mais pour désespérer un
oncle qui ne veut rien céder.
Elle s’arrête… comme si elle voulait regrettait de s’être
montrée aussi catégorique. Elle reprend, son Budé à la main :
— Il faut quand même tenir compte de l’état des condamnés. L’on
voit, au début, Électre au chevet d’Oreste enfin endormi. Quand Hélène
arrive pour lui demander de se rendre à sa place au tombeau de
Clytemestre, Électre la prie d’y envoyer plutôt Hermione, elle ne peut
abandonner son frère qui a une mine à faire peur. Oreste se réveille au
vers 211, il faut l’essuyer, le redresser, jusqu’au vers 240 où il
apprend l’arrivée de Ménélas… Euripide croit utile de montrer un de ses
accès de folie — cela fait partie du cahier des charges — on abandonne
Oreste assis sur son grabat improvisé — la planche de salut,
soigneusement savonnée, fait son entrée au vers 356, que la fête
commence — Tout ce qu’Oreste trouve, c’est d’accepter de se
donner la mort, comme sa sœur, avant la nuit tombée. Le sursaut
providentiel, grâce à l’intervention de Pylade, les met dans un état
second, proche de l’allégresse, plus ils feront de dégâts, plus ils
seront contents. Cerise sur le gâteau, la fille du lâcheur qu’on peut
égorger sous ses yeux. On comprend mal l’absurde entêtement de Ménélas,
si l’on ne voit pas qu’il est lui-même dans un état second. Apollon
arrive comme un infirmier qui n’a pas besoin de mettre des bigoudis à
ses patients. Pour égayer le public, Oreste et Électre qui tournent en
rond, Pylade qui doit longtemps expliquer, le Phrygien qui ne veut pas
mourir, et parle comme un Sganarelle,. Quand tout s’arrange, on est
prêt à avaler toutes les couleuvres. Il voulait l’égorger, je lui donne
sa main, ils sont du même monde. Il ne manque que la musique
d’Offenbach.
C’est plaisant de voir l’actrice de jadis réfuter ses
propres arguments. Au moins se souvient-elle de ses expériences.
Marie Verbch rappelle que la pièce a fait un tabac, et que
les romains la portaient aux nues. Quelques modernes la jugent faible,
et s’étonnent. Elle ajoute que l’on ne peut traduire exactement les
considérations sur les guerres que les dieux bricolent afin de
pratiquer des coupes claires sur la population. Euripide parle de trop
plein inépuisable, et emploie le terme hybrisma, dérivé de l’hybris
pour exprimer la violence que les hommes infligent à la terre. On en
voit les résultats. Les guerres font de nos jours assez de dégâts sur
notre écosystème, il est difficile de les considérer comme une solution.
Luc Taireux est troublé par un autre détail. En
général, on se trouve des circonstances atténuantes après un crime.
Oreste, Électre et Pylade les trouvent pendant.
Ce qui intéresse Fred Caulan, c’est l’effet d’une foule
hors champ sur les personnages. Ménélas n’ose l’affronter, Tyndare lui
fournit un bon prétexte. Pour la populace, il faut en finir avec les
Atrides. Clytemnestre a donné le coup d’envoi en expédiant son mari,
Oreste, sur la lancée, tue sa mère et le coquin d’icelle. Électre a
voulu en être, elle a harcelé son frère, normal qu’elle lui tienne la
main. Pas besoin d’invoquer les fidèles d’Égisthe, et le frère de
Palamède. Ménélas pourrait tout arranger, il est trop veule et devient
un autre bouc émissaire pour son neveu, sa nièce et Pylade, qui ne
trouvent rien d’autre que de s’en prendre à sa femme et à sa fille. Un
micro-tourbillon dans un grand tourbillon. Ménélas ne peut que laisser
égorger Hermione, il ne contrôle plus rien. Les divinités sont faites
pour apaiser ces tempêtes. Le deus ex machina
ira dire à la foule que c’est lui, le responsable. Essayez donc de vous
en prendre à Apollon… Les dieux ramenaient l’embellie. Les monothéistes
sèment le vent et récoltent la tempête.
L’on salue en silence cet hommage à un penseur récemment disparu.
Texte et dessin René Biberfeld - 2016
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