LE SPECTRE DE POLYDORE
Me voici là, j'ai quitté le refuge des morts, les portes des
Ténèbres, où s'est installé Hadès, à l'écart des dieux,
Moi, Polydore. Je suis le fils d'Hécube, la fille de Cissée,
Et de Priam, mon père qui, lorsque, sur la ville des Phrygiens,
Planait le danger de tomber sous les coups de la lance grecque,
Craignant pour moi, m'a expédié loin du sol de Troie,
Chez Polymestor, son hôte thrace,
Qui cultive la magnifique plaine de la
Chersonèse, et dirige, avec sa lance, un peuple de cavaliers.
Mon père a envoyé, en même temps que moi, beaucoup d'or
En cachette, afin, si les remparts de Troie tombaient,
D'épargner l'indigence à ses fils encore vivants.
J'étais le plus jeune des Priamides, c'est pourquoi il m'a
Fait partir à l'insu de tous ; je ne pouvais porter d'armure,
Ni de pique, mon bras était trop jeune.
Tant que nos frontières sont restées les mêmes,
Que les murs défendant le sol de Troie sont demeurés intacts,
Que mon frère Hector triomphait dans ses combats,
L'hôte de mon père en usait comme il faut avec moi,
Je grandissais comme une jeune pousse, pauvre de moi ;
Quand Troie périt et qu'Hector rendit
L'âme, que le foyer de mon père fut complètement détruit,
Et que lui-même est tombé, près de l'autel bâti par les dieux,
Assassiné par le fils d'Achille, qui l'a égorgé.
Il m'a tué, c'est bien ma chance ! pour mon or,
L'hôte de mon père, et après m'avoir tué, il m'a abandonné
À la vague marine, pour garder cet or dans son palais.
Me voici, qui repose, sur la grève, ou au creux des vagues,
Entraîné au gré des courants, privé
De larmes et de sépulture ; je flotte maintenant au-dessus
De ma mère chérie, d'Hécube, j'ai quitté mon corps,
Voici deux jours que je reste suspendu en l'air,
Depuis que ma pauvre mère, partie de Troie,
Se trouve ici, sur cette terre de Chersonèse.
Tous les Achéens, avec leurs navires, sont
Assis, immobiles sur ce rivage de Thrace.
En apparaissant au-dessus de ce tombeau, le fils de Pélée,
Achille, a retenu toute l'armée des Grecs
Alors qu'elle regagnait ses foyers, à pleines rames.
Il réclame ma sœur Polyxène, ce sera une
Victime agréable à son tombeau, un hommage qu'on lui doit.
Il va l'obtenir, ses amis ne lui refuseront pas
Cette offrande. L'arrêt du destin exige
Que ma sœur meure ce jour-même.
Ma mère va voir les deux cadavres de
Ses deux enfants, le mien et celui de ma pauvre sœur.
Je vais apparaître, pour trouver un tombeau, moi, l'infortuné,
Déposé par une vague aux pieds d'une esclave.
J'ai obtenu, grâce à mes prières à ceux qui règnent sous terre,
Une sépulture, et de me retrouver dans les bras de ma mère. 50
Tout ce que je désirais, va m'être
Accordé. Je vais céder le pas à la vieille
Hécube ; elle sort de la tente
D'Agamemnon, effrayée par mon spectre.
Oh,
Ma mère qui as quitté notre demeure royale, pour voir
Le jour qui a fait de toi une esclave, comme te voilà misérable,
Autant que tu étais heureuse ! Sur sa balance, un dieu
T'accable pour compenser ton bonheur passé.
HÉCUBE
Conduisez, mes petites, la vieille femme devant cette demeure,
Conduisez, soutenez celle qui partage votre servitude,
Troyennes, et fut naguère votre reine ;
Prenez-moi, tenez-moi, accompagnez-moi, redressez-moi,
Serrez bien mon vieux bras ;
Moi, en m'appuyant avec ma
Main à mon bâton sinueux
Je presserai mon pas lent
En avançant mes membres.
Ô lumière éclatante de Zeus, ô nuit sombre,
Pourquoi me lever ainsi dans les ténèbres,
Épouvantée par des fantômes ? Ô terre auguste,
Mère des songes aux ailes noires,
J'essaie de chasser cette vision nocturne
De mon fils ici, à l'abri, en Thrace
Et Polyxène, ma fille chérie, je les ai
(Vus) en rêve, effrayante révélation,
Ô dieux souterrains, sauvez mon fils,
La seule ancre qui me reste de ma maison,
Qui vit dans la Thrace neigeuse
Sous la garde de l'hôte de son père.
Quelque chose va se passer !
Un chant lamentable montera de nos lèvres lamentables ;
Jamais mon cœur ne frissonne, ne tremble
Ainsi sans cesse.
Où pourrai-je distinguer l'âme divine
D'Hélénos et celle de Cassandre, Troyennes,
Qu'ils m'expliquent ces songes ?
Car j'ai vu une biche sous la griffe sanglante d'un loup,
Égorgée, arrachée à mes genoux, sans pitié.
Il y a autre chose qui m'effraie : au sommet du tertre
Où se trouve son tombeau,
Le fantôme d'Achille est apparu ; il demande une part
Des Troyennes tellement éprouvées.
Épargnez à ma fille, à ma fille, ce sort
Divinités, je vous en supplie.
LE CORYPHÉE
Je me suis vite éclipsée, Hécube, pour te voir,
J'ai quitté les tentes des maîtres
Qui m'ont été assignés, chez qui
100
Je dois être esclave, chassée de la cité
D'Ilion, à la pointe de la lance,
Conquise par les Achéens,
Ce n'est pas pour alléger tes peines,
Mais chargée d'une lourde et terrible nouvelle,
Je t'annonce, femme, des douleurs.
Dans l'assemblée plénière des Achéens,
Il a été, à ce qu'on dit, décidé de sacrifier
Ta fille à Achille ; tu sais comment il est apparu,
Debout sur son tombeau, avec ses armes d'or,
Il a retenu les navires qui traversent les mers,
Alors que les voiles tiraient les écoutes,
En criant :
"Où vous en allez-vous, Danaens, sans
Honorer mon tombeau ?"
L'on vit se lever les vagues d'une terrible querelle,
Deux partis s'opposèrent dans l'armée
Des Grecs en armes, les uns tenaient à sacrifier
Une victime au tombeau, les autres s'y refusaient.
Agamemnon mettait toute son ardeur
À te défendre pour se ménager
La couche de la Bacchante
Prophétique ;
Les deux fils de Thésée, surgeons d'Athènes,
Ont défendu, dans leurs discours,
Tombant d'accord, le même avis,
Il fallait couronner la tombe d'Achille
D'un jeune sang, ils ne consentiraient pas
À faire passer le lit de Cassandre
Avant la lance d'Achille.
Les deux propositions étaient soutenues
Avec la même ardeur, jusqu'à ce que le parleur
Matois, aux discours variés, capable de séduire les foules,
Le fils de Laërte engage l'armée
À ne pas s'opposer au meilleur de tous
Les Danaens, pour des esclaves à sacrifier,
Qu'aucun défunt n'aille dire
Devant Perséphone que,
Sans manifester de reconnaissance pour les Danaens
Morts au service des Grecs, des Danaens ont quitté
Les plaines de Troie.
Ulysse ne va pas tarder à venir
Arracher de ton sein, et enlever
À tes vieilles mains cette pouliche.
Va donc aux temples, va aux autels,
Assieds-toi, suppliante, aux genoux d'Agamemnon,
Invoque à grands cris les dieux du ciel
Et ceux des enfers.
150
Ou bien tes prières empêcheront
Que l'on t'enlève cette malheureuse enfant,
Ou il te faudra la voir tomber, devant ce tombeau,
Toute jeune, baignant dans le sang
De sa gorge
Parée d'or s'écoulant en flots noirs et luisants.
HÉCUBE
Ah ! Pauvre de moi ! Quel argument puis-je avancer ?
Quel cri, quelle plainte lâcher,
Misérable, misérablement vieille,
Dans cette intolérable,
Cette insupportable servitude ? Hélas !
Qui va me protéger ? Quels enfants,
Quelle Cité ? C'en est fait du vieil homme,
C'en est fait des fils.
Quel chemin prendre, celui-ci,
Celui-là ? Où réside mon salut ? Où trouver
Un dieu ou une divinité qui vienne à mon aide ?
Ô sources de terribles,
Troyennes, ô sources de terribles
Souffrances, vous m'avez perdue, perdue ; je n'ai plus aucun
Plaisir à vivre, sous cette lumière.
Mon pauvre pied, ramène-moi,
Ramène la vieille
Sous cette tente. Ô mon enfant, ô fille
De la plus éprouvée (des mères), sors, sors
De ta demeure, écoute la voix de ta mère
(Mon enfant, tu sauras ce que, ce que
J'ai entendu sur ta vie).
POLYXÈNE
Ah !
Ma mère, ma mère, pourquoi cries-tu ? Que
M'annonces-tu pour me faire sortir, tremblante,
De la maison, comme un oiseau, saisie d'effroi ?
HÉCUBE
Ah, mon enfant.
POLYXÈNE
Pourquoi me parler de malheur ? Triste prélude !
HÉCUBE
Ah ! Quelle vie que la tienne !
POLYXÈNE
Explique-toi, cesse-là tes énigmes !
J'ai peur, ma mère, j'ai peur,
Pourquoi ces lamentations ?
HÉCUBE
(Ô) mon enfant, fille d'une pauvre mère…
POLYXÈNE
Qu'as-tu donc à me dire ?
HÉCUBE
L'ensemble des Argiens sans exception
A décidé de te sacrifier sur la tombe
Du fils de Pélée.
POLYXÈNE
Las, ma mère, comment peux-tu évoquer
Un si triste malheur ? Explique-moi,
Explique-moi, ma mère.
HÉCUBE
Je te rapporte, mon enfant, une inquiétante rumeur.
On m'annonce que, par un vote,
Les Argiens se sont prononcés sur ta vie.
POLYXÈNE
Ô toi, qui as tant souffert, essuyé toutes les douleurs,
Connu tant de malheurs, ma mère
Qu'as-tu fait, qu'as-tu fait, encore,
De si odieux, d'indicible pour
200
Qu'un génie s'élève contre toi ;
Tu n'as plus, tu n'as plus de misérable enfant
Qui partage sa servitude avec ta misérable
Vieillesse.
Ton enfant, comme une génisse nourrie
À la montagne, ta pauvre
(…) tu la verras
Arrachée à ta main,
Et la gorge tranchée, envoyée chez Hadès,
Sous terre, dans les ténèbres, où, infortunée,
Je reposerai avec les morts !
Je pleure aussi sur toi, et ta détresse,
Je me lamente et je gémis,
Quant à ma vie, outragée, maltraitée,
Elle ne m'inspire aucun regret ; mourir,
C'est ce qui pouvait m'arriver de mieux.
LE CORYPHÉE
Voilà Ulysse qui arrive en pressant le pas,
Hécube, pour t'annoncer quelque chose.
ULYSSE
Je pense, femme, que tu connais la décision de l'armée,
Et le résultat de son vote ; mais je vais te les dire.
Les Achéens ont jugé qu'il fallait égorger ta fille
Polyxène près du tertre élevé sur la tombe d'Achille.
Ils me chargent d'accompagner et de conduire
Cette jeune fille ; le prêtre qui va présider à
Ce sacrifice et l'accomplir, c'est le fils d'Achille.
Sais-tu ce que tu as à faire ? Ne pas m'obliger à t'arracher
Ta fille de force, et ne pas en venir aux mains avec moi ;
Mesure ta vigueur et la triste situation où tu
Te trouves. Il est bon de savoir se résigner au malheur.
HÉCUBE
Ah ! Elle arrive, semble-t-il, l'épreuve la plus dure,
Avec son lot de gémissements, qui ne va pas sans larmes.
Je ne suis pas morte, moi, quand je devais mourir,
Zeus ne m'a pas tuée, il me maintient en vie pour voir
De pires malheurs succéder à mes malheurs, pauvre de moi.
S'il est permis aux esclaves d'interroger les hommes
Libres sans les froisser ni les blesser
Au cœur, c'est à toi de parler,
À moi d'écouter ce que tu répondras à mes questions.
ULYSSE
Tu le peux, pose tes questions. Je vais t'en laisser le temps.
HÉCUBE
Te rappelles-tu, quand tu es entré à Ilion pour nous espionner ?
Tu étais méconnaissable sous tes haillons, de tes yeux,
Suintaient des gouttes da sang, qui coulaient sur tes joues.
ULYSSE
Je m'en souviens ; cela m'a profondément marqué.
HÉCUBE
Hélène t'a-t-elle reconnu, et ne l'a-t'elle pas dit qu'à moi ?
ULYSSE
Je me souviens que j'étais dans une situation critique.
HÉCUBE
As-tu bien touché mes genoux, humblement ?
ULYSSE
Ma main était littéralement ensevelie dans tes vêtements.
HÉCUBE
Qu'as-tu dit, alors que tu étais mon esclave ?
ULYSSE
Je me suis montré fort éloquent, pour ne pas mourir.
HÉCUBE
T'ai-je sauvé, et fait sortir de mon pays ?
ULYSSE
C'est ce qui me permet de voir ce jour.
250
HÉCUBE
N'es-tu pas abject d'agir comme tu le fais,
Toi qui es été traité comme tu reconnais que je t'ai traité,
De ne rien faire pour moi, sinon tout le mal que tu peux ?
C'est une race ingrate que la vôtre, vous qui vous efforcez
De vous attirer les faveurs du peuple ! Si j'avais pu ne pas vous
Connaître, vous qui ne vous souciez pas de nuire à vos amis,
Si, par une formule, vous arrivez à plaire à la foule !
Mais quelle belle raison a-t-on trouvée
Pour condamner cette enfant à mort ?
Était-il indispensable de sacrifier un être humain
Sur cette tombe, quand il valait mieux égorger un bœuf ?
Et s'il veut que l'on tue ses meurtriers,
Est-il juste qu'Achille la fasse, elle, mourir ?
Elle ne lui a rien fait.
Il devrait demander qu'on immole Hélène sur sa tombe :
C'est elle qui l'a fait mourir en l'amenant à Troie.
S'il faut lui donner une victime de choix,
Celle-ci l'emporte par sa beauté, cela ne nous concerne pas ;
La fille de Tyndare, semble-t-il, a des traits splendides
On ne l'a pas trouvée moins coupable que nous.
Tel est mon plaidoyer, qui s'appuie sur mes droits.
Voici ce que tu dois faire pour moi, je vais te le dire,
Écoute. Tu as touché, tu le reconnais, ma main,
Et cette vieille joue, à genoux devant moi ;
Je touche à mon tour ta main et ta joue,
Et te demande de faire pour moi ce que j'ai fait, je t'en supplie,
N'arrache pas cette enfant de ces bras,
Ne la tuez pas ; il y a eu assez de morts.
Elle est ma seule joie, j'en oublie mes malheurs ;
Elle me console de tant de choses, c'est
Ma cité, ma nourrice, mon bâton, elle guide mes pas.
Ceux qui ont du pouvoir ne doivent pas en faire mauvais usage,
Ni quand tout leur réussit, croire que ce sera toujours le cas ;
C'était jadis le mien, ça ne l'est plus aujourd'hui,
Tout ce que j'avais, un seul jour me l'a enlevé.
Par ton cher menton, respecte ma détresse,
Aie pitié de moi. Va trouver l'armée achéenne,
Fais lui sentir à quel point c'est ignoble de tuer
Des femmes que vous n'avez pas tuées tout te suite quand
Vous les avez arrachées aux autels, et dont vous avez eu pitié.
On applique chez vous la même loi aux gens libres et
Aux esclaves pour le sang versé.
Ton influence, même si tu les surprends,
Les convaincra. La parole n'a pas autant de force
Chez les gens peu connus que chez ceux qu'on estime.
LE CORYPHÉE
Il n'est pas d'homme au cœur si sec qu'il puisse
Entendre tes sanglots, tes lourdes
Plaintes, sans verser des larmes.
ULYSSE
Écoute-moi, Hécube, sans t'emporter, au point de
Voir un ennemi dans celui qui te donne un bon conseil. 300
Je suis à même de te sauver, toi, à qui
Je dois mon salut, je ne dis pas le contraire ;
Ce que j'ai dit à tous, je ne vais pas le renier,
Après la prise de Troie, je devais céder ta fille au premier
Guerrier de l'armée s'il demandait qu'on la lui sacrifiât.
Ce dont souffrent la plupart des cités,
C'est que, lorsqu'un homme se distingue, et la sert
Il n'obtient rien de plus que n'importe qui.
Achille mérite que nous l'honorions, femme,
Il est mort pour la Grèce, c'est un héros.
Ne serait-il pas honteux, quand nous le traitions, de son vivant,
Comme un ami, de ne plus le faire après sa mort ?
Passons ; que dira-t-on, s'il faut encore
Rassembler une armée, et combattre un ennemi ?
Nous battrons-nous au lieu de songer à notre vie,
Si nous voyons que nos morts n'ont droit à aucun honneur ?
Moi, tant que je vivrai, je me contenterais
De peu chaque jour ; tout serait bon pour moi ;
Mais je voudrais qu'on vît mon tombeau
Respecté ; c'est un privilège durable.
Tu nous parles de ta détresse, écoute ma réponse :
Il y a chez nous des villes et des vieillards
Qui ne sont pas moins misérables que toi,
Des jeunes femmes qui ont perdu de vaillants maris,
Dont la poussière de l'Ida recouvre ici les corps.
Prends sur toi. Et nous, si nous prenons une mauvaise décision
En voulant honorer ce héros, nous passerons pour sots ;
Et vous, les barbares, cessez de prendre vos amis
Pour des amis, et d'admirer ceux qui ont eu
Une belle mort, que la Grèce prospère,
Vous y gagnerez ce que valent vos principes.
LE CORYPHÉE
Ah ! quelle éternelle disgrâce que la servitude ! On la
Traite d'une façon abominable, elle obéit à la force.
HÉCUBE
Ô ma fille, mes paroles se sont évanouies dans
Les airs, je les ai lancées pour rien, afin de t'éviter la mort ;
Et si tu peux, toi, faire mieux que ta mère,
Essaie tout, en donnant de la voix comme le rossignol
Avec sa gorge, pour qu'on ne t'enlève pas la vie.
Jette-toi, comme une misérable, aux genoux d'Ulysse,
Essaie de l'émouvoir — tu as un argument : il a, lui aussi,
Des enfants — afin qu'il ait pitié de ton infortune.
POLYXÈNE
Je te vois, Ulysse : tu caches ta main sous
Ton manteau, et tu détournes ton visage,
Que je ne puisse toucher ton menton.
N'aie pas peur : tu échappes au Zeus des Suppliants ;
Je te suivrai, parce qu'il me faut mourir,
Et que je le souhaite ; si je résiste,
J'aurai l'air d'une lâche qui s'accroche à la vie.
À quoi bon vivre ? J'avais pour père le souverain
De toute la Phrygie, c'était au tout début de ma vie ; 350
Puis j'ai été nourrie de belles
espérances,
Fille destinée à des rois, je voyais les prétendants se disputer
L'honneur de me voir pénétrer dans leur demeure, leur foyer ;
Je régnais, pauvre de moi, sur celles qui vivaient sur l'Ida,
Parmi les femmes et filles, c'est moi qu'on regardait,
J'étais l'égale des dieux, sauf qu'il me fallait mourir ;
Je suis à présent une esclave. Ce terme même m'inspire
Le désir de mourir, je n'y suis pas habituée ;
Ensuite, je peux tomber sur un maître sans
Cœur, qui m'achètera en y mettant le prix,
Moi, la sœur d'Hector et de bien d'autres,
Pour me contraindre à faire le pain chez lui,
À balayer sa maison, à rester devant ma navette,
Il me forcera à traîner chaque jour une vie lamentable ;
Un esclave acheté, l'on ne sait qui souillera
Ma couche, qu'on jugeait naguère digne des rois.
Sûrement pas ! Je ne veux pas de la lumière sur mes yeux,
Tant qu'elle est libre, j'offre mon corps à Hadès.
Emmène-moi, Ulysse, finis-en avec moi, en m'emmenant ;
Je ne vois aucun espoir, ni aucune raison
De m'imaginer pouvoir trouver chez vous le bonheur.
N'essaie pas, toi, ma mère, de t'y opposer,
Ne dis rien, ne fais rien ; comprends mon désir de mourir
Avant de subir des humiliations que je ne mérite pas.
Quand on n'est pas habituée à tâter du malheur, l'on
Supporte, mais l'on souffre de mettre son cou sous le joug ;
On serait plus heureux de mourir que de
Vivre ; une vie sans honneur représente une lourde peine.
LE CORYPHÉE
Elle est admirable et remarquable l'empreinte que laisse une
Noble origine, et la renommée qu'apporte la naissance
Est plus grande chez ceux qui en sont dignes.
HÉCUBE
Ce sont là de nobles paroles, ma fille, mais leur noblesse
N'empêche pas la douleur. S'il faut faire quelque chose
Pour le fils de Pélée, tout en vous épargnant
Tout blâme, Ulysse, ne la tuez pas,
Menez-moi, à coups d'aiguillon, au bûcher d'Achille,
Sans aucun égard ; c'est moi qui ai mis Pâris au monde,
L'homme qui a tué le fils de Thétis, en le perçant de flèches.
ULYSSE
Ce n'est pas toi, vieille femme, que le spectre
D'Achille a demandé aux Achéens de tuer, mais ta fille.
HÉCUBE
Vous devrez me tuer avec ma fille,
Ce sera une double ration de sang pour la
Terre et le cadavre qui la réclame.
ULYSSE
Il suffit de ta fille, il ne faut pas ajouter une mort
À une autre ; si nous pouvions éviter celle-ci !…
HÉCUBE
Il faut absolument que je meure avec ma fille.
ULYSSE
De quoi ? Je ne crois pas avoir de maître !
HÉCUBE
Je m'accrocherai à elle, comme le lierre au chêne.
ULYSSE
Non, si tu écoutes des gens plus avisés que toi.
HÉCUBE
Je ne lâcherai pas mon enfant de moi-même !
400
ULYSSE
Et moi, je ne m'en irai pas d'ici sans elle.
POLYXÈNE
Écoute-moi, ma mère ; et toi, enfant de Laërte,
Détends-toi, il est naturel qu'une mère s'emporte ;
Et toi, malheureuse, n'essaie pas de résister aux plus forts.
Veux-tu voir ton vieux corps tomber
Par terre, traîné, brutalement poussé,
Indécemment tiraillé par un jeune
Bras ? — c'est ce qui t'attend — pas toi ! Ce serait honteux !
Donne-moi, ô ma mère chérie, ta main si douce,
Et appuie ta joue contre ma joue.
Plus jamais — je le fais maintenant pour la dernière fois —
Je ne verrai le cercle et les rayons du soleil.
Tu entends là mes dernières paroles.
Ô ma mère qui m'as mise au monde, je m'en vais sous la terre.
HÉCUBE
Nous vivrons, ma fille, pour être des esclaves.
POLYXÈNE
Je n'ai pas eu d'époux, ni de noces, comme j'aurais dû.
HÉCUBE
Ton sort est lamentable, ma fille, et le mien, misérable.
POLYXÈNE
Je serai étendue là-bas, dans l'Hadès, loin de toi.
HÉCUBE
Que faire, hélas ? Où vais-je finir mes jours ?
POLYXÈNE
Je vais mourir esclave, mon père était un homme libre.
HÉCUBE
Nous, nous aurons perdu nos cinquante enfants.
POLYXÈNE
Que dois-je dire à Hector, ou à ton vieil époux ?
HÉCUBE
Annonce-leur que je suis la plus malheureuse des femmes.
POLYXÈNE
Ô poitrine, ô seins, dont le lait m'était si doux !
HECUBE
Quelle mort prématurée que la tienne, ma fille !
POLYXÈNE
Bonne chance à toi, ma mère, bonne chance à Cassandre…
HÉCUBE
Ce sera le cas pour d'autres ; pas pour ta mère.
POLYXÈNE
Et à mon frère Polydore, chez les cavaliers thraces.
HÉCUBE
S'il est vivant ; j'en doute. Après tous ces malheurs !
POLYXÈNE
Il vit, et fermera tes yeux à ta mort.
HÉCUBE
Je suis morte, avant ma mort, sous les poids de mes malheurs.
POLYXÈNE
Emmène-moi, Ulysse, cache ma tête sous un voile ;
Avant de me faire égorger, je sens mon cœur qui fond devant
Les plaintes de ma mère, comme le sien devant mes sanglots.
Ô lumière ! Il m'est possible de prononcer ton nom,
Et rien d'autre, tout le temps qu'il me faudra
Pour marcher jusqu'au bûcher d'Achille.
HÉCUBE
Malheur à moi, c'est la fin ! Je ne sens plus mes membres.
Ô ma fille, touche-moi, tends ta main, donne-la-
Moi. Ne me laisse pas sans enfant, je suis morte, mes amies.
Si je pouvais voir la Laconienne, la sœur des Dioscures,
Hélène, à ta place ! C'est par ses yeux, qu'elle a
Vilainement soumis Troie, une ville heureuse.
LE CHŒUR
Vent, vent marin
Qui pousses, à travers les flots,
Les barques rapides sur les vagues de la mer,
Où vas-tu me conduire, misérable que je suis ?
Chez quel maître échouerai-je, esclave,
Une fois achetée ?
Dans un port en pays dorien ?
450
En Phtie où l'on dit que
Le père de ses eaux magnifiques,
L'Apidanos engraisse les champs ?
Quelle île gagnerai-je,
À force de rames, pauvre de moi,
Pour mener, dans une maison, une vie lamentable ?
Celle où le premier palmier
Et le laurier élevèrent leurs rameaux
Sacrés pour leur chère Léto, qui mettait
Au monde le fils de Zeus ?
Avec les filles de Délos,
Vais-je célébrer le bandeau
En or et l'arc de la divine Artémis ?
Sera-ce la cité de Pallas,
La déesse au beau char où je
Broderai sur le péplos
Couleur safran des cheveaux attelés
Dans la trame ouvragée
Aux tons fleuris, ou bien
La race des Titans, les enfants
De Cronos que Zeus tient assoupie
Sous les deux éclairs de sa foudre ?
Las ! Mes enfants !
Las ! mes pères et mon pays,
Qui s'effondre dans les tourbillons
De fumée, conquis par la lance
Des Argiens ; et moi, sur un sol
Étranger, on m'appelle une esclave ;
J'ai quitté l'Asie
Pour vivre en Europe,
Pour la demeure d'Hadès.
TALTHYBIOS
Où vais-je trouver celle qui fut reine
De Troie, Hécube, filles de Troie ?
LE CORYPHÉE
Là, près de toi, couchée par terre, sur le dos,
Talthybios, elle est étendue, couverte de ses voiles.
TALTHYBIOS
Que dire, ô Zeus ? Regardes-tu les hommes ?
Ou est-ce une réputation qu'on a tort de te faire
(Mentent-ils ceux qui croient qu'il y a une race de dieux,)
Le hasard décide-t-il de tout chez les mortels ?
Ne voilà-t-il pas la souveraine de la Phrygie regorgeant d'or,
N'est-ce point l'épouse de Priam si prospère ?
Les armes ont à présent complètement détruit sa cité,
Vieille, esclave, sans enfant, elle est étendue
Sur le sol, son visage, la pauvre, est couvert de poussière.
Ah ! Las ! Je suis vieux, mais je voudrais
Mourir avant de subir un sort abject.
Lève-toi, malheureuse, relève ton buste,
Plus haut, ainsi que ta tête chenue.
500
HÉCUBE
Ah ! Qui vient empêcher mon corps de rester étendu ?
Qu'as-tu, qui que tu sois, à me bousculer dans ma peine ?
TALTHYBIOS
Je suis Thalthybios, un serviteur des fils de Danaos.
Agamemnon m'a prié de venir te chercher, femme.
HÉCUBE
Tu tombes bien, doit-on m'égorger, moi aussi, sur cette
Tombe, les Achéens l'ont décidé ? Quelles bonnes paroles !
Faisons vite, pressons le pas. Emmène-moi, vieillard.
TALTHYBIOS
C'est pour que tu ensevelisses ta fille morte, femme,
Que je viens te chercher ; je suis l'envoyé
Des deux Atrides et de l'armée achéenne.
HÉCUBE
Que vas-tu dire, hélas ? Tu n'es pas venu nous amener au
Lieu de notre mort, juste nous donner de mauvaises nouvelles ?
Tu es morte, ma fille, tu as été arrachée à ta mère ;
Nous n'avons plus d'enfants, tu n'es plus ; pauvre de moi !
Comment l'avez-vous achevée ? Avec des égards ?
L'avez-vous fait souffrir, comme une ennemie, vieillard,
En la tuant ? Parle, même si ça nous est pénible, ce que tu diras.
TALTHYBIOS
Je n'y gagnerais que de verser encore des larmes de pitié,
Femme, sur ta fille ; si je te raconte maintenant ce malheur,
Mes yeux vont s'embuer, comme sur sa tombe, à sa mort.
La foule était présente de l'armée tout entière,
Devant le tombeau, pour le sacrifice de ta fille ;
Le fils d'Achille prenant Polyxène par la main,
La plaça au sommet du tertre, je me tenais à côté.
De jeunes Achéens, soigneusement choisis,
Pour contenir avec leurs bras les bonds de ton enfant,
Nous suivaient. Prenant une coupe pleine toute en
Or dans ses mains, le fils d'Achille la lève et fait
Des libations pour son père ; il me fait signe
De prier et à toute l'armée des Achéens de garder le silence.
Et moi, debout, au milieu de tous ces gens, j'ai dit :
"Taisez-vous, Achéens ; que tout le peuple garde le silence,
Plus un bruit, plus un mot." La foule se recueillit.
Il dit : "Ô fils de Pélée, mon père,
Reçois mes libations, ces charmes,
Qui attirent les morts ; viens boire le sang
Noir et pur de cette jeune fille, que nous t'offrons,
L'armée et moi ; sois-nous favorable au moment
De détacher les poupes et de larguer les amarres,
Permets-nous de rentrer sans encombre
D'Ilion et de retrouver tous notre patrie.
Sur ce, toute l'armée se mit à prier.
Il saisit ensuite la poignée de son épée incrustée d'or
La dégaina, et fit signe aux jeunes gens qui
Avaient été choisis d'empoigner la jeune fille.
550
Quand elle s'en rendit compte, elle prononça ces mots :
"Ô Argiens, qui avez anéanti ma ville,
J'accepte de mourir ; que personne ne
Me touche ! J'aurai le courage de présenter ma gorge.
Laissez-moi libre, que je meure libre,
Par les dieux, quand vous me tuerez ; chez les morts,
Je rougirais qu'on me traite d'esclave, je suis une princesse. "
Tout le monde l'acclama, et le seigneur Agamemnon
Dit aux jeunes gens de lâcher la jeune fille.
(Dès qu'ils entendirent ses derniers mots,
Ils la lâchèrent, obéissant à l'autorité suprême.)
Quand elle entendit ce que disait le chef de l'armée,
Elle saisit son voile et le déchira, du haut de son épaule
Jusqu'au milieu du flanc, à la hauteur du nombril,
Montrant sa poitrine et ses seins splendides comme ceux
D'une statue, mit un genou à terre, et dit
Ces mots trahissant une intraitable bravoure :
"Regarde, jeune homme, voici ma poitrine, si tu veux
La percer, vas-y, si tu veux me trancher
La gorge, voici mon cou, ça te sera facile."
Partagé entre sa volonté et sa pitié,
Il tranche de son fer sa trachée,
Il en jaillit un flot de sang. Quoique mourante,
Elle prit soin de tomber d'une façon convenable,
En cachant ce qu'il faut cacher aux yeux des hommes.
Quand elle eut, après ce coup mortel, lâché son dernier souffle,
Aucun des Achéens ne s'employa à la même tâche.
Les uns jettent, à pleines mains, des feuillages
Sur la morte, les autres remplissent le bûcher
De tronçons de pin ; celui qui n'apportait rien, se faisait
Invectiver en ces termes par celui qui apportait quelque chose:
"Tu restes là, sale individu, sans apporter
De voiles ni de parure à la jeune fille ?
Ne vas-tu rien offrir à cette jeune fille admirable,
À ce grand cœur ?" C'est ce que l'on disait
Sur ta fille morte, je te vois comme la plus favorisée
Des mères et la plus infortunée des femmes.
LE CORYPHÉE
Ce sont les dieux implacables qui ont fait déborder sur
Les Priamides et ma ville un flot d'atroces souffrances.
HECUBE
Ô ma fille, je ne sais où tourner les yeux, je subis
Tant de malheurs ! Si j'aborde l'un d'eux,
Il ne me lâche plus, un autre chagrin m'appelle,
Un malheur succède à d'autres malheurs.
Je ne puis cesser de me lamenter sur ce que
Tu as subi, ni l'effacer de mon esprit ;
Après avoir appris le courage que tu as montré, je ne
Souffre pas trop. N'est-ce pas admirable qu'une
Mauvaise terre, avec l'aide des dieux, porte de bons épis,
Et qu'une bonne, privée de ce qu'il lui faudrait,
Donne de mauvais fruits, quand, chez les mortels,
Le méchant ne peut être que mauvais, l'honnête homme
Reste honnête, sans que sa nature se dégrade, quelles
Que soient les circonstances, et qu'il soit toujours bon ?
Cela vient-il des parents, ou de l'éducation ?
Une bonne éducation donne le sens
600
Du devoir ; quand on l'a acquis, on sait ce qui
Est honteux, en prenant les règles du bien pour mesure.
Mon esprit prend là pour cible ce qui ne lui sert de rien ;
Voici ce que tu vas expliquer aux Argiens :
Personne ne doit la toucher, il faut tenir la foule à l'écart
De mon enfant. Dans une armée innombrable,
La multitude est incontrôlable, et l'indiscipline d'un marin
Est pire que le feu, il devient mauvais s'il ne fait rien de mal.
Prends un vase, vieille esclave,
Va le plonger dans l'eau de mer,
Que je puisse laver, pour son dernier bain, mon enfant,
Fiancée sans époux, sans lien, mais captive,
Et l'exposer, pas comme elle le mérite, où trouver de quoi ?
Cela m'est impossible, avec ce que j'ai : comment faire ?
Pour sa parure, je réunirai, auprès des captives,
Qui partagent ces tentes avec moi,
Ce qu'elles ont pu dérober, à l'insu de leurs
Nouveaux maîtres, chez elles.
Ô beautés de ma maison, ô palais bienheureux,
Ô toi qui avais tant d'enfants, et si beaux,
Priam ! Et moi, leur vieille mère,
Nous ne sommes vraiment plus rien, sans
Ce qui faisait notre orgueil ! Et nous nous vantons,
L'un de sa riche demeure,
L'autre d'avoir été distingué par ses citoyens.
Il n'en reste rien ; ils sont vains, nos projets,
Et l'éclat de notre éloquence. Il est fort heureux,
Celui qui, chaque jour, n'essuie aucun malheur.
LE CHŒUR
Il me fallait connaître l'infortune
Il me fallait connaître la douleur,
Quand, pour la première fois, sur l'Ida,
Alexandre coupa des troncs de
Sapin pour voguer, sur la houle marine
Vers la couche d'Hélène, la plus
Belle que le soleil aux rayons d'or
Ait baignée de sa lumière.
Les peines et, plus lourdes
Que les peines, l'Inévitable nous encerclent ;
La folie d'un seul a fait venir
Sur la terre de Simoïs, un funeste
Fléau, un malheur qui en a frappé d'autres.
Le différend a été réglé, qui
Mettait aux prises trois filles
De Bienheureux, par un bouvier.
Elle a entraîné la guerre et des morts, et la ruine de mon Palais ;
On se lamente aussi au bord du puissant Eurotas : 650
Une jeune Laconienne verse bien des larmes chez elle ;
Une mère aux cheveux gris frappe
De sa main sa tête,
Ses enfants sont morts, elle s'écorche les joues,
Les lacère de son ongle sanglant.
LA SERVANTE
Où est donc, femmes, Hécube, que tout accable ?
Elle l'emporte sur tout homme, et tout le genre féminin
Par ses malheurs. Personne ne lui disputera cette couronne.
LE CORYPHÉE
Qu'y a-t-il, infortunée ? Ces cris sont de mauvais augure !
Tes tristes nouvelles ne connaissent aucun répit.
LA SERVANTE
C'est à Hécube que j'apporte cette souffrance ; dans le malheur,
Il n'est pas facile, pour les mortels, de parler sans blesser.
LE CORYPHÉE
La voilà qui sort de sa tente, elle arrive
À point pour écouter ce que tu as à dire.
LA SERVANTE
Ô toi que tout accable, et plus que je ne saurais dire,
C'en est fait de toi, maîtresse, tu n'es plus, et tu vois la lumière
Sans enfant, sans mari, sans cité, tu es anéantie.
HÉCUBE
Ce n'est pas nouveau, je le sais, ça ne me touche plus.
Mais le cadavre, là, de Polyxène,
Pourquoi me l'apporter ? L'on m'a dit que tous les Achéens
S'employaient, de leurs mains, à lui donner une sépulture.
LA SERVANTE
Elle ne sait rien, c'est Polyxène qu'elle
Pleure, elle ne sait rien de ses nouveaux malheurs.
HÉCUBE
Pauvre de moi ! Est-ce la prophétesse
Inspirée, est-ce Cassandre dont tu apportes le corps ?
LA SERVANTE
Elle est vivante, celle que tu dis, tu ne pleures pas
Ce mort ; regarde le cadavre, je lui ai ôté son voile,
Cela doit te sembler étonnant, tu ne t'y attendais pas.
HÉCUBE
Ah ! Je vois là mon fils mort,
Polydore, sur lequel veillait un Thrace, chez lui.
C'en est fait de moi, hélas ! Je ne suis plus.
Ô mon enfant, mon enfant,
Ah ! J'entame mes lamentations,
Un chant frénétique que je tiens
D'un génie vengeur
LA SERVANTE
Comprends-tu ce qui est arrivé à ton fils, malheureuse ?
HÉCUBE
Ça ne s'est jamais produit, jamais, c'est incroyable, incroyable, ce que je vois
Les maux ne cessent de se succéder aux maux ;
Il n'est pas de jour qui se passera sans gémissements
Et sans larmes.
LE CORYPHÉE
C'est atroce, infortunée, atroce ce qui nous arrive.
HÉCUBE
Ô mon enfant, enfant d'une malheureuse mère,
Comment es-tu mort,
Après quel coup, es-tu là, étendu ?
De quel homme ?
LA SERVANTE
Je ne sais pas ; je l'ai trouvé sur les rochers au bord de la mer.
HÉCUBE
Déposé simplement sur le sable, ou
Tué d'un coup de lance ?
700
LA SERVANTE
Les vagues de la mer l'ont poussé sur la plage.
HÉCUBE
Pauvre de moi, ah ! je comprends la vision
Qui a, cette nuit, frappé mes yeux, je n'ai pas oublié
Le spectre aux ailes noires,
Ce que j'ai vu, c'était toi,
Mon fils, tu n'étais plus sous la lumière de Zeus.
LE CORYPHÉE
Qui l'a tué ? Peux-tu me le dire après ton rêve ?
HÉCUBE
Mon hôte, c'est mon hôte, la cavalier thrace,
Son vieux père le lui avait secrètement confié.
LE CORYPHÉE
Oh, que vas-tu dire ? Il l'a tué pour garder son or ?
HÉCUBE
C'est indicible, innommable, cela passe l'imagination,
C'est un sacrilège, intolérable. Où sont les droits des hôtes ?
Être exécrable, comme tu as lacéré
Sa chair, en détachant de ton glaive en fer
Les membres de cet enfant, sans aucune pitié !
LE CORYPHÉE
Ô pauvre femme, comme il a fait de toi la femme
Qui souffre le plus parmi les mortels, le dieu qui t'accable.
Mais je vois là notre maître,
Agamemnon, taisons-nous donc, mes amies.
AGAMEMNON
Qu'attends-tu, Hécube, pour aller ensevelir ta fille
Dans son tombeau ? Talthybios m'a bien dit
Qu'aucun Argien ne devait la toucher ta fille.
Nous la laissons là-bas, telle quelle, sans poser la main sur elle ;
Tu prends un peu trop ton temps ; cela me surprend.
Je viens te chercher ; tout ce qu'il fallait faire là-bas
A été bien fait — s'il y a là quoi que ce soit de bien.
Ah ! quel est cet homme que je vois mort
Près des tentes ? Un Troyen, pas un Argien,
Je le vois aux vêtements qui le couvrent.
HÉCUBE
Pauvre… je parle de moi en te parlant…
Pauvre Hécube, que faire ? Tomber aux genoux
D'Agamemnon, ou endurer mes maux en silence ?
AGAMEMNON
Pourquoi ne présenter que ton dos à mon visage,
Et te lamenter, sans me dire pourquoi ? Quel est cet homme ?
HÉCUBE
Mais si, voyant en moi une esclave, et une ennemie,
Il me chassait avec ses genoux, cela me ferait encore souffrir.
AGAMEMNON
Je ne suis pas devin, sans rien entendre,
Je ne puis deviner où tu veux en venir.
HÉCUBE
Est-ce que je m'avance, en le croyant
Hostile, quand ce n'est pas le cas ?
AGAMEMNON
Si tu veux me maintenir dans l'ignorance,
Cela me va ; je ne tiens pas à t'entendre.
HÉCUBE
Je ne pourrai pas, sans lui, venger
Mes enfants. À quoi bon y revenir ?
750
Il faut que je me décide, que cela me réussisse ou pas.
Agamemnon, je te supplie par tes genoux,
Ton menton et ta main droite à qui tout réussit.
AGAMEMNON
Que cherches-tu à obtenir ? Vivre libre le reste
De ta vie ? C'est facile, en ce qui te concerne.
HÉCUBE
Pas du tout. Si j'arrive à châtier les coupables,
Je veux bien rester esclave le reste de ma vie.
AGAMEMNON
Que puis-je donc faire pour toi ?
...................................................
HÉCUBE
Ce n'est rien de ce que tu crois, Seigneur.
Vois-tu ce mort que je baigne de larmes ?
AGAMEMNON
Oui ; mais je ne peux savoir ce que tu vas dire.
HÉCUBE
Je l'ai mis au monde ; je l'ai porté sous ma ceinture.
AGAMEMNON
Lequel est-ce de tes enfants, malheureuse ?
HÉCUBE
Ce n'est pas un des enfants de Priam morts au pied de Troie.
AGAMEMNON
Avais tu donc un enfant en plus de ceux-là, femme ?
HÉCUBE
Je n'ai pu en profiter, c'est évident, tu le vois là.
AGAMEMNON
Où se trouvait-il, quand ta ville n'était plus ?
HÉCUBE
Son père l'a fait partir, de peur qu'il ne meure.
AGAMEMNON
Où l'a-t-il envoyé, lui seul, et sans ses frères ?
HÉCUBE
Dans ce pays, où on l'a trouvé mort.
AGAMEMNON
Chez le prince de ce pays, Polymnestor ?
HÉCUBE
Il a été envoyé chez lui, avec cet or maudit qu'il gardait.
AGAMEMNON
Qui l'a fait périr ? Et comment est-il mort ?
HÉCUBE
Qui d'autre ? C'est son hôte, le Thrace, qui l'a tué.
AGAMEMNON
Ah ! Malheureuse ! Il brûlait de lui prendre cet or.
HÉCUBE
C'est ce qui s'est passé quand il a appris la défaite des Phrygiens.
AGAMEMNON
Où l'as-tu trouvé ? Qui t'a apporté son cadavre ?
HÉCUBE
Cette femme. Elle l'a trouvé au bord de la mer.
AGAMEMNON
Le cherchait-elle, ou en accomplissant une autre tâche ?
HÉCUBE
Elle allait puiser de l'eau dans la mer pour laver Polyxène.
AGAMEMNON
Après l'avoir tué, son hôte a dû s'en débarrasser.
HÉCUBE
Dans les courants de la mer, ainsi démembré.
AGAMEMNON
Pauvre femme, on ne peut mesurer les maux qui t'accablent.
HÉCUBE
C'en est fait de moi, Agamemnon, j'en ai épuisé ma part.
AGAMEMNON
Las ! Las ! Y a-t-il eu de femme plus misérable ?
HÉCUBE
Il n'en est pas, si ce n'est l'Infortune elle-même.
Mais la raison pour laquelle je suis là à tes genoux,
Écoute. Si ce que j'ai subi te semble répondre aux lois divines,
Je me résignerai. Sinon, venge-moi de
Cet homme, de cet hôte sacrilège qui,
Sans craindre les dieux d'en bas, ni ceux d'en haut,
A commis le pire des sacrilèges ;
Après s'être tant de fois assis à ma table,
Avoir profité de mon hospitalité plus que tous mes amis,
Et reçu tout ce qu'il fallait, eu droit à tous mes égards,
Il l'a tué puis jeté à la mer.
Nous sommes, nous, une esclave, et sans doute sans force,
Mais les dieux sont forts, comme la loi,
Qui a le pas sur eux. La loi nous fait croire aux dieux 800
Et distinguer, dans notre vie, ce qui est juste ou pas ;
Si, quand c'est toi qui veilles à son respect, on l'ignore,
Et que ceux qui tuent leurs hôtes et se permettent de
Piller les temples des dieux n'encourent aucun châtiment,
Il n'existe plus aucune équité dans les affaires humaines.
N'accepte pas une telle ignominie, respecte-moi,
Plains-moi, fais comme le peintre qui s'éloigne pour mieux voir,
Regarde et fais-toi une idée des malheurs qui me frappent.
J'étais naguère une reine, je suis à présent ton esclave,
J'étais heureuse avec des fils, je suis une vieille, et sans enfants,
Sans cité, seule, la plus malheureuse des mortelles.
Pauvre de moi ! Où t'en vas-tu ?
C'est comme si je n'avais rien fait, hélas !
Pourquoi nous échinons-nous, nous, les mortels, à tout
Apprendre, et cherchons-nous à tout savoir ?
Seule, la Persuasion règne sur les humains ;
Que ne nous efforçons-nous pas plutôt à l'acquérir,
En y mettant le prix, il serait alors possible de
Convaincre sur n'importe quoi, et d'obtenir ce qu'on voudrait.
Comment concevoir l'espoir d'être heureux ?
Les fils que j'avais, je ne les ai plus,
Esclave et captive, je ne puis qu'être abominablement traitée ;
Je vois s'élever la fumée de ma ville.
Il est peut-être vain d'insister, dans ce discours, sur
L'importance de Cypris ; mais je vais en parler.
À tes côtés, dort mon enfant, la prêtresse
De Phoïbos, que les Phrygiens appellent Cassandre.
Comment montreras-tu que tu aimes à partager ses nuits, Seigneur,
Des douces étreintes qu'elle te prodigue dans sa couche,
Quelle faveur tirera ma fille, et moi, pour ma fille ?
L'obscurité et les philtres nocturnes,
Procurent aux mortels des plaisirs souverains.
Écoute donc : vois-tu ce mort ?
En ayant pour lui des égards, tu obligeras
Ton beau-frère. Je n'ai plus qu'un mot à dire.
Ah si mes bras avaient une voix, ainsi
Que mes mains et mes pieds,
Ou, grâce à Dédale ou quelque autre dieu,
Pouvaient te serrer tous ensemble les genoux,
En pleurant, en lançant toutes sortes d'arguments !
Ô maître, la plus éclatante lumière de la Grèce,
Écoute-moi, offre ton bras vengeur à cette vieille
Femme, même si elle n'est rien, fais-le quand même.
Un homme de bien se doit de soutenir la justice, et de châtier
Toujours et partout les méchants comme ils le méritent.
LE CORYPHÉE
C'est étonnant que tout arrive aux mortels,
Et que les lois décident de ce qu'il faut faire,
Elle font des amis des pires ennemis,
Et des ennemis de ceux qui étaient des alliés.
AGAMEMNON
J'ai pitié de ton fils, de toi, et de ce qui t'arrive,
Hécube, et de ta main de suppliante,
Je veux, pour les dieux et la Justice,
Que cet hôte sacrilège soit châtié pour ce qu'il t'a fait,
Dans la mesure où j'aurai fait, à tes yeux, ce qu'il fallait,
Sans avoir l'air, devant l'armée, d'avoir décidé
L'exécution du roi thrace pour plaire à Cassandre.
Il est une circonstance qui m'embarrasse ;
L'armée tient cet homme pour un allié,
Et le mort pour un ennemi ; si je me mets
De son côté, je ne partage pas ce sentiment avec l'armée. 850
Penses-y ; je suis prêt à te venir en aide,
En aide, et prêt à te donner tout de suite satisfaction, mais
ne tiens pas à essuyer les critiques des Achéens.
HÉCUBE
Las !
Il n'y a pas de mortel qui soit heureux,
Il est esclave de ses biens ou du destin,
Quand la foule dans la cité ou les lois écrites
Ne le laissent pas agir comme il l'entend.
Mais puisque tu redoutes la multitude, et en tiens compte,
Je me fais forte de dissiper cette crainte.
Écoute mes projets, si je tends un piège mortel
À son meurtrier, tu n'auras rien à faire.
S'il y a une émeute chez les Achéens, et que l'on
Tente de porter secours au Thrace quant il recevra ce qu'il
Mérite, contiens-les, ce ne sera pas, apparemment, pour moi.
Pour le reste, ne crains rien, je m'occupe de tout.
AGAMEMNON
Que vas-tu donc faire ? Saisiras-tu une épée,
Avec ta vieille main pour tuer ce Barbare ?
Sera-ce du poison, comptes-tu que l'on t'aide ?
Quel bras te soutiendra ? Où trouveras-tu des amis ?
HÉCUBE
Ces tentes renferment bon nombre de Troyennes.
AGAMEMNON
Tu veux parler des captives tombées entre les mains des Grecs ?
HÉCUBE
Elles m'aideront à châtier ce meurtrier.
AGAMEMNON
Comment les femmes viendront-elles à bout de mâles ?
HÉCUBE
Le nombre est difficile à vaincre, allié à la ruse.
AGAMEMNON
C'est terrible ; je méprise le genre féminin.
HÉCUBE
Quoi ? Ne sont-ce pas des femmes qui ont tué les fils d'Ægyptos,
Et ont débarrassé Lemnos de tous les mâles ?
C'est ce qui doit se passer ; trêve de bavardages,
Fais traverser, par cette femme, sans risque
Ton armée — va trouver, toi, notre hôte thrace
Et dis-lui : "L'ancienne reine de Troie, Hécube,
Veut te voir, dans ton intérêt autant que dans le sien,
Ainsi que tes enfants ; car tes enfants doivent aussi prendre
Connaissance de ses paroles" — Suspends, Agamemnon,
Les funérailles de Polyxène qui vient d'être égorgée,
Que frère et la sœur soient consumés ensemble, et ensevelis,
Ce que la mère désire pour tous deux, sous la même terre.
AGAMEMNON
Ce sera fait. Si l'armée pouvait appareiller,
Je ne pourrais t'accorder cette grâce. Pour l'instant,
Le dieu ne nous envoie pas des vents favorables.
Il nous faut attendre tranquillement l'heure de s'embarquer.
Bonne chance ! C'est notre intérêt à tous,
Celui de chacun, comme celui de la cité, que le méchant
Subisse son châtiment, et que le bon réussisse.
LE CHŒUR
Ô toi, Ilion, ma patrie,
On ne te rangera plus parmi les cités inexpugnables ;
Tel est le nuage de Grecs qui te recouvre, et t'a
Ravagée avec ses armes, ses armes.
900
Elle a été rasée, ta couronne de
Remparts, d'une couche
De cendre, tu as été lamentablement
Maculée, infortunée,
Je ne marcherai plus sur ton sol.
Au cœur de la nuit, j'ai été anéantie
Quand, après le dîner, le doux sommeil se répand sur
Les paupières, après les chants, mon mari avait mis
Fin aux sacrifices et aux danses,
Et reposait dans notre chambre,
Sa javeline suspendue à un crochet,
Il ne voyait pas les foules revenues de
La mer, pour débarquer
Sur la Troade d'Ilion.
J'arrangeais, moi, les boucles de mes cheveux
Avec des bandeaux pour les retenir,
Fixant les innombrables reflets
D'un miroir en or, avant de
M'étendre sur le lit, sous mes draps.
Une clameur s'éleva par la ville ;
On entendait cet ordre, dans toute la ville
De Troie : " Ô
Enfants des Grecs, qu'attendez-vous pour anéantir
La citadelle d'Ilion,
Puis retourner chez vous ?
Abandonnant ma chère couche, en
Chemise, comme une jeune dorienne,
Afin de supplier la vénérable Artémis,
Je ne suis arrivée à rien, pauvre de moi ;
J'ai été entraînée, j'ai vu mon époux
Mort sur la plaine marine,
J'ai regardé la ville, quand
Un navire,
Sur le chemin du retour, m'a emmenée
Loin d'Ilion,
Infortunée, j'ai succombé à la douleur.
La sœur des Dioscures, Hélène,
Et l'exécrable Pâris, le bouvier
De l'Ida je les maudissais ;
Elle a causé ma perte,
M'a chassée de ma patrie et de mon
Foyer, cette épouse, ce n'était pas une épouse,
Mais le fléau d'un génie,
Ah ! si la mer au large pouvait ne pas la ramener,
950
Si elle pouvait ne pas
Rejoindre la demeure de son père.
POLYMESTOR
Ô Priam, le plus cher des hommes, et toi, la plus chère entre
Toutes, Hécube, je pleure en vous voyant, toi, et ta cité,
Et ta fille qui vient de mourir,
Las !
L'on ne peut être sûr de rien, ni la renommée,
Ni notre bonheur, ne nous préservent du malheur.
Les dieux, que dans notre ignorance
Nous révérions, les effacent les mettent sens dessus
Dessous. Mais à quoi bon
Se lamenter ? Cela ne met pas un terme à nos malheurs.
Quant à toi, si tu me reproches mon absence,
Cesse de le faire, je me trouvais au centre de la Thrace,
Loin d'ici, quand tu as débarqué ; à mon arrivée,
À peine avais-je mis le pied hors de mon palais,
Je tombe sur ta servante qui avait un message
Pour moi ; je suis venu dès que je l'ai entendu.
HÉCUBE
J'ose à peine te regarder en face,
Polymestor, plongée dans de tels malheurs,
Devant un homme qui m'a vue heureuse, j'ai honte
De me trouver dans la situation où je suis,
Et me sens incapable de te fixer, les yeux dans les yeux,
N'y vois aucune inimitié à ton encontre,
Polymestor ; il est également de règle
Que les femmes ne regardent pas les hommes en face.
POLYMESTOR
Il n'y a rien là de surprenant. Que puis-je faire pour toi ?
Pourquoi m'as-tu fait quitter mon palais ?
HÉCUBE
Cela ne concerne que moi, et je veux vous en faire part,
À toi et à tes fils ; demande à ton escorte
De sortir, et de rester hors de cette tente.
POLYMESTOR
Vous pouvez disposer ; nous sommes seuls et en sécurité.
Tu es une amie pour moi, et l'armée achéenne
M'est chère, mais il faut m'expliquer ce que peut
Un homme heureux pour des amis plongés
Dans le malheur. Je suis prêt à le faire.
HÉCUBE
Dis-moi d'abord : le fils que tu as reçu de
Mes mains, et de celles de son père, Polydore,
Est-ce qu'il est vivant ? Je te demanderai le reste après.
POLYMESTOR
Parfaitement ; tu as de la chance, de ce côté-là.
HÉCUBE
Ô mon ami, voilà une parole vraiment digne de toi !
POLYMESTOR
Que veux-tu encore savoir de moi ?
HÉCUBE
Se souvient-il de moi, qui l'ai mis au monde ?
POLYMESTOR
Au point qu'il voulait venir te voir, en cachette.
HÉCUBE
L'or est-il là, qu'il avait apporté de Troie ?
POLYMESTOR
Oui. Il est en sécurité dans mon palais.
HÉCUBE
Garde-le bien, sans convoiter le bien des autres.
POLYMESTOR
Pas question ! Je compte, femme, jouir de ce que j'ai.
HÉCUBE
Sais-tu ce que je voulais dire à tes enfants et à toi ?
POLYMESTOR
Non ; tu vas me l'expliquer, en m'en parlant.
HÉCUBE
Il est, ô toi que je chéris comme je dois te chérir… 1000
POLYMESTOR
Que faut-il que nous sachions, mes enfants et moi ?
HÉCUBE
L'endroit où les Priamides cachaient jadis leur or.
POLYMESTOR
C'est ce que tu veux révéler à ton fils ?
HÉCUBE
Exactement, et par toi. Tu es un homme scrupuleux.
POLYMESTOR
Pourquoi veux-tu que mes enfants soient là ?
HÉCUBE
Mieux vaut qu'ils sachent, au cas où tu mourrais.
POLYMNESTOR
Tu as raison ; c'est plus sage.
HÉCUBE
Sais-tu où se trouve, à Troie, le temple d'Athéna ?
POLYMNESTOR
C'est là qu'est caché l'or ? Comment trouver où ?
HÉCUBE
Un rocher noir se dresse au-dessus du sol.
POLYMESTOR
As-tu autre chose à me dire sur cet endroit ?
HECUBE
Veille sur les richesses avec lesquelles je suis venue.
POLYMESTOR
Où ça ? Sont-elles cachées sous tes vêtements ?
HÉCUBE
Elles sont mêlées à nos effets en tas, dans ces tentes.
POLYMESTOR
Où ? Les Achéens ont leur échouage, tout autour.
HÉCUBE
Ces tentes sont réservées aux captives.
POLYMESTOR
Sommes-nous en sécurité ici ? Il n'y a pas d'hommes ?
HÉCUBE
Il n'y a pas d'Achéens ici, nous sommes seules.
Entre donc ; les Argiens brûlent de larguer
Leurs amarres pour revenir chez eux de Troie.
Quand tu auras fait tout ce que tu as à faire, tu reviendras
Avec tes enfants là où tu as logé mon fils.
LE CHŒUR
Tu n'as pas encore expié, mais cela viendra :
Comme, loin du port, l'on tombe à fond de
Cale, frustré de ses chères espérances,
Tu y auras laissé ta vie ; quand on multiplie
Les dettes envers la justice et les dieux,
L'issue est fatale, fatale.
Il va t'écarter de la route, l'espoir qui t'a conduit
À la mort, chez Hadès, ah ! malheureux !
À des mains impuissantes, tu vas laisser ta vie.
POLYMESTOR
Ah ! je n'y vois plus, on me crève les yeux, c'est affreux.
CHORISTE I
Avez-vous entendu le hurlement du Thrace, mes amies ?
POLYMESTOR
Ah ! ce n'et pas fini, mes enfants, un horrible bain de sang !
CHORISTE II
C'est atroce, mes amies, ce qui s'est passé dans les tentes !
POLYMESTOR
Ne comptez pas vous enfuir à toute jambes !
Je vais défoncer de mes projectiles le fond de cette tente !
Là, en voilà un qui part de mon bras puissant !
LE CORYPHÉE
Voulez-vous que nous lui tombions dessus ; c'est le moment
De donner un coup de main à Hécube et aux Troyennes.
HÉCUBE
Cogne ! Ne laisse rien debout ! Défonce les portes ;
Jamais tu ne rendras le jour à tes prunelles,
Tu ne verras pas tes fils vivants, je les ai tués.
LE CORYPHÉE
As-tu bien abattu le Thrace, es-tu venue à bout de ton hôte,
Maîtresse ? As-tu fait ce que tu dis ?
HÉCUBE
Tu vas tout de suite le voir, là, devant la tente,
Marchant comme un aveugle, chancelant, 1050
Et les corps de ses deux fils, que j'ai tués
Avec mes vaillantes Troyennes ; il a payé ce qu'il
M'a fait. Le voici qui sort, comme tu vois, de la tente.
Je m'en vais, hors de portée du torrent
De rage qu'exhale le Thrace, il est difficile à battre.
POLYMESTOR
Pauvre de moi ! Où aller,
Où m'arrêter, où jeter l'ancre ?
Marcher à quatre pattes comme une bête des montagnes,
En tâtonnant (pour les suivre à la trace) ?
Partir dans cette direction
Ou une autre ?
Il me faut attraper ces Troyennes qui tuent les hommes,
Qui m'ont détruit.
Misérables, misérables filles de Phrygiens,
Maudites !
Dans quel recoin vont-elles se terrer pour m'échapper ?
Si tu pouvais guérir mes yeux sous mes paupières
Sanglantes, les guérir, soleil, rallumer
Leur lumière aveugle.
Ah ! Ah !
Silence ; je perçois les pas feutrés
Des femmes. Où bondir pour me repaître
De leurs chairs et de leurs os,
M'offrir un festin de fauve,
Leur faire payer leurs
Outrages, ma honte ? Malheureux que je suis !
Où m'en vais-je, par où, laissant mes enfants seuls
Aux Bacchantes de l'Ida, elles vont les dépecer,
Égorgés, les jeter en bestiale pâture
Aux chiens, sur la montagne.
Où m'arrêter, où m'asseoir (où aller)
Comme un navire qui ramène voile de lin en détendant
Les manœuvres, pour regagner, d'un bond, afin de
Les protéger, le gîte funeste où reposent mes enfants ?
LE CORYPHÉE
Malheureux, comme on s'est acharné sur toi !
Tu as commis des atrocités, il est terrible, le châtiment
(Que t'inflige le dieu, quel qu'il soit, qui t'accable) !
POLYMESTOR
Ah ! Eh, les Thraces,
Race de lanciers, de soldats, de cavaliers
Qui respirent Arès.
Eh, les Achéens, Eh, les Atrides,
Je lance mon appel, au secours, au secours !
Allez ! Venez, par les dieux.
M'entend-on, personne pour m'aider ? Qu'attendez-vous ?
Des femmes m'ont tué,
Des femmes, des captives ;
C'est affreux, affreux, ce qu'on m'a fait.
Ah, je suis mutilé.
Où me tourner ? Quelle direction prendre ?
M'envoler tout là haut, vers
1100
La demeure céleste,
Où Orion ou Sirius lâchent de leurs yeux les éclats de leur
Regard flamboyant, ou me précipiter, pauvre
De moi, vers le sombre passage qui conduit chez Hadès ?
LE CORYPHÉE
Il est naturel, quand on souffre plus qu'on ne peut
Endurer, de mettre fin à une vie misérable.
AGAMEMNON
J'ai entendu un hurlement, je suis venu ; elle ne s'arrête pas,
La fille des rochers sur la montagne, Écho, de le répercuter,
Jetant la confusion sur toute l'armée ; si nous n'avions pas
Abattu les remparts phrygiens avec nos armes grecques,
Ce vacarme n'aurait pas inspiré qu'un médiocre effroi.
POLYMESTOR
Ah, mon ami ! Je t'ai reconnu, Agamemnon, en
Entendant ta voix ; vois-tu ce qu'on m'a fait ?
AGAMEMNON
Ho !
Mon pauvre Polymestor, qui t'a mis dans un tel état ?
Qui a crevé tes yeux pleins de sang,
Et tué tes fils ? Il fallait qu'il t'en
Veuille, ainsi qu'à tes enfants.
POLYMESTOR
C'est Hécube, avec les captives, qui m'a
Détruit — elle ne m'a pas détruit, elle a fait pire.
AGAMEMNON
Quoi ?… C'est toi qui a commis ce crime, comme il dit ?
Tu as eu l'audace, Hécube, de tenter cet acte impossible ?
POLYMESTOR
Que veux-tu dire, hélas ? Est-elle près d'ici ?
Montre-moi, dis-moi où elle est, que je l'empoigne de mes
Deux mains, que je l'écartèle, que je la saigne !
AGAMEMNON
Ho ! Qu'est-ce qui te prend ?
POLYMESTOR
Je t'en supplie, par les dieux,
Laisse-moi porter sur elle ma main pleine de rage !
AGAMEMNON
Du calme ! Contiens dans ton cœur ces élans de barbare,
Parle ; que je vous écoute, elle et toi, tour à tour, et puisse
Juger équitablement ce qui t'a valu ces sévices.
POLYMESTOR
Je vais les dire. Il y avait un Priamide, le plus jeune,
Polydore, fils d'Hécube, que son père, Priam, a éloigné
De Troie et m'a confié ; je devais l'élever —
Il envisageait que sa ville soit prise.
Je l'ai tué ; pourquoi je l'ai tué,
Écoute : j'ai eu raison, c'était sage et prudent.
J'ai craint que si cet enfant, ton ennemi, en réchappait,
Il ne rassemble des survivants, et ne restaure Troie.
Qu'apprenant qu'il restait un Priamide vivant, le Achéens
N'organisent à nouveau une coalition contre le pays phrygien,
Que les plaines thraces ne soient alors exténuées
Par leurs pillages, et que les voisins des Troyens n'aient à
Essuyer à présent, Prince, les dégâts que nous avons subis.
Apprenant la mort de son enfant, Hécube,
M'a fait venir en prétendant vouloir me révéler
L'endroit où sont cachées les réserves d'or des
Priamides. Elle m'introduit moi seul, avec mes enfants
Sous sa tente, pour que personne d'autre ne le connaisse.
Je plie le genou et m'assieds au milieu du lit ;
1150
À droite et à gauche, je suis entouré d'une foule
De Troyennes, qui me traitent comme un ami,
Elles s'assoient, admirent le travail des tisseuses
Édoniennes, en examinant mes vêtements à contre-jour ;
D'autres pour voir de près une pique Thrace,
Me dépouillent de mes deux armes.
Les mères s'extasient sur mes enfants,
Les font sauter dans leur bras, et se les passent
De l'une à l'autre, pour les éloigner de leur père.
Après m'avoir apaisé — tu peux l'imaginer — par leurs paroles,
Elles tirent soudain de je ne sais où, sous leurs vêtements, des
Poignards dont elles percent mes fils, ou, comme des pieuvres,
M'enveloppant toutes ensemble, me bloquent les mains
Et les jambes. J'aurais voulu défendre mes enfants,
Quand j'essayais de lever la tête, elles m'en empêchaient
En me tenant les cheveux, quand je voulais dégager mes bras,
Je n'y arrivais pas, pauvre de moi, avec toutes ces femmes.
Pour finir, souffrance encore plus intolérable que les autres,
Elles ont commis un acte atroce ; de mes yeux,
Avec leurs agrafes, elles percent les pauvres
Prunelles, et les mettent en sang ; puis elles s'enfuient,
À travers la tente ; je me lève d'un bond, comme une
Bête, je me lance à la poursuite de ces chiennes qui tuent,
Explorant toutes les cloisons, comme un chasseur,
Je lance des pierres, des coups de poing. Voilà ce que j'ai
Gagné à te rendre service en tuant ton ennemi,
Agamemnon. Je ne compte pas en dire plus :
Si l'on a dit du mal des femmes jadis,
Si l'on en dit, ou s'apprête à en dire,
Il me suffira de tout résumer en un mot :
La terre ni la mer ne nourrissent une telle
Engeance ; ceux qui ont eu à en pâtir de savent.
LE CORYPHÉE
Modère tes paroles, et ne t'appuie pas sur tes malheurs
Pour confondre toutes les femmes, en blâmant notre espèce.
(Si beaucoup d'entre nous sont détestables, il y en a
Assez pour compenser le nombre des mauvaises.)
HÉCUBE
Chez les hommes, Agamemnon, les discours ne
Devraient jamais être plus importants que les actes.
Quand on a bien agi, il faudrait bien parler,
Quand on a fait le mal, les discours devraient être faibles,
Et l'injustice incapable de bien s'exprimer.
Il sont habiles, ceux qui y sont passés maîtres,
Mais ils ne peuvent l'être jusqu'au bout,
Ils meurent salement, aucun n'y échappe.
En ce qui te concerne, tel est mon préambule.
Voici ce que j'ai maintenant à répondre à cet homme ;
Tu voulais, dis-tu, épargner aux Achéens de nouvelles peines,
Et rendre service à Agamemnon en tuant mon fils.
Mais jamais, être immonde, les barbares
Ne seront les amis des Grecs, ils ne peuvent 1200
L'être. Et quels intérêts prenais-tu
À cœur ? Visais-tu quelque mariage, voulais -tu
Soutenir un parent, quelle raison avais-tu sinon ?
Allaient-ils piétiner les pousses sur ton sol,
S'ils reprenaient la mer ? À qui penses-tu le faire croire ?
C'est l'or, si tu consentais à dire la vérité,
Qui a tué mon fils, ainsi que ta cupidité.
Explique-moi, enfin : quand Troie était
Heureuse, et que se murs entouraient la cité,
Que Priam était vivant, et qu'Hector se distinguait au combat,
Comment se fait-il qu'alors, si tu tenais à le servir
Que tu aies élevé cet enfant, et l'aies gardé chez toi, que tu ne
L'aies pas tué ou ne sois pas venu le livrer, vivant, aux Argiens ?
C'est quand nos ennemis nous ont plongés dans
L'ombre — on le voyait à la fumée s'élevant de la ville —
Que tu as tué l'hôte qui était entré dans ton foyer.
Ce n'est pas tout, écoute, que l'on voie que tu es un méchant.
Il fallait, si tu étais l'ami des Achéens,
Cet or-là, dont tu avoues qu'il n'était pas à toi, mais à lui,
L'apporter et le remettre à ces hommes sans ressources
Qui ont passé tant de temps loin de leur patrie ;
Tu n'as ni le courage, à présent, d'en écarter
Ta main, tu t'obstines toujours à la garder chez toi.
En élevant mon fils, pourtant, comme tu aurais dû,
En sauvant sa vie, tu en aurais tiré une belle réputation ;
C'est dans les malheurs, que l'on mesure le mieux l'amitié
Des gens de bien ; le bonheur, de lui-même, procure des amis.
Si tu avais manqué de ressources, et s'il en avait eu,
Mon fils aurait représenté pour toi un trésor inépuisable ;
Tu n'as plus toi-même en lui un ami,
Ton or ne te sert à rien, tes enfants ne sont plus,
Et toi, tu te trouves dans cet état. Je te le dis,
Agamemnon, si tu lui viens en aide, tu passeras pour méchant.
C'est un être sans religion, sans loyauté envers ceux qu'il faut,
Sans scrupule, un hôte exécrable, que tu obligeras ;
Nous dirons de toi que tu aimes les méchants
Parce que tu leur ressembles — toute révérence parler.
LE CORYPHÉE
Las ! Las ! Comme, chez les mortels, une noble conduite
Donne de la noblesse aux paroles des êtres nobles.
AGAMEMNON
Il est dur de trancher sur des crimes qui ne nous concernent pas,
Mais il le faut ; ce serait honteux, après
M'être chargé de cette affaire, de me désister.
Il me semble, si tu veux le savoir, que ce n'est pas pour moi,
Ni pour les Achéens que tu as décidé de tuer un hôte,
Mais pour garder son or chez toi ;
Tu dis ce qui peut t'être utile dans ta détresse.
Ça vous est peut-être facile de tuer un hôte ;
C'est une infamie chez nous, les Grecs.
Comment pourrais-je, si je t'acquittais, éviter les reproches ?
J'en serais incapable. Tu as osé commettre un acte 1250
Injustifiable, supportes-en les suites déplaisantes.
POLYMESTOR
Hélas ! J'aurai été vaincu par une femme, semble-t-il, j'aurai
Répondu de mes actes à un esclave, qui m'est inférieure !
HÉCUBE
N'est-ce pas justice, après une telle atrocité ?
POLYMESTOR
Las, mes enfants ! Las, mes yeux ! Pauvre de moi !
HÉCUBE
Tu souffres ? Et je ne souffre pas, moi, d'avoir perdu mon fils ?
POLYMESTOR
Cela te fait plaisir de m'écraser ? Ignoble coquine !
HÉCUBE
Cela ne devrait pas me faire plaisir de t'avoir châtié ?
POLYMESTOR
Ça ne durera pas ; quand les flots de la mer…
HÉCUBE
M'emmèneront sur un vaisseau en Grèce ?
POLYMESTOR
...t'engloutiront ; tu tomberas de la hune.
HÉCUBE
Qui m'en aura précipitée de force ?
POLYMESTOR
Tu monteras toi-même sur le mât du navire.
HÉCUBE
Avec des ailes sur le dos ou comment ?
POLYMESTOR
Tu seras alors une chienne aux regards flamboyants.
HÉCUBE
Comment sais-tu que je changerai de forme ?
POLYMESTOR
C'est Dionysos, l'oracle thrace qui me l'a dit.
HÉCUBE
Et toi, il ne t'a prédit aucun de tes malheurs ?
POLYMESTOR
Tu ne m'aurais pas pris, sinon, à ton piège.
HÉCUBE
Y perdrai-je ma vie, ou vivrai-je encore ?
POLYMESTOR
Tu mourras. Ta tombe gardera ton surnom.
HÉCUBE
Évoquant ma nouvelle forme ? Ou lequel, d'après toi ?
POLYMESTOR
La misérable chienne, ce sera un signal pour les marins.
HÉCUBE
Peu m'importe ; tu as payé ce que tu m'as fait.
POLYMESTOR
Ta fille Cassandre est, elle aussi, condamnée à mourir.
HÉCUBE
J'ai craché ; c'est sur toi que je fais retomber ce présage.
POLYMESTOR
Sa femme la tuera, c'est une terrible gardienne.
AGAMEMNON
Jamais la fille de Tyndare ne concevrait une telle folie !
POLYMESTOR
Et lui aussi, elle lèvera une hache sur lui.
AGAMEMNON
Oh ! toi ! tu es fou, ou tu me souhaites un tel malheur ?
POLYMESTOR
Tue-moi ! Un bain de sang t'attend à Argos.
AGAMEMNON
Qu'attendez-vous, esclaves, pour l'emmener plus loin ?
POLYMESTOR
Ça te fait mal de m'entendre ?
AGAMEMNON
Mais fermez-lui la bouche !
POLYMESTOR
Baillonnez-moi, j'ai fini.
AGAMEMNON
Qu'attendez-vous pour
Aller le jeter vite dans une île déserte,
Puisqu'il se permet de tenir de tels propos ?
Toi, ma pauvre Hécube, va ensevelir
Tes deux morts ; il va vous falloir rejoindre
Les tentes de vos maîtres. Je vois déjà se lever
Les vents qui vont nous ramener chez nous.
Puissions-nous mettre bien le cap vers notre patrie, et voir,
Délivrés de nos peines, que tout va bien dans nos demeures.
LE CHŒUR
Regagnez le port et vos tentes, mes amies,
Pour éprouver la triste condition de la
Servitude ; la Nécessité est implacable.
***
Texte et dessins René Biberfeld - 2015
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