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DÉJANIRE C'est un proverbe qui nous vient du fond des âges : L'on ne peut vraiment savoir, avant sa mort, Si la vie d'un mortel fut belle ou lamentable. La mienne, avant même de descendre chez Hadès, Je sais qu'elle m'a été douloureuse et pénible ; Je vivais dans la demeure d'Oinée, mon père, À Pleuron, quand je fus forcée de me marier : C'était la pire épreuve que pût connaître une femme d'Étolie. J'avais pour prétendant un fleuve, je vous parle de l'Acheloos ; Il s'est présenté, pour me demander à mon père, Sous trois formes différentes : Celle d'un taureau impressionnant, Celle d'un serpent aux anneaux luisants, Celle d'un homme à tête de bœuf, de sa barbe épaisse, De l'eau dégoulinait comme d'une fontaine. Voilà le prétendant qui m'était réservé. J'étais désespérée, je ne cessais, dans mes prières, De supplier qu'on me laisse mourir avant de me livrer à ce lit. Il se passa quelque temps. Pour combler mes désirs, Il est arrivé, le fils fameux de Zeus et d'Alcmène : Il l'affronte au combat ; il me délivre. La façon dont il y est parvenu, Je ne saurais le dire, je l'ignore ; s'il se trouvait quelqu'un Pour assister sans trembler à ce combat, qu'il le dise. J'étais paralysée par la peur, je craignais Que ma beauté ne me valût que des malheurs. Le Zeus des Tournois a tranché en ma faveur, Si l'on peut dire : je partage à présent la couche d'Héraclès, Les raisons de m'inquiéter se succèdent sans cesse. Je me ronge pour lui : chaque nuit m'apporte ses chagrins, Avant que la suivante ne m'apporte les siens. Nous avons eu des enfants, et lui, À l'instar d'un paysan qui travaille dans un champ loin d'ici, Il ne les voyait que deux fois, pour les semailles et les moissons. C'était sa vie : il revenait, il repartait, Pour accomplir continuellement quelque mission. Et maintenant qu'il est venu à bout de ses travaux, Voilà que je me sens plus effrayée que jamais. Il s'est passé du temps depuis qu'il a tué le célèbre Iphitos, Nous avons dû partir et nous installer ici à Trachis, Dans la maison d'un autre, quant à lui, nul ne sait Où il se trouve, et, cependant, il m'inflige De cruelles souffrances, je supporte si mal son absence. J'en suis presque sûre : il lui est arrivé quelque malheur ; Ça ne fait pas peu de temps, mais dix mois Qui s'ajoutent à cinq autres qu'il ne donne pas de nouvelles. Il est arrivé un malheur ; il m'a laissé Un tel message en s'en allant, je ne cesse de prendre Les Dieux à témoin, si je pouvais ne pas avoir eu le malheur De la recevoir. LA NOURRICE Déjanire, ma Reine, je t'ai vue souvent Verser des flots de larme et te plaindre, 50 Te lamenter chaque fois que partait Héraclès. S'il est juste que des gens libres Puissent tirer parti de ce que pensent les esclaves, je dois Te le dire : tu as des enfants en abondance, pourquoi N'en envoies-tu pas un à la recherche de ton époux ? Hyllos en particulier, si vraiment il veut savoir Ce qu'il advient de son père, si tout va bien ? Le voilà justement qui arrive en toute hâte. Si tu crois que mon avis arrive à point, Le moment est venu de profiter de sa présence et de mes conseils. DÉJANIRE Mon enfant, même des gens de basse extrace Peuvent tenir des discours judicieux. Cette femme Est une esclave. Elle a prononcé des paroles de femme libre. HYLLOS Qu'a-t-elle dit ? Dis-les moi, si cela peut m'être utile. DÉJANIRE Cela fait si longtemps que ton père est retenu loin d'ici, Ce serait honteux de ta part de ne pas chercher à savoir où il est. HYLLOS Je le sais, si j'en crois les rumeurs qui courent là-dessus. DÉJANIRE Et dans quelle région, d'après ces bruits, se trouve-t-il ? HYLLOS Toute l'année dernière, à ce qu'on dit, Elle a travaillé pour une femme de Lydie. DÉJANIRE S'il a dû s'astreindre à ces travaux, l'on pourra tout entendre. HYLLOS Mais on l'a laissé partir, d'après ce que j'ai entendu. DÉJANIRE Qu'il soit vivant ou mort, d'après les porteurs de nouvelles, l'a-t-on vu quelque part ? HYLLOS On parle de l'Eubée, de la ville d'Eurytos . Il ferait campagne contre lui, ou s'apprêterait à le faire. DÉJANIRE Mais sais-tu, mon enfant, qu'il m'a laissé Des oracles dignes de foi à propos de ce pays ? HYLLOS Quels présages ? Je n'en ai pas entendu parler. DÉJANIRE Que si le cours de sa vie n'est pas alors tranché, Quand il aura remporté cette épreuve, toutes les années Qui lui restent à vivre seront tranquilles. C'est maintenant que tout se joue, mon enfant. Ne vas-tu pas partir à sa rescousse ? nous sommes sauvés, S'il reste en vie, ou perdus avec lui. HYLLOS C'est décidé, je pars ; si j'avais connu les détails De cette prophétie, ça fait longtemps que je serais là-bas. Mais le sort habituel de ses entreprises ne nous donnait pas De raisons de trop nous inquiéter, et de trembler pour lui. J'ai compris maintenant. Je n'épargnerai Aucun effort pour savoir ce qu'il en est. DÉJANIRE Vas-y donc, mon enfant : Même avec du retard, Une bonne décision, dès qu'on est informé, porte ses fruits. LE CHOEUR La nuit vibrante, en expirant, Te met au monde ; elle t'endort quand tu jettes encore tes feux ; Soleil, Ô Soleil, je te le demande : Viens me dire ... le fils D'Alcmène, où se trouve Où se trouve-t-il, Ô toi qui jettes en te consumant tes éclairs étincelants ? Est-il engagé dans un bras de mer ? Se glisse-t-il entre deux continents ? 100 Dis-le moi, astre à l'œil souverain. J'apprends que, dans son coeur, elle se ronge, Déjanire - on se l'est tellement disputée - Telle un oiseau malheureux Sans pouvoir endormir la fièvre De ses paupières dont les larmes sont épuisées ; Grosse de l'angoisse que lui inspire son époux sur les routes. Sur sa couche noyée d'angoisse, sans époux, elle se consume Devant le sinistre, le triste avenir qu'elle pressent Comme l'on voit, sous le souffle Du Notos et du Borée les vagues se succéder Innombrables et sans relâche sur la mer sans fin ; Le descendant de Cadmos est ballotté, soulevé par une avalanche d'épreuves, comme sur la mer De Crète : mais toujours il se trouve un Dieu Qui le guide et qui l'éloigne des Portes d'Hadès. Tu lui reproches ses écarts. Voici mon sentiment : Je te le dis : Ne laisse pas S'exténuer l'espoir qui réconforte, Un destin sans douleur, Jamais il ne l'a accordé Le Maître qui décide de tout : Peines et joies mènent leur danse Autour de nous comme les étoiles de la grande Ourse tournent sans cesse. Ne restent fixes, pour les mortels, Ni la nuit tachetée, ni les destins, ni la fortune, Tout disparaît ; au tour d'un autre De se trouver comblé et démuni. Voilà, Reine, ce que je t'invite À retenir, ne désespère pas. Qui a jamais vu Zeus oublier à ce point ses enfants ? DÉJANIRE Tu connais ma détresse, c'est sûr, voilà pourquoi Tu es ici, mais ce que j'éprouve, tu n'en as aucune idée. La jeunesse se nourrit dans ses propres pâtures, Elle n'essuie ni la chaleur divine, Ni la pluie, ni les vents, elle ne connaît aucune fatigue, Elle ne voit que les plaisirs qu'offre la vie. Mais un jour, la jeune fille gagne le droit d'être Appelée une femme, une nuit lui apporte son lot de soucis, Elle tremble pour son mari, pour ses enfants, 150 Elle s'aperçoit alors, en songeant à sa propre Expérience, l'ampleur des maux qui m'accablent. J'ai beaucoup souffert, versé bien des larmes ; Je vais te confier quelque chose de pire que tout ce que j'ai connu. La dernière fois qu'il a pris la route, qu'il a quitté Cette maison, mon Seigneur Héraclès, Il a laissé une tablette avec une vieille inscription : Des indications qu'il n'avait pas eu le cœur De nous donner quand il partait pour d'autres combats ; Il n'était pas inquiet en s'en allant il ne pensait pas mourir. Cette fois-ci, comme s'il n'était plus, il m'a dit Ce qui devait me revenir de notre union, il m'a dit La part que nos enfants recevraient de la terre de leur père. Il a fixé une date : quand il aurait quitté Ce pays depuis une année et trois mois, Il serait mort sans doute au bout de ce délai, Ou mènerait alors une vie sans chagrins. C'est ce qu'il a dit, c'est le sort qui lui est réservé, C'est là que prennent fin les travaux des Héraclides ; Le vieux chêne l'a annoncé il a parlé À Dodone, par la voix de ses prêtresses. Voici le moment où s'accomplit l'infaillible arrêt, C'est maintenant que tout doit se décider. Voilà pourquoi, plongée dans un doux sommeil, J'ai sauté de mon lit, j'avais peur, mes amies, j'étais épouvantée, Me faudra-t-il être à jamais privée du meilleur des hommes ! LE CHŒUR N'en dis pas plus ! Je vois arriver un homme Avec une couronne, ce qu'il dira doit nous réjouir. LE MESSAGER Déjanire, ma Reine, je serai le premier À dissiper tes craintes ; le rejeton d'Alcmène Est vivant, sache-le, et qu'il l'a emporté, et qu'il ramène Les prémices de son combat pour les dieux de ce pays. DÉJANIRE Que me dis-tu là, vénérable vieillard ? LE MESSAGER Cela ne saurait tarder, ton époux tant aimé va se présenter Dans ta demeure, il va apparaître dans tout l'éclat de ta victoire. DÉJANIRE Comment le sais-tu ? Qui te l'a dit ? Quelqu'un d'ici ? Un étranger ? LE MESSAGER Son serviteur le clame dans les pâturages où paissent les bœufs, C'est Lichas, son héraut qui le crie. Dès que je l'ai entendu, J'ai bondi, je voulais être le premier à te l'annoncer, J'espérais en tirer quelque profit, et gagner ton appui. DÉJANIRE Pourquoi n'est-il pas là, si tout va bien ? LE MESSAGER Ce n'est pas facile, femme, on ne le laisse pas passer. Tout le peuple de Mélos se presse autour de lui. On lui pose des questions, il n'arrive pas à avancer. Chacun brûle de tout savoir, il ne peut se dégager Tant qu'il n'aura pas satisfait la curiosité de tous. Il n'y est pour rien, c'est pour leur faire plaisir Qu'il reste parmi eux ; tu vas le voir en personne, il va apparaître. 200 DÉJANIRE Ô Zeus, maître des prairies vierges de l'Œta, Tu nous a donné la joie que nous avons si longtemps attendue ! Élevez la voix, femmes, à l'intérieur de notre demeure, Ainsi qu'à l'extérieur de ce palais, je n'espérais plus voir La clarté qui se lève à cette nouvelle, et nous la savourons. LE CHŒUR Elle se remplira de cris de joie, cette demeure, Elle retentira par tous les foyers Dans l'attente d'un époux, cette maison ; que les chœurs des hommes Se fassent entendre, qui célèbrent Apollon Et son carquois ; que s'élève Votre péan, qu'il s'élève, jeunes filles, Chantez sa sœur, Artémis D'Ortygie, qui chasse les biches, qui porte une torche à chaque main ; Et les Nymphes qui l'entourent. Je suis enlevée et ne résiste pas, Au son de la flûte, Ô maîtresse de mon âme, Vois, il me transporte, Évohé, évohé, Le lierre, il m'invite Aux danses de Bacchus. Io, Io, Péan ! regarde, chère amie, La fête étincelante Qui se déploie sous tes yeux. DÉJANIRE Je la vois, mes amies, mes yeux n'en perdent Rien, Ils ne peuvent que savourer le spectacle de ce cortège ; J'invite le héraut à se réjouir, je l'ai si longtemps Attendu, puisqu'il nous donne une raison d'être heureux. LICHAS Je suis heureux d'être là,tes paroles me comblent, Femme, ils répondent à ses succès : l'homme qui a accompli Un tel exploit, ne peut, après cela, qu'être porté aux nues. DÉJANIRE Ô le mieux venu des hommes. Apprends-moi pour commencer Ce que je brûle de savoir, si Héraclès est bien là, si j'aurai le bonheur de l'accueillir. LICHAS Quand je l'ai quitté, moi, il était bien vivant, Dans toute sa force, respirant la santé, il ne souffrait d'aucune maladie. DÉJANIRE Où était-ce ? Dans notre patrie ? À l'étranger ? Dis-le-moi. LICHAS Il est un promontoire en Eubée, il y installe Ses autels, il veut offrir des fruits au Zeus de Cénée. DÉJANIRE À la suite d'un vœu, ou pour obéir à un oracle ? LICHAS Pour un vœu, c'était quand, pour s'en emparer, Il ravageait de sa lance la terre de ces femmes qui sont là, sous tes yeux. DÉJANIRE D'où viennent-elles, par le Dieux, qui sont-elles ? Quelle pitié ! À moins que je ne sois trop sensible à leur malheur. LICHAS Il s'en est lui-même emparé après avoir détruit la ville d'Eurytos, C'était la part qu'il s'était réservée pour lui-même et les Dieux. DÉJANIRE Est-ce devant cette ville qu'il est resté plus de temps Que prévu, qu'il a perdu tant de jours ? LICHAS Non ; le plus clair de son temps, il a dû le passer En Lydie, il le dit lui-même, pas en tant qu'homme libre, On l'avait vendu comme esclave, il ne faut pas te froisser 250 De ce mot, femme, c'est Zeus qui l'exigeait. Il a donc été vendu à Omphale, la barbare, Il y est resté toute une année, c'est lui qui le dit, Il a été si furieux de subir un tel outrage Qu'il s'est engagé par un serment solennel, De réduire en esclavage l'homme à qui il devait Cette humiliation, ainsi que sa femme et son enfant. Ce n'étaient pas des paroles en l'air ; une fois purifié, Il lève une armée, la conduit aux portes de la ville D'Eurytos ; c'était lui le responsable, On ne pouvait reprocher à personne d'autre cette infortune. Il l'avait accueilli dans son foyer Comme un vieil hôte ; il s'en est pris à lui, Il l'a exaspéré, il voulait le pousser à bout. Il lui disait que ses traits étaient infaillibles, Mais qu'il ne valait pas ses fils un arc à la main. Il lui déclare qu'il n'est que l'esclave d'un homme libre Qui le maltraite. Et, un jour qu'il était ivre au milieu d'un repas, Il l'a jeté dehors. Ça l'a mis dans un tel état que, Lorsque après cela Iphitos est apparu sur les pentes De Tirynthe pour récupérer ses chevaux qui y passaient, Alors qu'il ne regardait pas de son côté, l'esprit ailleurs, Il l'a précipité du haut d'une tour. Cette action a mis hors de lui notre maître, Zeus qui règne sur l'Olympe, notre père à tous ; Il l'a exilé, vendu, c'est qu'il n'a pas admis Qu'il ait une seule fois, lui, tué un homme en le prenant En traître ; même s'il ne faisait visiblement que se défendre. Zeus lui eût pardonné, il était dans son droit ; Les dieux eux-mêmes n'admettent pas les excès. Quant à ceux qui se sont répandus en propos outrageants, Ils se retrouvent tous chez Hadès ; Leur ville est asservie ; ces femmes que tu vois, Elles étaient heureuses, elles sont à présent condamnées à une vie lamentable. Les voici qui s'approchent de toi ; c'est ce qu'a voulu Ton époux ; et moi j'obéis strictement à ses ordres. Quant à lui, une fois accomplis les pieux sacrifices À Zeus son père qui lui a permis cette conquête, Sois-en assurée, il sera bientôt là ; de ce long discours Dont j'ai pesé tous les mots, c'est ce que tu auras le plus de plaisir à entendre. LE CORYPHÉE Reine, il y a là, pour sûr, de quoi te combler. Tu peux le constater et cela t'a été confirmé de vive voix. DÉJANIRE Comment ne pas me réjouir, les entreprises de mon époux, J'entends qu'elles ont été couronnées de succès. J'ai de bonnes raisons. Il ne peut en être autrement, c'est naturel. Mais, à bien y regarder, il a là de quoi Être effrayée : un homme heureux peut connaître un revers. Je me sens, pour moi, pénétrée d'une étrange pitié, mes amies, Quand je vois ces infortunées sur un sol étranger, Sans foyer, sans parents, prisonnières. 300 Elles étaient sans doute nées d'hommes Libres, à présent elles mènent la vie des esclaves. Ô Zeus des revirements de fortune, puissé-je ne jamais Te voir de la sorte accabler mes enfants ! Et, si tu le fais, que ce ne soit pas de mon vivant. C'est cela qui m'effraie, quand je les vois. Qui es-tu, malheureuse, dans ce groupe de jeunes filles ? N'as-tu pas connu d'homme ? As-tu eu des enfants ? Visiblement, Tu n'as rien connu de tout cela, ton origine est noble. Lichas ? Quelle est donc la naissance de cette étrangère ? Qui l'a mise au monde ? Qui l'a engendrée? Dis-le moi ; c'est elle qui m'inspire le plus de pitié, Quand je la vois. D'autant plus qu'elle est la seule à savoir prendre sur elle. LICHAS Qu'est-ce que j'en sais ? Pourquoi me le demandes-tu ? Ce n'était sans doute pas la moins bien née là-bas. DÉJANIRE Est-elle de famille royale ? Eurytos a-t-il eu des enfants ? LICHAS Je l'ignore. Je n'ai pas vraiment cherché à le savoir. DÉJANIRE N'as-tu même pas appris son nom de l'une de ses compagnes ? LICHAS Pas le moins du monde ; j'ai accompli ma tâche sans rien dire. DÉJANIRE Parle-nous, ma pauvre fille, mais de toi-même. Puisque C'est aussi un grand malheur qu'on ne sache pas qui tu es. LICHAS Elle ne le fera pas, elle ne changera pas maintenant d'avis, Elle n'ouvrira pas la bouche, elle n'a strictement Rien dit, aucune explication, pas un mot. Elle ressent durement le poids de son malheur, Et verse des flots de larmes, depuis qu'elle a laissé Sa patrie ouverte à tous les vents. Son sort est Bien cruel, mais on peut l'excuser. DÉJANIRE Cessons donc de l'importuner. Que son arrivée sous ce toit Soit aussi douce que possible, et qu'en plus de ses malheurs Présents, elle n'ait pas à souffrir encore d'autres chagrins de mon fait. Elle en a suffisamment. Rentrons maintenant Toutes ensemble ; et nous pouvons dès lors, toi, partir Où tu voudras, et moi donner mes instructions dans le palais. LE MESSAGER Arrête-toi un moment près de moi. Tu dois entendre À l'abri de leurs oreilles, qui tu reçois chez toi, Personne ne te l'a dit, tu dois apprendre ce qu'il te faut savoir. Je suis au courant de ce qui se passe, je connais tous les détails. DÉJANIRE Qu'est ce qui se passe ? Pourquoi me retiens-tu ? LE MESSAGER Ne bouge pas, écoute ; tu n'a pas écouté Mon discours pour rien, et ce sera encore le cas, je pense. DÉJANIRE Faut-il les rappeler ou est-ce que c'est À moi et à ces jeunes filles que tu veux parler ? LE MESSAGER À elles comme à toi, rien ne s'y oppose, mais celles-là, tiens les à l'écart. DÉJANIRE Elles ne sont plus là. Explique-toi. LE MESSAGER L'homme qui vient de te parler ne dit rien Qui soit exact et juste ; ou c'est à présent qu'il ment Ou c'est avant qu'il a raconté n'importe quoi. DÉJANIRE Que veux-tu dire ? explique-moi clairement ce que tu as dans la tête. Ce que tu m'as dit ; je n'arrive pas à le comprendre. 350 LE MESSAGER Cet homme, je l'ai entendu dire, Devant de nombreux témoins, que c'est pour cette fille Qu'il a abattu Eurytos ainsi que Les hauts remparts d'Œchalie ; c'est Éros Le seul Dieu qui l'ait poussé à partir en campagne, Et non ce qu'il a vécu en Lydie, ni la douleur De servir Omphale, ni la mort d'Iphitos, précipité dans le vide ; Il a omis ce détail, il raconte tout le contraire. C'est parce qu'il n'a pas réussi à convaincre son père De lui donner sa fille, pour qu'il puisse secrètement en disposer, Qu'il a saisi le plus petit prétexte Pour envahir sa patrie, dont Il occupait, comme il l'a dit, le trône ; Il tue le roi, son père, et ravage Sa cité. Et elle, comme tu vois, en rentrant chez lui, Il te l'envoie avec ces filles, et pas sans arrière-pensée, femme, Non pas comme une esclave : n'y compte pas , Ce n'est pas vraisemblable, puisqu'il brûle pour elle. Il m'a donc semblé de mon devoir, de te rapporter, Reine, Exactement ce que j'ai pu apprendre grâce à lui. Cela, bien des gens ont pu au beau milieu D'une place de Trachis l'entendre comme moi. On peut les confronter à lui, si ce que je te dis ne te plaît pas, Cela me plaît aussi peu, mais je m'en suis tenu à la stricte vérité. DÉJANIRE Pauvre de moi, Qu'est-ce qui m'arrive encore ? J'accueille sous mon toit une calamité Qui se dissimule, c'est bien ma chance ; N'a-t-elle Pas de nom, comme l'a assuré l'homme qui l'a conduite ici. LE MESSAGER Son nom est à la hauteur de son étincelante beauté, Elle est la fille d'Eurytos, une illustre famille, Elle s'appelait Iole, il n'a rien dit De son origine, à croire qu'il n'a rien demandé. LE CHŒUR Si tous les méchants pouvaient mourir, ainsi que Tout homme qui se compote d'une façon indigne de lui. DÉJANIRE Que faire, femmes ? Ce que je viens D'entendre ici m'accable de chagrin. LE CHŒUR Va interroger cet homme ; il te dira vraiment Ce qu'il en est ; si tu veux bien le forcer à parler. DÉJANIRE Je vais y aller ; ce que tu dis ne manque pas d'à propos. LE MESSAGER Que dois-je faire ? Rester ou quoi ? DÉJANIRE Reste ; le voici : je n'ai pas eu besoin de le faire appeler, Il vient nous trouver de lui-même en sortant du palais. LICHAS Que dois-je dire à Héraclès, femme, quand je l'aurai trouvé ? Fais-le moi savoir : comme tu le vois, je suis sur le départ. DÉJANIRE Tu es si pressé de partir après t'être fait attendre, Sans nous laisser le loisir d'apprendre les détails. LICHAS Si tu as des questions à me poser, je suis à ta disposition. DÉJANIRE T'engages-tu à me dire exactement la vérité ? LICHAS J'en prends le grand Zeus à témoin, je te dirai ce que je sais. DÉJANIRE Qui est cette femme que tu amènes avec toi ? 400 LICHAS Une fille de l'Eubée ; je ne puis te dire ses parents. LE MESSAGER Regarde-moi bien. À qui crois-tu parler ? LICHAS En voilà une question ! Pourquoi me la poses-tu ? LE MESSAGER Essaie donc de répondre, si tu es en état de le faire, aux questions que je te poserai. LICHAS C'est à Déjanire, notre Reine, que je m'adresse, à la fille D'Œnée, la femme d'Héraclès, si je ne M'abuse, elle est aussi ma maîtresse. LE MESSAGER C'est ce que je voulais entendre ; tu dis Qu'elle est aussi ta maîtresse ? LICHAS C'est ce qu'elle est. LE MESSAGER Hé bien : quel châtiment faudra-t-il, selon toi, t'infliger, Si l'on te convainc de ne pas t'être montré fidèle envers elle ? LICHAS Comment ça, pas fidèle ? Quel tour veux-tu me jouer ? LE MESSAGER Aucun tour ; c'est plutôt toi qui nous en joue un. LICHAS Je m'en vais ; j'ai été fou de t'écouter. LE MESSAGER Pas avant d'avoir répondu à une simple question. LICHAS Parle si tu y tiens. Tu as la langue bien pendue. LE MESSAGER La prisonnière que tu as amenée chez nous, Tu dois la connaître ? LICHAS En effet, pourquoi me le demandes-tu ? LE MESSAGER En parlant de cette inconnue qui est là, sous tes yeux, N'as-tu pas dit que tu ramenais Iole, la fille d'Eurytos ? LICHAS Devant qui ? Qui viendra soutenir, d'où que ce soit, Me l'avoir entendu dire en sa présence ? LE MESSAGER Une foule de citoyens : ils étaient fort nombreux, ceux qui te l'ont entendu dire, en pleine place de Trachis. LICHAS C'est vrai. Je disais l'avoir entendu ; mais il existe une différence Entre parler d'une hypothèse et rapporter un fait précis. LE MESSAGER Une hypothèse, vraiment ? N'avais-tu pas affirmé sous serment Que tu la ramenais pour qu'elle devînt l'épouse d'Héraclès ? LICHAS Ai-je dit l'épouse, moi ? Par les Dieux, ô ma Reine Que je chéris, dis-moi qui est cet étranger. LE MESSAGER Quelqu'un qui était là pour t'entendre dire que c'est pour assouvir ses désirs Que toute une Cité a été asservie, et que ce n'est pas la Lydienne Qui a causé sa ruine, mais ce brusque amour qu'il a conçu pour elle. LICHAS Qu'il s'en aille, maîtresse, cet individu. Un homme sain d'esprit n'a pas à partager les divagations d'un malade. DÉJANIRE Par Zeus qui, dans les vallons de l'Œta, Fait retentir son tonnerre, ne me cache pas la vérité. Tu n'auras pas affaire à une femme qui s'emporte, Ou qui ignore que les hommes Ne s'arrêtent pas toujours aux mêmes objets. Celui qui veut lutter contre l'amour, comme un boxeur, Avec ses seuls bras, se fait des illusions : Il dicte sa loi aux Dieux, à sa guise, Ainsi qu'à moi, pourquoi ne le ferait-il pas à mes semblables ? Si j'éclate en reproches contre mon mari qui souffre De cette maladie, je perds tout à fait la tête, Ou si je m'en prends à cette femme, qui n'est responsable D'aucune de mes humiliations, ni d'aucun de mes malheurs. L'on n'en est pas là. Si tu suis ses instructions quand tu mens, Vous avez eu tort, lui de les donner, toi de les suivre. 450 Si tu as pris cette initiative de toi-même, Malgré tes bonnes intentions, on te prendra pour une fripouille. Dis-moi donc toute la vérité ; l'homme libre qu'on traite De menteur, en restera à jamais flétri. Tu crois pouvoir me tromper ; tu n'y arriveras pas. Tu as parlé à une foule de gens qui me rapporteront tes paroles. Tu as peut-être peur, mais tes craintes ne sont pas raisonnables, C'est d'être tenue dans l'ignorance, qui me blesserait. Qu'y a-t-il de terrible à connaître la vérité ? Ne s'est-il pas, Lui tout seul, Héraclès, uni à bien d'autres femmes ? Laquelle a jamais eu à se plaindre de quelque outrage De ma part ? et celle-ci n'en essuiera aucun, fût-elle fondue D'amour pour lui, puisque, dès que je l'ai vue, J'ai éprouvé tant de pitié. Sa beauté a complètement ruiné sa vie, Et c'est malgré elle que la malheureuse a ravagé sa patrie, Et l'a réduite en esclavage. Peu importent les vents Qui nous poussent ; je te le dis à toi, tu peux mal te conduire Avec un autre, mais ne me mens jamais, à moi. LE CORYPHÉE Suis ses conseils qui sont bons, tu n'encourras pas plus tard Les reproches de cette femme, et tu y gagneras mon estime. LICHAS Je vais donc, chère maîtresse, puisque je me rends compte Qu'étant mortelle, tu raisonnes comme une mortelle, sans refuser de comprendre. Je te dirai toute la vérité, je ne te cacherai rien. Tout s'est passé comme il le dit. Héraclès a été saisi d'un tel désir pour elle Qu'elle a connu tant de ravages, Qu'elle a été anéantie, l'Œchalie de son père, sous ses coups. Et, il faut le dire à sa décharge, Il ne m'a pas dit de le cacher, il ne l'a pas non plus nié. C'est moi, maîtresse, qui, craignant de Blesser ton cœur par ces paroles, Ai mal agi, si ce sont là pour toi de mauvaises actions. Maintenant que tu connais tout, Dans ton intérêt, et dans son intérêt à elle, Résigne-toi à la présence de cette femme, et restes-en Aux discours que tu as tenus sur elle. Il l'emporte ailleurs à la seule force de son bras Mais il ne peut rien contre l'amour qu'il ressent pour elle. DÉJANIRE Soit. Nous avons assez de bon sens pour nous y faire, Nous n'allons pas nous attirer encore un malheur, En nous lançant dans un combat inégal avec les Dieux ; rentrons Dans ce palais, tu y recevras mes instructions, Auxquelles tu te tiendras, il ne serait pas juste que tu repartes, Les mains vides, après m'avoir ramené toute cette suite. LE CHŒUR Elle est immense, la puissance qui assure à Cypris ses victoires Ce qu'ont connu les Dieux, Je n'en parlerai pas, je ne dirai pas comment elle a mystifié le fils de Chronos, Ou Hadès, le Seigneur de la Nuit 501 Ou Poséidon qui fait trembler la terre. Mais pour partager la couche de cette femme Combien de champions se sont-ils affrontés ? Combien se sont-ils exposés aux coups, se sont-ils couverts de poussière, Combien de champions sont-ils venus pour remporter ce prix ? L'un d'eux, c'était un fleuve dans toute sa force, de grandes cornes, quatre pattes, L'aspect d'un taureau, l'Achéloos d'Œniales, l'autre est venu de Thèbes, La cité de Bacchus, il brandissait un arc Prêt à se tendre, des javelines, une massue, Il est fils de Zeus. Le même désir Les met alors aux prises, de partager sa couche ; Seule, entre eux deux, Cypris qui préside aux mariages Observe le combat, une baguette à la main. À grand fracas s'entrechoquent, les bras, les arcs Les cornes de taureau; Ils s'enlacent dans cette lutte, Leurs fronts se heurtent prêts à porter un coup mortel, Ils gémissent tous deux. La douce et belle jeune fille, Perchée sur un tertre d'où la vue s'étend au loin, Était assise, attendant de savoir lequel serait son époux. J'en parle comme s'il ne s'agissait pas de moi : Le regard de la jeune fille que l'on se dispute Et qui attend inspire la pitié. La voici tout à coup séparée de sa mère Comme une génisse séparée de son troupeau. DÉJANIRE Profitant, mes amies, de ce que cet homme, à l'intérieur Donne des instructions aux jeunes captives, juste avant de partir, Je suis venue vous expliquer, à son insu, dehors, Ce que j'ai imaginé, et l'ouvrage que j'ai fait de mes mains, Et vous faire partager le chagrin dont je suis accablée. Ce n'est plus, je pense, une jeune fille, mais une femme passée sous le joug, Que je viens de recevoirr, comme le marin sa cargaison, C'est une marchandise qui viendra à bout de mon cœur ; Nous voici deux à présent sous une seule Couverture à attendre son étreinte : voilà ce qu'Héraclès, Dont nous louions la loyauté et la bonté, M'a envoyé pour avoir si longtemps veillé sur son foyer. Mais je me sens incapable de m'emporter Contre lui, c'est si souvent qu'il souffre de ce mal ; Mais quelle femme accepterait de vivre sous le même toit Que cette fille, de partager son mari avec elle ? Je vois une jeunesse qui s'annonce éclatante, Tandis qu'une autre arrive à son terme ; l'œil s'attache À la fleur qui s'épanouit, il se détourne des autres ; Voilà pourquoi je crains qu'Héraclès ne soit, que par le nom, 550 Mon époux, et qu'il ne soit en réalité celui d'une femme plus jeune. Mais, comme je l'ai dit, il n'est pas beau pour une femme Qui sait se tenir, d'étaler sa colère ; Le moyen que j'ai, femmes, Pour m'en libérer, et m'en soulager, je vais vous l'expliquer. Je gardais un cadeau que m'a fait jadis Un animal fabuleux, caché dans un chaudron de bronze ; Toute jeune, je l'ai recueilli sur la poitrine velue De Nessos, qui se mourait, frappé à mort. Il faisait traverser les eaux profondes de l'Événos, à des mortels, Il les portait, moyennant salaire, dans ses bras, Sans avoir besoin de rames, ni de voiles. Pour la première fois, sur l'ordre de mon père, Depuis mon mariage, j'accompagnais Héraclès ; Il me portait donc sur ses épaules, quand, au milieu du fleuve, Il me touche, sur un coup de folie ; et moi, j'ai crié ; Aussitôt, le fils de Zeus s'est retourné, pour lui décocher De ses mains une flèche empennée, qui a traversé sa poitrine, En sifflant, jusqu'à ses poumons : En expirant, la bête M'a juste dit : "Enfant du vieil Oenée, Voici ce que te rapportera, si tu suis mes instructions, Cette traversée, puisque tu es la dernière que j'ai fait passer. Essuie le sang pas encore coagulé autour de ma blessure, Imprégné du noir poison de l'Hydre de Lerne, Ce sera un charme capable de retenir le cœur D'Héraclès ; jetterait-il les yeux sur n'importe quelle Autre femme, il ne la chérira plus que toi." J'ai retenu ce discours, mes amies, il est chez moi Depuis sa mort, soigneusement conservé ; J'en ai enduit cette tunique, suivant les instructions qu'il m'a données Avant son dernier souffle ; ça, c'est fait. Pourvu que je reste incapable de prendre de coupables initiatives, Je ne veux pas en entendre parler, celles qui le font m'inspirent de l'horreur. Mais s'il y a une façon, grâce à des philtres, d'être plus forte Que cette gamine, en usant d'un philtre qui agisse sur Héraclès, J'en ai à présent les moyens ; à moins qu'à ton avis, Ce soit là une mauvaise action ; dans ce cas, j'y renonce. LE CHŒUR Si l'on peut se fier au procédé que tu as mis au point, Tu n'as pas pris, à mon avis, une mauvaise décision. DÉJANIRE J'y fais confiance dans la mesure, où j'ai des raisons De le faire ; mais ne l'ai jamais vérifié moi-même. LE CHŒUR Tu ne peux le savoir qu'en le faisant, même si tu crois En être sûre, tu ne le sauras pas si tu n'en fais pas l'essai. DÉJANIRE Ça, nous allons tout de suite nous en rendre compte ; Je vois Notre homme à la porte ; il est sur le départ. Une seule chose, ne laissez rien paraître ; Loin des regards, Même si l'on agit d'un façon infâme, l'on ne tombe pas dans l'infamie LICHAS Quelles sont tes instructions, fille d'Œnée ? Dis-le moi, Nous n'avons que trop tardé jusqu'ici. DÉJANIRE Mais j'y réfléchissais, justement, Lichas, 600 Pendant que tu t'entretenais avec ces étrangères. Emporte donc cette tunique, un travail magnifique, C'est un cadeau pour mon époux, je l'ai tissée de mes mains. Précise-lui, en le lui disant, qu'aucun mortel Ne doit l'enfiler avant lui, qu'elle ne doit être Vue, ni de la lumière du soleil, Ni de la clarté d'aucun foyer sacré ni familial, Avant que lui-même l'ait, debout, devant tout le monde, Montrée aux Dieux le jour où il égorgera un taureau. C'est le vœu que j'ai fait : si, un jour, dans ce palais, Je le revoyais sain et sauf, ou si je l'entendais d'un témoin sûr, Je devais le vêtir de cette tunique, et présenter aux Dieux Ce nouveau sacrificateur dans cette nouvelle tenue. Et tu emporteras avec toi, un signe qui le convaincra, Il reconnaîtra ce signe sur cet anneau, il comprendra. Va, et ne manque pas tout d'abord de respecter cette règle : Un messager ne doit pas vouloir en faire plus qu'on ne lui demande. Et puis, sa reconnaissance s'ajoutant À la mienne, tu en tireras un double profit. LICHAS Si, dans le métier d'Hermès, j'accomplis scrupuleusement Ma tâche, je ne vais pas te faire défaut, à toi. Je lui apporterai ce coffre tel qu'il est, et je lui répéterai Exactement le message qui l'accompagne. DÉJANIRE Ne tarde donc pas, va ; tu as constaté La façon dont ce palais est tenu. LICHAS Je m'en rends compte, et je lui dirai qu'il n'y manque rien. DÉJANIRE Et tu sais, pour l'avoir vu de tes propres yeux, comment J'ai accueilli cette étrangère, à quel point je me suis montrée amicale. LICHAS J'en ressens dans mon cœur une joie sans exemple. DÉJANIRE Qu'as-tu d'autre à me dire ? Je crains Que tu parles trop vite de ma propre impatience Sans t'assurer qu'on la partage ailleurs. LE CHŒUR Ô vous qui hantez ces mouillages, et les rochers des Sources Chaudes, et les pentes De l'Œta, et les rivages s'étendant Autour de la mer de Mélide, La côte escarpée de la Fille à l'Arc d' Or, Où se réunissent les assemblées Des Grecs, Les assemblées des Portes, Ça ne va pas tarder, la mélodieuse Flûte ne vous infligera plus Ses chants hostiles, Elle vous jouera les divines harmonies qu'exécutent les lyres, Car le Fils de Zeus, le fils d'Alcmène, Regagne sa demeure, il y rapporte Un butin qu'il a gagné de haute lutte. C'était pour nous un exilé, loin de sa patrie, cela fait Douze moins pleins que nous l'attendions, Il parcourait les mers, nous n'avions aucune Nouvelle, et son épouse chérie 650 Se morfondait, la malheureuse, en son cœur, Elle ne cessait de se ronger, baignée de larmes. Arès, à présent, dans sa fureur, a mis un terme À ses journées toutes en chagrins. Qu'il arrive enfin, qu'il arrive ; qu'il ne s'arrête pas Le navire qui nous l'amène à pleines rames, Avant d'avoir gagné notre Cité. Qu'en quittant l'autel De cette île où il accomplit, nous dit-on, son sacrifice, Qu'il nous arrive frémissant de désir, Tout humide du baume souverain de la séduction Après avoir suivi les instructions de la Bête. DÉJANIRE Je suis saisie, femmes, de la crainte d'être allée Trop loin, en faisant ce que je viens de faire. LE CORYPHÉE Comment cela, Déjanire, ô fille d'Œnée ? DÉJANIRE Je ne sais pas, je crains de vite m'apercevoir Que j'ai provoqué une catastrophe en concevant un bel espoir. LE CORYPHÉE Il ne s'agit pas au moins de tes cadeaux à Héraclès ? DÉJANIRE Si, c'est au point que je ne conseillerai plus jamais à personne D'entreprendre quoi que ce soit, sans être sûr de l'issue. LE CORYPHÉE Donne-nous, si ça t'est possible, la raison de tes craintes. DÉJANIRE Ce qui c'est produit, si je vous l'expliquais, Vous semblerait, femmes, un prodige inquiétant. Le flocon de laine que je viens de passer Sur la tunique immaculée qu'il devait revêtir, A disparu ; personne, dans le palais, ne l'a Mis au feu, il se dévore lui-même, il se consume, Et se dissout à la surface des dalles. Pour bien te faire comprendre Comment c'est arrivé, je vais te donner tous les détails. Les conseils que le Centaure, touché au flanc, m'a donnés Alors qu'il se débattait, sous l'effet de la flèche empoisonnée, Je n'en ai oublié aucun, ils sont restées gravés Comme une inscription ineffaçable sur une tablette de bronze. Voici ses instructions, que j'ai suivies à la lettre : Tenir ce baume loin de toute flamme, De toute source de chaleur, bien enfermé, Jusqu'au moment d'en faire une teinture. C'est ce que j'ai fait ; tout à l'heure, le moment venu, Je l'ai passée, chez moi, dans ce palais, sans être vue, Avec une touffe de laine, prise à l'une de nos brebis. J'ai plié mon présent, je l'ai serré, à l'abri du soleil, Dans un coffre hermétique, comme vous l'avez vu. Après vous avoir quittées, je rentre, et là, je suis témoin d'un phénomène Indescriptible, incompréhensible pour n'importe quel homme, Je jette, par hasard le flocon de laine dont je m'étais servi Pour teindre le tissu, en plein dans les flammes, Ce n'était qu'un rayon de soleil ; à la chaleur, Il fond, il s'évanouit, il se consume sur le sol, L'on dirait vraiment de la sciure Qui tombe de la scie quand on coupe du bois. 700 Ce n'est plus que de la poudre par terre ; et à l'endroit Où il se trouvait, une écume bouillonne qui se coagule Comme si l'on avait répandu sur le sol la boisson épaisse Que donne le fruit glauque des vignes de Bacchus. Si bien que je ne sais plus où j'en suis, pauvre de moi, Et que je vois que j'ai accompli un acte terrible. Qu'ai-je fait pour que la bête en mourant Me rende un service à moi, la cause de sa mort ? C'est absurde ; elle travaillait à la perte de son bourreau En m'alléchant avec ses conseils ; j'y pense trop tard, Cela ne sert plus à rien que je m'en rende compte C'est moi seule, si je ne me trompe, Qui aurai eu le malheur de provoquer sa mort. La flèche qui l'a touché, je sais que même Chiron, Un Dieu, en a subi les effets, tout être Qu'elle touche, elle le détruit ; le poison noir Du sang coulant de sa blessure, Comment ne le tuerait-il pas, lui ? C'est inévitable, je crois. En tout cas, c'est décidé ; s'il doit y perdre la vie, Je n'attendrai pas, je mourrai, moi aussi, avec lui ; Rester en vie, avec une méchante réputation, ce n'est pas supportable, Pour qui se fait une règle de rester irréprochable. LE CORYPHÉE Nous devons nous attendre à de terribles catastrophes, Mais ne pas perdre espoir, avant qu'elles se produisent. DÉJANIRE Ce n'est pas possible : après un tel faux pas, Il n'y a pas d'espoir auquel se raccrocher. LE CORYPHÉE Mais lorsque l'on n'a pas voulu commettre une erreur, Le ressentiment s'atténue. Et c'est le cas pour toi. DÉJANIRE Pour parler ainsi, il faut n'avoir pris aucune part À un malheur, ne rien avoir de grave à se reprocher. LE CORYPHÉE Tu ferais mieux de ne rien ajouter de plus, Si tu ne veux pas avouer quelque chose à ton fils ; il est là, Celui qui était parti à la recherche de son père. HYLLOS Oh, ma mère, il est une chose parmi trois que j'aimerais choisir, Que tu ne sois plus en vie ; ou, si tu étais vivante, Que tu sois appelée la mère d'un autre ; ou que tu aies éprouvé De meilleurs sentiments que ceux qui sont maintenant les tiens. DÉJANIRE D'où vient, mon enfant, cette horreur que je t'inspire ? HYLLOS Ton mari, sache-le, mon père, dis-je, Tu l'as tué, aujourd'hui même. DÉJANIRE Pauvre de moi, pourquoi prononces-tu ce mot, mon enfant ? HYLLOS Un mot qui ne peut être contredit par les faits ; ce qui s'est passé, Au vu de tous, qui pourrait empêcher que cela se soit passé ? DÉJANIRE Qu'as-tu dit, mon enfant ? De qui tiens-tu Que j'aie commis un acte aussi épouvantable ? HYLLOS J'ai assisté aux souffrances que mon père a endurées, Je les ai vues de mes propres yeux, je n'en ai pas entendu parler. DÉJANIRE Où l'as-tu rejoint, pour te trouver près de lui ? HYLLOS Si tu tiens à le savoir, je suis bien obligé de tout te dire. Il revenait, après avoir détruit l'illustre Cité d'Eurytos, 750 Il rapportait les trophées et les prémices de sa victoire ; Il est un promontoire battu par les flots, le cap Cénée, c'est là que, pour Zeus, son père, il trace l'enceinte D'un autel, les limites d'un bois sacré ; C'est là que je l'ai retrouvé, le cœur débordant de joie. Il s'apprêtait à immoler un grand nombre de victimes, Quant survint son héraut Lichas, il venait de chez lui Avec ton présent, cette nouvelle tunique. Il l'enfila, comme tu l'en avais prié, Puis sacrifia douze taureaux magnifiques, Des prémices de son butin ; entre-temps, il ramène Cent têtes de bétail en tout, de toutes sortes. Au début, le malheureux, plein de joie, Tout fier de sa superbe tunique, se met à invoquer les Dieux. On venait d'allumer le feu des cérémonies sacrées, la flamme Jaillit, ravivée par le sang et le bois dégoulinant de résine, La sueur suinte sur sa peau, le tissu se colle à ses flancs, Comme à ceux d'un ouvrier en plein travail, La tunique adhère à ses membres ; il est secoué jusqu'aux os De convulsions ; comme s'il était dévoré Par le venin d'une vipère féroce et mortelle. Il apostrophe alors, en poussant de grands cris, le pauvre Lichas, qui n'est en rien coupable de ton crime, Lui demandant ce qu'il cherchait en lui apportant cette tunique. Le malheureux n'était au courant de rien, il a juste dit que c'était Ton cadeau à toi, tel qu'on le lui avait remis. En l'écoutant, Héraclès est pris d'une atroce Convulsion qui lui coupe la respiration, Il le saisit à la cheville, au niveau de l'articulation, Et le précipite sur un rocher qui affleure dans la mer ; Il fait jaillir la blanche moelle de ses cheveux, Dans un mélange d'os fracassés et de sang. Le peuple entier laisse échapper un gémissement, Devant ce fou furieux, et ce cadavre. Mais personne n'ose lui faire face ; Il se tord sur le sol, se jette en l'air, il hurle, Il pousse des cris perçants qui se répercutent sur les rochers, Les falaises de la Locride, et les côtes escarpées de l'Eubée. Quand il a cessé, le malheureux de se jeter sans cesse Sur le sol, et de pousser des cris déchirants, De maudire ta couche funeste, la tienne, Malheureuse, son entrée dans la famille dŒnée, Qui lui a donné la femme qui mettrait fin à sa vie, À travers la brume qui les voile, il a levé Ses yeux hagards, il m'a vu au milieu de la foule, Baigné de larmes, il me regarde, il m'appelle : "Ô mon enfant, viens, ne fuis pas le mal dont je souffre ; Même s'il te faut en mourant, mourir avec moi ; Prends-moi dans tes bras, emporte-moi, et surtout laisse-moi Dans un endroit où plus aucun mortel ne me verra ; 800 Et si tu es retenu par ta pitié; emmène-moi loin de cette terre, Au plus vite ; que je ne meure pas ici." C'est ce qu'il m'a demandé ; nous l'avons placé au fond D'un bateau, nous avons eu du mal à l'amener jusqu'ici, Il était pris de spasmes, il rugissait ; Vous allez tout de suite Le revoir vivant, ou tout juste après sa mort. Vous avez préparé, ma mère, cet attentat contre mon père, Vous l'avez exécuté, on vous a prise sur le fait, puissent la Justice Vengeresse Et l'Érinye réclamer leur dû ; si les lois divines me le permettent, Et elles me le permettent, puis que tu m'en donnes toi-même le droit, Car tu as tué le meilleur des hommes sur cette terre, Un homme tel que tu n'en verras jamais d'autre. LE CORYPHÉE Pourquoi t'en vas-tu sans rien dire ? Ne sais-tu pas Qu'en te taisant, tu donnes raison à celui qui t'accuse ? HYLLOS Laissez-la partir. Qu'elle disparaisse Loin de mes yeux et bon vent ! Pourquoi se parer en outre du noble titre De mère, quand l'on ne se comporte en rien comme une mère ? Qu'elle s'en aille, tant mieux pour elle ! Et qu'elle goûte Elle même les plaisirs qu'elle donne à mon père. LE CHŒUR Voyez, mes enfants, avec quelle rapidité nous atteint L'oracle divin, L'expression d'une sagesse venue du fond des âges, Qui a prédit qu'à la fin du dernier mois De la douzième année, s'achèveraient les terribles épreuves Du véritable fils de Zeus Au moment précis fixé par le sort, C'est arrivé ; Comment un homme qui ne voit plus rien Peut-il, mort, être astreint à des tâches harassantes ? Si dans le filet mortel du Centaure La Nécessité aux ruses infinies passe un tel baume Sur ses flancs, ce poison qui se consume, Né de la mort, nourri par le dragon aux reflets chatoyants, Comment verrait-il encore renaître le soleil, Consumé par l'Ombre Terrifiante de l'Hydre, Cependant que sous sa robe noire, il l'accable, L'aiguillon sanglant de ses mots trompeurs qui bouillonne ; La malheureuse n'a pas hésité, Elle a vu l'horrible menace qui planait sur elle, L'imminence de nouvelles noces ; certaines choses, elle ne les a pas Comprises ; pour d'autres, elle a suivi Les conseils d'un étranger qui lui faisait espérer une fatale réconciliation, Sans doute se lamente-t-elle sur ce qu'elle a fait ; Sans doute verse-t-elle en abondance La tendre rosée de ses larmes. Le Destin qui s'avance lui montre clairement 850 L'étendue du désastre et le résultat de cette machination. Un flot de larmes a jailli de nos yeux : La maladie gagne, hélas tout son corps, Jamais, à cause de ses ennemis, homme si illustre n'a été Atteint d'un mal aussi cruel. Ô pointe sanglante d'une lance admirable, Cela ne t'a pas pris de temps de ramener Cette jeune fille des hauteurs De l'Œchalie, après avoir combattu. Et Cypris qui l'a secondée, quoi qu'elle se taise, Est apparue clairement comme l'instrument de ces malheurs. DEMI-CHOEUR N'est-ce qu'une impression? N'est-ce pas un gémissement Que j'entends à l'intérieur ? cela vient justement du palais. DEMI-CHŒUR Cette voix, on ne peut s'y tromper ; c'est une plainte Désespérée. Il se passe quelque chose sous ce toit. LE CHORYPHÉE Regarde la, Cette vieille qui s'avance vers nous, bouleversée, Le visage défait, elle va nous dire quelque chose. LA NOURRICE Mes enfants, ce ne sont pas de petits malheurs Que nous apporte le cadeau qu'on a envoyé à Héraclès. LE CORYPHÉE Que nous dis-tu là, vieille femme, qu'est-il arrivé ? LA NOURRICE Déjanire a entamé son tout dernier Voyage, sans faire un pas. LE CORYPHÉE Elle n'est quand même pas morte ? LA NOURRICE Tu as bien entendu. LE CORYPHÉE Elle est morte, la pauvre femme ? LA NOURRICE Je te le dis pour la deuxième fois. LE CORYPHÉE Quelle fin misérable ! Comment dis-tu qu'elle est morte ? LA NOURRICE De la façon la plus cruelle, si l'on en croit le résultat. LE CHŒUR Dis-moi, femme, comment cela s'est passé. LA NOURRICE Elle s'est elle-même donné la mort. LE CHŒUR De quelle rage, de quel coup de folie A-t-elle été saisie pour se frapper d'une arme Cruelle ? Comment a-t-elle fauché Une vie après l'autre À elle seule? LA NOURRICE Elle a choisi le funeste Tranchant d'une lame. LE CHŒUR Et tu as assisté, pauvre folle, à cette horrible scène ? LA NOURRICE J'y ai assisté, j'étais là, près d'elle. LE CHŒUR Qui a donné ce coup ? Comment ? Dis-le nous. LA NOURRICE Elle se l'est elle-même donné, de ses propres mains. LE CHŒUR Que dis-tu ? LA NOURRICE La vérité. LE CHŒUR Elle a mis, elle a mis au monde une fille puissante, Cette jeune femme à ces nouvelles noces, L'Érinye qu'elle a introduit dans ce palais. LA NOURRICE Elle est vraiment terrible, si tu avais été là, près d'elle ; Si tu avais vu ce qu'elle a fait, tu la plaindrais vraiment. LE CHŒUR Et c'est une main de femme qui a eu ce courage ? LA NOURRICE Ce terrible courage ; écoute, tu pourras témoigner pour moi. Lorsqu'elle fut rentrée seule à l'intérieur du palais, 900 Et qu'elle eut vu son fils, dans la cour, avec des couvertures, Préparer une civière, pour revenir ensuite auprès de son père, Elle s'est tapie à l'intérieur, pour que personne ne la vît, Elle se jetait au pied des autels en hurlant Qu'elle n'avait plus personne, elle pleurait En touchant les outils dont elle se servait, la malheureuse ; Elle errait çà et là, dans le palais, Pour voir si elle apercevait l'un de ses serviteurs les plus chers, Elle pleurait, la pauvre femme, quand elle en voyait un, Elle évoquait son propre destin, Et sa demeure désormais sans enfants. Là-dessus, je la vois soudain Se précipiter dans la chambre d'Héraclès. Je la suivais des yeux, dans l'ombre, Je la surveillais. Je la vois étendre Ses couvertures sur la couche d'Héraclès ; Quand elle a fini, elle saute dessus, Elle s'assied juste au milieu du lit ; Elle éclate en sanglots, elle pleure à chaudes larmes, En disant : " Ô lit, Ô chambre nuptiale, Je vous dis adieu pour toujours, jamais plus Vous ne m'accueillerez sur cette couche comme une épouse." Elle n'en dit pas plus. Sans hésiter, Elle dégrafe sa robe, là où, par une broche en or, Elle est fixée au-dessus de ses seins, elle découvre Entièrement son flanc et son bras gauche. Je suis partie en courant aussi vite que je le pouvais, Dire à son fils ce qu'elle se prépare à faire, Mais, le temps d'arriver et de nous précipiter près d'elle, Nous la voyons frappée de deux coups de poignard Au côté, sous le foie et sous le diaphragme. À cette vue, son fils gémit ; le malheureux se rend compte Que c'est lui qui l'y a poussée en s'emportant, Il apprend trop tard par les gens de la maison Qu'elle a agi malgré elle, sous l'influence du Centaure. Désespéré, il se répand alors En plaintes sans fin, il se lamente, Pose ses lèvres sur les sienne, s'étend à côté d'elle, Côte à côte, il gémit encore et encore, Pour lui avoir à tort lancé une terrible accusation. Il pleure parce qu'il est à présent doublement orphelin, De son père et d'elle à la fois. Voilà où l'on en est ; quand l'on fait Des projets pour deux jours ou plus, Ça ne rime à rien ; il n'est de lendemain, Qu'une fois bien franchi le cap du jour qui le précède. LE CHŒUR Sur quels malheurs dois-je d'abord me lamenter Quels son ceux qui nous accablent le plus ? Pauvre de moi, je ne puis me prononcer là-dessus. Les uns, nous les avons sous les yeux dans ce palais, 950 Les autres, nous attendons de les connaître, dans l'angoisse, Il est aussi terrible de les vivre que de s'y attendre. Si un vent pouvait Se lever ici Et m'emporter ; j'ai tellement Peur de mourir D'effroi en voyant Le vaillant fils de Zeus Il se tord dans des souffrances qu'on ne peut soulager, Il s'approche du palais, à ce qu'on dit, C'est un spectacle innommable. Il est tout près, il n'est pas loin, Le malheur qui me faisait, en pleurant, pousser les cris aigus d'un rossignol, Voici un groupe d'étrangers. Ils le portent d'une façon... Quelles Prévenances, quelle gravité Dans leur démarche, quel silence ! Ah ! Il se laisse porter sans proférer un mot, Que faut-il en penser ? Est-il mort, ou simplement endormi ? HYLLOS Pauvre de moi, Tu me laisses, mon père, en plein désarroi. Comme je souffre ; à quoi dois-je penser, pauvre de moi ? LE VIEILLARD Tais-toi, mon enfant, ne va pas réveiller La terrible souffrance de ton père, et sa rage ; Il est vivant, c'est une défaillance ; Mords-toi Les lèvres. HYLLOS Que dis-tu là, vieillard ? Il est vivant ? LE VIEILLARD Ne le réveille pas, il est encore plongé dans le sommeil, Tu vas exciter et raviver Ces terribles souffrances Qui reviennent par accès, mon enfant. HYLLOS Mais, sur moi, pauvre de moi, Pèse un poids immense ; mon cœur est accablé de douleur. HÉRACLÈS Ô Zeus, Quelle est cette terre où j'arrive ? Chez quels mortels Me trouvé-je étendu en prise à des souffrances Qui n'en finissent pas ? Que me faut-il endurer ! Ce poison se remet à me ronger les chairs. Je n'en peux plus. LE VIEILLARD Tu le savais bien combien il valait mieux Te taire et cacher tes émotions, au lieu de dissiper Le sommeil qui appesantissait Sa tête et ses paupières. HYLLOS C'est que je ne puis Me résigner à le voir dans cet état. HÉRACLÈS Ô toi, Cap Cénéen que j'ai couvert de mes autels, Pour de tels sacrifices, quelle façon De me montrer ta reconnaissance, Ô Zeus ; Quel atroce traitement tu m'as infligé ; Comme j'aurais voulu, pauvre de moi, Ne jamais l'avoir vu de mes yeux, de ne pas avoir vu S'épanouir en moi cette insoutenable frénésie. Quel magicien, quel grand 1000 Médecin pourra apaiser mes tourments, À part Zeus. Si je pouvais entrevoir un tel miracle ! Ah ! Ah ! Laissez moi, que je suis malheureux, Dormir enfin, comme je souffre. Où me touches-tu ? Dans quel sens essaies-tu de me tourner? Tu vas me tuer, tu vas me tuer, Ça s'était calmé, et voilà que ça recommence. Ça s'accroche à ma peau, c'est affreux, ça me reprend. D'où êtes-vous, vous, les plus ingrats de tous les Grecs ; j'ai si souvent purgé de tous ses monstres les mers et les forêts, je suis à bout, pour ainsi dire mort ; et maintenant que vous me voyez dans cet état, pas un seul bûcher, pas une seule lame pour en finir avec moi. Ah ! Ah ! Personne pour venir une bonne fois pour toutes Couper le cou à ce misérable, je n'en puis plus. LE VIEILLARD Tu es, mon enfant, le fils de cet homme, c'est là une tâche qui dépasse mes forces ; prête-moi main forte ; tes bras sont deux fois plus puissants que les miens. HYLLOS Je le tiens ; Mais j'ai beau chercher en moi, et ailleurs le moyen de le faire, Il ne m'est pas possible de lui faire oublier sa douleur ; ce sont là des épreuves que Zeus nous impose. HÉRACLÈS Ah ! Ah! Où es-tu, mon enfant? Prends-moi par là, oui, Par là, pour me soulever. Ah ! Ah là, là, Seigneur ! Il revient à toute vitesse, il revient ce mal Affreux qui me tue, Ce mal terrible, ce mal insupportable. Ô Pallas, Pallas, voilà que ça me reprend. Mon enfant, aie pitié de ton père, prends ton épée, on ne t'en voudra pas, frappe au-dessous de l'épaule, apaise la douleur qui me rend fou ; c'est ta mère qui me l'a infligée, au mépris de toute divinité ; comme j'aimerais la voir s'écrouler comme moi, exactement comme moi, de la même façon qu'elle m'a tué. Ah ! Ah ! Ô toi, issu du même sang que Zeus, Hadès, plein de douceur, Fais-moi dormir, dormir, Achève ce malheureux, et que sa mort arrive à tire d'aile. LE CORYPHÉE Je frémis, mes amies, en entendant les malheurs De notre Maître, un tel homme, en proie à de telles souffrances. HÉRAKLÈS Je me suis tant de fois consumé, c'est si dur d'en parler, Je m'y suis usé les mains, brisé le dos ; Jamais l'épouse de Zeus, ni l'infâme Eurysthée Ne m'ont infligé quoi que ce soit de comparable 1050 À ce dont la fille perfide d'Œnée A enveloppé mes épaules, à ce filet Tissé par les Érinyes, qui me tue. Il s'accroche à mes flancs, il fouille au plus profond De ma chair, il s'en repaît, et la partie de mes artères Qui enveloppe mes poumons, il la dévore : mon sang, Il l'a englouti tout frais, je sens mon corps se consumer Sous ces liens innommables qui m'enserrent Et cela, ni un lance en rase campagne, ni la guerre Contre les Géants nés de la terre, ni la force d'une bête, Ni la Grèce, aucun pays au langage barbare, aucun Que je sois venu purger de ses monstres, ne l'ont fait ; Une femme, une simple femme, qui n'avait rien d'un homme, Est venue seule à bout de moi, sans se servir d'un poignard. Ô mon enfant, sois pour moi le vrai fils de ton père, N'accorde pas plus d'estime au nom de mère. Va de tes propres mains, la traîner hors de ce palais, Mets-la entre les miennes, celle qui t'a mis au monde, que je sache vraiment Si tu es plus sensible à ma douleur qu'à la sienne, en la voyant Dans le triste état où la mettra la justice que j'exercerai sur elle. Vas-y, mon fils, courage, aie pitié de moi Qui en mérite tant, qui, comme une fille, Hurle et pleure ; et cela personne ne peut Dire qu'il a vu l'homme que je suis le faire ; J'ai toujours enduré sans broncher mes malheurs ; C'en est fait, maintenant, je ne suis plus qu'une femme. Viens, approche-toi, reste là, près de ton père, Regarde ce qui m'arrive, comme je souffre ; Je vais me découvrir pour mieux te le montrer. Regarde, regardez tous cette misérable carcasse, Regardez ce pauvre hère, comme je suis à plaindre. Ah ! C'en est trop, Ah ! Ça me brûle encore, c'est un affreux spasme Qui transperce mes poumons, elle ne me laissera aucun répit, Semble-t-il, cette atroce maladie qui me dévore. Prince Hadès, accueille-moi ; Éclair de Zeus, frappe-moi ; Brandis-la, Maître, et lance-la, Mon père, ta foudre !... Voilà que ça me ronge à nouveau, Ça s'épanouit, ça se répand. Ô mes mains, mes mains, Ô mon dos, ma poitrine, ô vous, mes bras, mes amis, Voilà où vous en êtes, vous qui êtes venus à bout De la bête de Némée, du fléau des bouviers, De ce lion, ce monstre inflexible et terrifiant, Vous en avez eu la force, de l'Hydre de Lerne ; L'horrible cavalerie de ces êtres féroces, des hybrides Violents, déchaînés, sans lois, d'une force extraordinaire ; Et la bête d'Érymanthe, et, sous la terre, Le chien d'Hadès à trois têtes, un monstre invincible, Né de la terrible Échidna, et le dragon qui gardait Les pommes d'or, au fin fond de notre monde ; 1100 J'ai supporté le poids de milliers d'autres travaux, Et aucun être n'a triomphé de mes bras. Me voici à présent défait, brisé, Anéanti par une puissance aveugle, je n'en puis plus, Moi qui tiens mon nom d'une femme admirable, Dont on proclame que je suis né de Zeus qui règne sur le Ciel. En tout cas, sachez-le : même si j'étais réduit à rien Et incapable de bouger, celle qui est la cause de tout cela, Je l'anéantirai, dans l'état où je suis ; qu'elle vienne, seulement, Elle en apprendra assez pour aller annoncer à tous Que vivant, ou en mourant, j'ai châtié les méchants. LE CORYPHÉE Ô malheureuse Grèce, quel deuil sera le tien, je le vois, Lorsque tu auras perdu un tel homme. HYLLOS Puisque tu me laisses, mon père, une occasion de te répondre, En gardant le silence, écoute-moi, malgré tes souffrances. Ce que je vais te demander, tu te dois de me l'accorder. Remets-t-en à moi, tu ne seras plus autant rongé Par la colère ; tu ne saurais pas, sinon, vraiment, Ce qu'il en est de tes désirs, et ce dont tu as tort de souffrir. HÉRACLÈS Finis-en, dis-moi ce que tu tiens à me dire ; j'ai trop mal Pour entrer dans de telles subtilités. HYLLOS C'est de ma mère que je viens te parler, je veux te dire Où elle en est, après s'être malgré elle si mal conduite. HÉRACLÈS Ô toi, le pire de tous les hommes, tu as le front de me rappeler Cette mère qui a tué ton père, et tu veux que je t'écoute ? HYLLOS Je ne puis me taire, dans de telles circonstances. HÉRACLÈS En effet ! Quand on sait ce qu'elle a déjà fait. HYLLOS Tu changeras d'avis, après ce qui s'est passé aujourd'hui. HÉRACLÈS Parle ; mais fais attention à ce que tu dis. HYLLOS Eh bien, elle vient de mourir de ses blessures. HÉRACLÈS Qui les lui a infligées ? C'est terrible ! Je n'en reviens pas ! HYLLOS Elle s'est elle-même donné la mort ; personne ne l'a frappée. HÉRACLÈS Quoi ? Avant de mourir, comme elle aurait dû, de ma main ? HYLLOS Tu serais furieux pour d'autres raisons, si tu savais tout. HÉRACLÈS Tu tiens là un étrange langage ; dis-moi où tu veux en venir. HYLLOS Elle a mal agi, en un mot, en voulant bien faire. HÉRACLÈS Bien faire ! Misérable ! Ce qu'elle a fait, c'est tuer ton père. HYLLOS Elle croyait se servir d'un baume capable de te retenir – Mal lui en a pris – elle te voyait prêt à en épouser une autre ici. HÉRACLÈS Qui a pu lui en donner la recette à Trachis ? HYLLOS C'est Nessos qui l'a jadis convaincue D'employer ce baume pour exaspérer tes désirs. HÉRACLÈS C'est vraiment ma chance ! Je suis anéanti ; C'est fini pour moi, bien fini, je n'entrevois aucune lumière ; Pauvre de moi. Je mesure l'étendue de mon infortune. Va, mon fils, tu n'as plus de père ; Fais venir tous mes enfants, tes frères, Fais venir la malheureuse Alcmène, pour ce que ça lui a servi D'être à Zeus ! pour savoir le reste Des oracles que je suis le seul à connaître. 1150 HYLLOS Mais ta mère n'est pas ici, elle est au bord de la mer À Tirynthe où elle est allée s'installer. Elle a pris quelques-uns de tes enfants qu'elle élève elle-même. Les autres, sache-le, vivent dans la citadelle de Thèbes. Et nous, qui sommes là, s'il y a, mon père, quelque chose À faire, parle, nous sommes prêts à suivre tes ordres. HÉRACLÈS Bon, écoute ce que j'attends de toi ; le moment est venu De montrer l'homme que tu es, toi qui portes mon nom. Mon père m'a jadis fait une prophétie : Je ne serais tué par aucun être qui respire, Mais par un mort, par un hôte d'Hadès. Il s'agissait du Centaure, de cette bête qui a réalisé le divin Oracle, c'est ainsi que mort, il m'a tué, moi qui étais vivant. Et ce n'est pas tout, je te révélerai d'autres prédictions Qui le confirment, elles m'ont été faites jadis, Je m'étais engagé dans les forêts des Selles, Des montagnards qui couchent par terre, j'ai noté Ce que me disait le chêne de mon père, aux mille voix : Si je me retrouvais à ce moment précis vivant et à cet endroit, Toutes les épreuves qui m'avaient été infligées, J'en verrais la fin. Et je pensais connaître alors le bonheur ; Mais il n'était question que de ma mort ; Ceux qui sont morts, c'en est fini de leurs épreuves. Maintenant que tout est clair et s'accomplit, mon fils, Il te faut combattre aux côtés de l'homme que je suis à présent, Et ne pas attendre que ma bouche trahisse mon impatience. Ne résiste pas, aide-moi, il n'est pas de loi Plus belle, comprends-le, que celle qui dit d'obéir à son père. HYLLOS Je suis inquiet, mon père, du tour que prennent Nos paroles, mais je suivrai tes instructions. HÉRACLÈS Pour commencer, avance vers moi ta main droite. HYLLOS Pourquoi me demandes-tu d'accomplir un acte aussi solennel ? HÉRACLÈS Qu'attends-tu ? Tu ne vas pas me lâcher ? HYLLOS La voici. Tu n'entendras plus aucune objection. HÉRACLÈS Jure par la tête de Zeus qui m'a engendré... HYLLOS De quoi faire ? Vas-tu me le dire, enfin ? HÉRACLÈS D'accomplir jusqu'au bout les actes que je te dirai. HYLLOS J'en fais le serment, en prenant Zeus à témoin. HÉRACLÈS Si tu t'en écartes, demande-lui de t'accabler de malheurs. HYLLOS Aucune chance, je le respecterai. Mais je me soumets à ce vœu. HÉRACLÈS Connais-tu le plus haut sommet de l'Œta, la montagne de Zeus ? HYLLOS Je le connais, j'y ai souvent offert des sacrifices. HÉRACLÈS Tu vas maintenant me prendre dans tes bras À toi et, avec tous les amis dont tu auras besoin, Il faut énormément de bois, des chênes aux racines profondes, Tu les abattras, tu couperas aussi une bonne quantité De branches d'olivier sauvage, tu jetteras mon corps là-dessus ; Avec une torche allumée, gorgée de résine, Tu y mettras le feu. Pas de larmes, ni de gémissements, Fais-le sans te plaindre, les yeux secs, si tu es bien 1200 Issu de moi, je t'attendrai sinon, et même au fond Des enfers, je te ferai sentir le poids de ma malédiction. HYLLOS Que dis-tu, mon père ? Qu'exiges-tu de moi ? HÉRACLÈS De faire ce qu'il faut ; sinon, sois le fils D'un autre père, et ne porte plus mon nom. HYLLOS Hélas ! Hélas ! À quoi me forces-tu, mon père ! À être ton assassin, à avoir ton sang sur les mains ! HÉRACLÈS Tout au contraire ! Tu es le seul à pouvoir me guérir, Le seul à pouvoir trouver un remède à tous mes maux. HYLLOS Mais comment soignerai-je ton corps, en le faisant brûler ? HÉRACLÈS Si c'est cela qui t'épouvante, charge-toi du reste. HYLLOS Je ne refuserai pas de te porter là-bas. HÉRACLÈS Ni de dresser ce bûcher, comme je te l'ai dit ? HYLLOS Tout ce que tu voudras, sans y mettre moi-même la main. Je ferai tout le reste. Ne t'inquiète pas, je ne m'y opposerai pas. HÉRACLÈS Je m'en contenterai ; tu m'as déjà rendu d'immenses services, Accorde-moi une faveur insignifiante à côté. HYLLOS Même si c'en est une grande, je le ferai. HÉRACLÈS Tu dois connaître la fille d'Eurytos ? HYLLOS Tu parles d'Iole, si je ne me trompe. HÉRACLÈS Tu m'as bien compris. Voici ce que je te demande, mon enfant : Cette femme, à ma mort, si tu veux te conduire Comme un bon fils, et respecter les serments faits à ton père, Prends-la pour femme, ne le refuse pas à ton père. Aucun autre homme que toi – elle a dormi À mes côtés – ne doit disposer d'elle. Crois-moi ; tu as accepté des tâches autrement difficiles, En me refusant ce petit service, tu perds les droits que tu avais à ma reconnaissance. HYLLOS Ah ! C'est une mauvaise action de s'emporter contre un malade, Mais qui pourrait supporter de le voir se mettre une telle idée en tête ? HÉRACLÈS Si je comprends bien, tu ne feras rien de ce que je te dis. HYLLOS Mais qui... C'est à cause d'elle seule que ma mère est morte, Et que, toi aussi, tu te trouves dans cet état, Qui, à moins d'être sous l'emprise de quelque démon, L'accepterait ? Je préférerais mourir, mon père, Que de vivre avec ce qui me fait le plus d'horreur. HÉRACLÈS À ce qu'on dirait, cet homme ne veut pas me rendre les devoirs Que l'on doit à un mourant. La malédiction des dieux Va tomber sur toi, puisque tu tu n'obtempères pas à mes paroles. HYLLOS Je sens que tu vas te mettre bientôt à délirer. HÉRACLÈS Pourquoi réveilles-tu un mal qui s'était assoupi ? HYLLOS Je n'en peux plus ; je ne sais plus où j'en suis. HÉRACLÈS Tu crois pouvoir refuser d'obéir à ton père. HYLLOS Dois-je apprendre à commettre des sacrilèges, mon père ? HÉRACLÈS Ce n'est pas un sacrilège de répondre à mes désirs. HYLLOS C'est ton dernier mot ? Il faut que je le fasse ? HÉRACLÈS Il le faut. Et j'en prends les dieux à témoin. HYLLOS Je le ferai donc. Je ne me déroberai pas; mais je montrerai Aux Dieux que c'est ton œuvre ; pas question 1250 Que je passe pour un méchant, en t'obéissant, mon père. HÉRACLÈS Tu prends là une bonne décision ; et acquitte-toi aussi Sans tarder, mon fils, de ta dernière tâche, avant que je sois pris D'une convulsion ou d'un élancement , pose-moi sur le bûcher. Allez ! Faites vite, soulevez-moi ; Je suis arrivé au bout De mes souffrances, c'est là que tout se termine pour moi. HYLLOS Plus rien ne nous empêche, de mener à bien cette tâche, Puisque tu l'exiges et que tu nous y contrains, mon père. HÉRACLÈS Vas-y, commence, avant le retour De la douleur ; ô mon âme sans faille, Applique à ta bouche un sceau d'acier, Mets un terme à tes cris, c'est avec joie Que tu vas venir à bout d'une tâche aussi ingrate. HYLLOS Prenez-le, mes amis, il faudra montrer Envers moi beaucoup d'indulgence, Car vous savez que les dieux montrent beaucoup D'indifférence devant ce qu'il nous reste à accomplir. Ils font des enfants, on proclame qu'ils en sont Les pères, et ils assistent sans broncher à de telles souffrances ! Personne ne voit l'avenir, Ce qui se passe à présent nous accable, Et les déshonore, Et celui qui en souffre le plus, de tous les hommes, C'est la victime d'une telle fatalité. LE CORYPHÉE Ne reste pas là, ma fille, loin de ce palais, Tu as vu des morts inoubliables, extraordinaires, Bien des souffrances inimaginables. Il n'est rien là dedans qui ne vienne de Zeus. *** texte : René Biberfeld - 2012 image : jhrobert et JP
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