La dédicace
Chapitre II
UNE DÉDICACE
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Gisèle Pouacre possède un exemplaire du dernier roman de Simone
Hauveceau, intitulé Un
jour sur la plage. L'argument est simple : des
enfants s'amusent avec un lasso. Par inadvertance l'un d'eux trébuche
au moment où il devait être capturé. Le lasso s'enroule autour de son
cou, et manque de l'étrangler. Horreur des parents. Heureusement, le
garçon qui tenait le lasso l'a immédiatement lâché, mais il reste une
trace. Le récit de l'incident : à peine cinq mille caractères dans un
prologue plutôt sec. Ce qui intéresse l'auteur, c'est l'évolution du
lanceur. Loin de se replier sur lui-même, il se lance gaillardement
dans le monde et peu s'en faut qu'il ne se hisse au sommet de l'État.
Mais il ne peut se débarrasser de l'impression qu'il a eue, non pas au
moment où il s'est rendu compte de sa maladresse, il a fait ce qu'il
fallait, sans hésiter, il a lâché la corde, mais lorsque il s'est
aperçu de l'horreur qu'il inspirait aux témoins. Il n'a cherché de
guetter ce sentiment dans le regard de chacun, et de l'y trouver. Sa
femme, ses enfants, ses amis arrivaient à la dissimuler, mais parfois
ils ne pouvaient s'empêcher de la laisser filtrer. Parmi ceux qui
l'applaudissaient à la tribune, il y en avait qui savaient… C'était
difficile de demander aux autres pourquoi ils le regardaient comme ça,
il ne le savait que trop. Simone Hauveceau parvenait à donner
l'impression que le public ne voyait que la vie apparemment enviable du
personnage, sans aucune consistance par rapport à l'autre, la sienne,
la vraie. Pire, sa famille, ses amis faisaient partie du public. Il
devait l'essentiel de sa réussite à ses qualités d'orateur, mais
manquait étrangement d'arguments en son for. L'horreur était là,
prégnante, irréfutable. L'on ne s'attendait pas à ce qu'il se pendît
juste au moment où on il devait assurer la présidence du Conseil
européen. Le travail d'un écrivain consiste à rendre plausibles de tels
développements. On comprenait que le protagoniste se donnait la mort au
moment précis où l'écart entre sa vie apparente et l'autre allait
prendre des proportions intolérables. Un suicide aussi improbable
donnait lieu à une enquête menée par un farfelu qui ne pouvait bien
réfléchir que lorsqu'il avait dormi ses dix heures d'affilée. Ce que
cela donnait était à ce point impressionnant qu'on se gardait bien
d'interrompre son sommeil. Pas question de lui confier des planques, un
fade porte à porte, la rédaction des rapports ou n'importe quelle autre
corvée. Il étudiait les documents qu'on lui soumettait, faisait
oralement un compte-rendu précis de ses réflexions, et abattait ainsi
en deux heures un travail qui passait l'imagination. Il aimait à dire
qu'il ne réfléchissait pas avec ses jambes. Après quoi, il mangeait
bien, et buvait du meilleur, abattait une quinzaine de kilomètres à
pied pour ne pas trop se laisser aller, avalait un bon bol de soupe, et
allait se coucher en priant sa famille de ne pas trop monter le son de
la télévision. Ce n'était pas la première fois qu'Albert Morfe
apparaissait dans l'un de ses romans. C'était la quatrième en tout, ce
qui n'est rien, si l'on tient compte du fait que la dame produisait un
roman tous les quinze mois. Ce curieux enquêteur réussissait à déterrer
l'histoire du lasso. Soulageant par la même occasion tous les suspects,
assez haut placés pour être contrariés par les décisions qu'il ne
manquerait pas de prendre.
– L'on aurait bien besoin d'un Albert Morfe pour
résoudre cette affaire, dit Alberta Fiselou.
– Je l'aimais bien, cette femme, dit Gisèle Pouacre.. Elle m'avait
demandé de lui donner une idée de notre ville avant que ses pionniers
de l'automobile ne sortent leurs bruyants bricolages. On ne songeait
même pas à faire tourner des fiacres en rond vingt-quatre heures
durant. Heureux temps ! Nous nous sommes croisées souvent depuis. Je ne
sais si elle pressentait quelque chose, mais elle m'a fait une étrange
dédicace.
Elle va chercher le livre et l'ouvre :
– Si vous passez par
là, vous comprendrez. Il ne reste plus qu'à
chercher par où il faudrait passer. Nous avons une description de la
crique où les gamins s'amusaient avec un lasso.
On se fait passer le livre.
– Je connais bien la côte bretonne, cela ne
correspond pas, il faut chercher plus bas.
– Vous souvient-il, fait Sophie Bernard, de notre
promenade en bicyclette sur la côte basque d'Hendaye à Bidart ?
– C'est un peu loin, dit Alberta Fiselou, nous étions en hypo-charte.
Nous en avons fait de plus goûteuses depuis. Nous étions incapables
d'apprécier et nous ne lisions pas les journaux. Et il n'y avait aucune
énigme à nous mettre sous la dent.
– Nous manquions
encore de souffle. Nous avons a poussé jusqu'à Bayonne pour prendre le
train. Il me semble qu'on devrait trouver de jolies criques dans le
coin, et pas trop différentes de celles dont il est question dans le
livre.
Les souvenirs sont vagues, une petite ville qui
surplombe une plage encaissée, peut-être.
– On prend Géoportail
ou nos bécanes ?
– Les bécanes, ça nous rafraîchira les souvenirs.
Elles se sentent parfaitement capables de boucler un peu plus de
quarante kilomètres. Prévoir deux nuitées, l'une à Hendaye, l'autre à
Bayonne. Plate saison, ces dames partent dès le lendemain.
– Nous apprendrons par les journaux les derniers
développements.
Elles ne pourront pas connaître les détails de
l'entrevue entre Jérôme Arnaud et le juge d'instruction.
Le juge est du genre bonhomme.
– Je vous épargnerai la peine de me répéter ce que j'ai sous les yeux.
Vous vous appelez bien Jérôme Arnaud, vous travaillez dans la troupe du
Vide-Grenier et vous habitez toujours chez Madame Simone Hauveceau.
– Je n'ai pas encore songé à déménager.
L'avocat fronce les sourcils. Son client se
reprend.
– Je ne sais plus ce que je dis, l'émotion, sans
doute.
– Vous n'ignorez pas la raison de votre présence
en ces lieux ?
– J'aurais bien été le seul.
– Je vous rappelle, dit Gérard Labarre, sans attendre que le juge
s'énerve, que vous ne donnez pas la réplique à un partenaire.
– Je m'oubliais… Quand on cherche à se rassurer… La pompe de ces lieux…
Mais je comprends, Monsieur le Juge, que vous ne teniez pas à vous
entretenir avec des gens un peu trop rassurés.
L'acteur a parlé de la façon la plus neutre, sans
accentuer les effets.
– Il n'y a pas de quoi être vraiment rassuré, Monsieur Arnaud. C'est
vous qui avez trouvé le corps, en ouvrant la porte de son domicile avec
une clé dont vous disposiez, puis celle de sa chambre…
Comme aucune question n'a été formulée, Jérôme Arnaud garde le silence.
Son avocat lui a conseillé de ne répondre qu'à celles qui étaient
clairement énoncées
– Comment avez-vous fait pour vérifier si elle
était morte ?
– J'ai tâté son pouls, et mis le verre de ma
montre devant sa bouche.
– La carotide, c'est encore plus sûr.
– Les connaissances de mon client en la matière sont limitées, dit
l'avocat. Il n'est ni médecin ni légiste. Il ne savait même pas qu'il
se trouvait sur les lieux d'un crime…
– Cette mort, dit Jérôme Arnaud me semblait
surprenante, mais naturelle.
– Elle est surprenante en effet, Monsieur le Juge, dit l'avocat,
aurait-on établi avec certitude qu'elle n'est pas naturelle ?
– Quand elle est si surprenante que ça, elle ne
peut être naturelle.
– Il n'y a pas que mon client qui se laisse entraîner à prononcer des
phrases malencontreuses, dit l'avocat. Si l'on était sûr que toutes les
morts surprenantes ne sont pas naturelles, vous ne sauriez où donner de
la tête. Mais je ne vois aucun inconvénient à ce que cette remarque
reste inscrite. Elle est frappée au coin du bon sens.
– Je ne puis vous dire à quel point j'apprécie
votre ironie.
– Je vous prie de m'en excuser.
– Le fait est que l'on a rarement vu une morte d'une constitution aussi
robuste, avec un cœur de coureur de fond, une capacité thoracique qui a
fait l'admiration de notre légiste, elle ne fumait pas, elle ne buvait
guère – nous avons pu le vérifier – les viscères
nobles se
présentent aussi bien, elle n'avait aucune raison de nous quitter aussi
brusquement. Si elle a été épouvantée par un mauvais rêve, son
organisme n'en garde aucune trace.
– Si l'examen
toxicologique vous avait fourni le moindre indice, vous vous seriez
empressé de pousser plus loin vos investigations. Si mes souvenirs sont
exacts, cette dame a soupé en ville, il n'y a pas que mon client qui
aurait pu dans ce cas lui administrer un bouillon de onze heures. On
n'aura pas manqué d'interroger ses commensaux : malgré les recherches
les plus avancées, il reste peut-être des substances encore inconnues.
Si un bacille, un virus foudroyant avait pris ses aises dans son
organisme, on s'en serait aperçu. Mon client avait, en tout bien tout
honneur, beaucoup d'affection pour Simone Hauveceau, il aimerait bien
savoir comment il s'y est pris pour la faire passer de vie à trépas.
Le juge ferme les yeux. Il faudra qu'il envoie ses officiers de police
judiciaire interroger ces fameux commensaux. Si l'avocat prenait ce
dîner au sérieux, il l'aurait gardé pour lui, rien que pour le plaisir
de le ressortir au tribunal, que les jurés puissent se faire une
opinion sur le sérieux de l'enquête. Il connaît l'animal. Celui-ci
n'abat pas ses cartes avant d'être sûr de son fait. Un simple
avertissement en fait.
– L'on peut, vous ne l'ignorez
pas, faire perdre conscience à un individu en bloquant l'espace de deux
ou trois secondes, l'afflux du sang au cerveau. On relâche la pression,
celui-ci est brusquement irrigué, ce qui provoque une syncope qui peut
durer quelques secondes, une minute parfois. Vous glissez la tête du
patient dans un petit sac de plastique, pour l'empêcher de respirer,
vous n'avez pas besoin de serrer au point de laisser une marque. On
risque à peine un soubresaut au moment du réveil. Faute d'oxygène, le
patient n'aura plus assez de forces pour se débattre.
–
Vous m'effrayez, Monsieur le Juge. Je n'ose vous demander ce que vous
faisiez à l'heure de la mort. Je ne doute pas que l'on puisse se livrer
à une opération aussi délicate sans laisser d'empreinte, ni le moindre
soupçon d'ADN.
– L'on trouve des gants aussi efficaces
que ceux des chirurgiens dans toutes les drogueries. J'en ai vu chez
une marchande de chocolats. Un simple foulard, vous empêche d'embuer
tout ce qui est à votre portée.
– Si j'ai bien compris,
cette dame aimait bien dormir les fenêtres ouvertes, sans fermer tout à
fait les volets. Les enquêteurs y ont bien pensé. Une inspectrice s'est
servi de mon échelle pour franchir la haie qui sépare mon jardin de la
propriété de Simone Hauveceau. A-t-elle laissé une trace ?
– Oui. Malgré le plaisir que j'éprouve à répondre à vos questions,
maître, il se trouve que j'ai un client à interroger.
– Je vous prie de m'excuser… On se laisse emporter.
– Ce n'est qu'une déformation professionnelle. Vous aurez tout le
loisir de plaider si l'on pousse plus loin l'affaire. Connaissiez-vous,
Monsieur Arnaud, les dispositions testamentaires de la défunte ?
– Non.
– Admettons. Elle vous laisse ses droits sur les pièces de théâtre
tirées de ses romans, et les films qu'en en a tiré.
– Deux films, avec celui que nous allons tourner…
– Le reste allant à ses héritiers légitimes qui se trouvaient à cent
kilomètres d'ici ou plus. Avez-vous une idée de ce que représente votre
part ?
– Nous n'avons jamais caché la façon dont nous
partagions les recettes. pour la pièce, elle a touché autant que chacun
des membres de la troupe, qui s'occupe en même temps des machineries,
des éclairages, de la sono, nous sommes une douzaine à assurer
l'intendance en dehors des scènes où notre présence est requise. Je
devais également assurer le rôle principal de la prochaine pièce, si
vous ne me retenez pas trop longtemps, je ferai de la figuration et
m'occuperai, comme les camarades qui ne seront pas sur scène, des
problème pratiques. Pour le reste, la mise en place est déjà réglée.
Sur ce point, j'ai fait mon travail. Nous sommes douze en tout, plus
l'auteur, ça fait treize. Elle aura donc touché un treizième des
recettes, qui sera naturellement partagé en douze. Le succès de nos
films nous assure une petite rente. Les bénéfices du prochain sera
divisé en douze. Quant au chiffre définitif, nous ne pouvons le
connaître tant qu'il ne sera pas diffusé dans les salles. C'est Louise
Terrin qui s'occupe de la comptabilité et de nos déclarations d'impôts.
Elle adore sinon les rôles de composition.
– N'est-ce
pas elle qui vous a donné l'idée de filmer vos propres représentations
? Ne vous a-t-elle pas procuré assez de fonds pour que puissiez acheter
le matériel nécessaire ?
– Sa part en a été accrue d'autant. Dès le premier
film, elle a récupéré sa mise, plus le treizième des bénéfices.
– Et ensuite ?
– Nous avons eu de quoi nous financer nous-mêmes. Nos frais sont
dérisoires par rapport à ce qui se fait ailleurs. Nous ne travaillons
que dans notre salle, ce qui limite le travail de repérage, pas besoin
de faire des essais, notre distribution reste la même. De plus, nos
camarades qui ont voulu courir la fortune ailleurs, touchent leur part
des pièces où ils ont figuré. Ils viennent parfois nous voir jouer, et
sont toujours les bienvenus. Mais il n'est pas question qu'ils
reviennent dans une troupe qui tourne parfaitement sans eux.
– C'est quand même madame Hauveceau qui a eu l'idée qui vous a assuré à
tous de confortables revenus. Elle aurait dû toucher des droits
supplémentaires.
– Elle ne demandait qu'à rentrer dans ses fonds.
– Je parle de droits supplémentaires sur les films
que vous avez tourné en suivant son idée.
– À ce compte, dit Gérard Labarre, chaque cinéaste
devrait payer des droits aux frères Lumière.
– Et chaque fabricant de CD à Charles Cros, grogne le juge. Je voulais
juste me faire une idée de ce que vous devez à la défunte. Combien
gagniez-vous avant ?
– Un petit SMIC, nous devions
faire parfois des animations pour boucler notre budget, et d'autres
travaux pour dégager de quoi entamer la saison suivante. Nous
partagions la même passion. Cela dit, nous nous trouvons à une heure de
la ville capitale, les critiques dans le Centre Ouest Républicain
ont
été assez élogieuses pour qu'on aie l'idée de venir nous voir
d'ailleurs. Quand les critiques de la presse nationale ont emboîté le
pas, nous avons vécu un peu plus à l'aise. Il fallait songer au
renouvellement du matériel, aux frais, mais il en restait un peu plus
pour nous.
– Vous êtes les propriétaires de cette salle ?
– Un ancien entrepôt qui tombait en ruines vendu pour rien.
Quelques-unes de nos familles ont discrètement contribué.
– Et ça ne leur a rien rapporté ?
– Ce qu'elles avaient avancé. Nous devons rester
nos propres producteurs.
– Une abbaye de Thélème à l'usage des comédiens,
un phalanstère, lance aimablement juge.
– Exactement... Je n'y avais jamais pensé.
– Qu'en pensent vos proches ?
– Plus de bien depuis que les bénéfices dégagés
leur permettent de vivre à l'aise.
– Il est des êtres qui n'ont pas l'impression de
vivre à l'aise s'ils ne le font pas sur un grand pied.
– Il en est, sans doute, mais la mort de Simone Hauveceau ne nous
rapportera jamais assez pour les satisfaire. Louis Arnaud, mon fils,
qui n'en a jamais fait partie parce qu'il craignait d'avoir à attendre
avant de se faire vraiment connaître, et ne se voyait pas perché sur
une poutre entre deux répétitions, est assez demandé sur les plateaux.
Il a brûlé quelques étapes. Ce n'est pas comme ça que nous travaillons.
Je ne suis metteur en scène que parce qu'on a reconnu mes qualités en
la matière. Il m'arrive aussi de peindre des décors, et j'ai le sens
des cadrages.
– Aucun membre de la troupe, ni vous, ni un autre,
n'avait de raisons de voir disparaître Simone Hauveceau...
– Aucun. Elle envisageait même de nouvelles expériences. S'étant
aperçue de son aisance à transformer de vrais romans en vraies pièces
(elle a un sens particulier pour ça, qui nous laissait pantois) elle
envisageait d'écrire directement des pièces et d'en faire ensuite de
vrais romans. Les écarts dans la construction, les péripéties, les
dialogues présentaient pour elle un intérêt supplémentaire. Sa mort
nous empêche de voir ce que cela pouvait donner.
– En fait, tout le monde avait de bonnes raisons
de la voir rester fraîche et gaillarde.
Un léger soupçon d'ironie.
– Il y a juste une chose que je ne m'explique pas,
poursuit le juge...
Il laisse planer sa phrase, attendant qu'on
intervienne, ce que fait le malheureux Jérôme Arnaud.
– C'est qu'elle soit morte.
Sourire du juge. Le suspect ignore que l'on appelle ce juge, Albert
Prédoux, le Boa.
L'avocat voudrait mettre son client en garde.
– Nous sommes bien obligés, dit le magistrat, de nous poser des
questions sur cette fameuse clé. L'on me dit que vous vous êtes
inquiété parce que vous aviez trouvé la porte fermée. Que c'est pour
cela que vous vous êtes servi de la clé. Vous aviez affirmé que vous
passiez voir la défunte chaque matin, et que vous trouviez la porte
ouverte. L'on n'a pas besoin d'une clé pour ouvrir une porte ouverte.
C'est aussi bête que de l'enfoncer. D'où ma question : pourquoi cette
clé ?
Jérôme Arnaud est assez surpris qu'il ne répond
pas tout de suite. Sa formation lui évite de se mettre à bredouiller.
Il reprend ses esprits, en fronçant les sourcils comme s'il ne voyait
pas l'utilité d'une tel détail. Le juge n'est pas du genre à le presser
alors de questions. Il fait tranquillement le geste de celui qui tourne
un sablier après avoir mis des œufs dans une casserole d'eau
bouillante. Gérard Labarre est trop fin pour répondre à la place de son
client. Et il fait bien. Celui-ci se décide.
– Je ne me
suis jamais posé la question, mais puisque vous me la posez, je puis
vous dire quand elle me l'a donnée : elle travaillait encore avec une
machine à l'ancienne qui montrait de plus en plus de signes de fatigue,
et il m'était arrivé deux ou trois fois de frapper sans qu'elle
entende. Elle était ensuite contrariée de ne pas m'avoir vu. Elle a
fini par me donner la clé. Je devais juste signaler ma présence et
attendre qu'elle ait fini de rédiger son paragraphe. Elle a fini par
renoncer à sa machine, et ne m'a pas réclamé que je la lui rende. Elle
se trouvait simplement dans mon trousseau avec les miennes et celles du
théâtre.
– Résumons-nous. Vous me corrigerez si je me
tompe... Vous connaissez Madame Hauveceau depuis qu'elle vous a donné
un coup de pouce pour vous lancer dans le théâtre filmé. Non contente
d'avancer des fonds, elle a mis à votre disposition toute une aile de
sa demeure, sans doute parce que l'idée lui plaisait qu'il vous
arriverait de répéter avec vos partenaires à deux pas de chez elle...
– Ce point n'a pas été aussi nettement abordé,
Monsieur le Juge, dit l'avocat.
– Je l'aborde, Maître... Je me demande comment Madame Hauveceau a pu
être amenée à vous loger à titre gracieux dans une aile de ses
appartements.
– J'en ai été aussi surpris que vous,
Monsieur le Juge. Je campais dans le théâtre même. Quand un de mes
camarades lui en parlé, elle m'a spontanément offert de me loger.
– Si tous les gens qui possédaient de vastes demeures pouvaient se
montrer aussi spontanés, l'on n'aurait plus besoin de défendre les
droits des sans domicile fixe. Passons. L'on ne prend pas quelqu'un
chez soi si l'on éprouve pour lui ne serait-ce qu'une légère
antipathie. Quelle était au juste la nature de vos liens ? Ce n'est pas
rien que d'installer à demeure quelqu'un chez soi.
– Une affection distante.
– Vous avez parlé à l'inspectrice Tançat d'attachement distant.
Seriez-vous passé de l'affection à l'attachement aussi distant soit-il ?
Un autre défaut du juge d'instruction. Une
déplaisante mémoire. L'autre ne se démonte pas.
– L'on a de l'affection pour les personnalités attachantes, ce qui
n'empêche pas de maintenir avec elles une certaine distance.
Il faudra travailler cette réplique, si on
l'utilise, se dit le suspect. Elle est pour le moins filandreuse.
– Admettons, dit le juge. Je n'ai rien contre les amitiés platoniques
et tendres. Si elle vous a financé, c'est qu'elle a apprécié votre
travail... Je n'ai pas non plus abordé ce point, maître. Voulez-vous
que nous approfondissions ?
Les yeux se sont plissés. C'est juste un
avertissement.
– Bon, comment a-t-elle pris contact avec vous ?
– Elle a demandé si elle pouvait assister en passant à une répétition
de temps à autre. Elle était déjà très connue. C'était comme une
consécration. Un jour, elle a eu cette idée. Quant à faire du théâtre
filmé, autant jouer franchement le jeu. Il y a eu d'illustre précédents
: un Assassinat du duc
de Guise qui n'est rien d'autre qu'une pantomime
filmée, les adaptions par Guitry de ses propres pièces, et la façon
dont Pagnol traite les paysages provençaux comme une scène qui permet
d'autres effets. Elle voulait sentir l'odeur des planches, sans voir le
public comme dans La
Flûte Enchantée de Bergman. Peu importent les
spectateurs, sauf pour les curieux de la Belle Époque qui parcourent
les loges avec leurs lorgnons. Armande Bilboquet voyait mieux que nous
ce que cela pouvait donner. Elle avait appris à tenir une caméra, et
elle nous a prodigué ses leçons, pour que nous sachions la tenir quand
elle était en scène. Mme Hauveceau adorait, quand elle passait nous
voir, observer la façon dont nous répétions de façon à offrir au public
le spectacle qu'il attendait, et à Armande les images qu'elle
souhaitait. Avant de la connaître nous survivions parce que nous avions
la vocation, et que nous nous arrangions pour que les frais restent
abordables, en mettant nous mêmes la main à la pâte, après nous avons
vécu à l'aise. Les vrais fauteuils ont remplacé les gradins improvisés.
Nous avons aussi aménagé le plus grand des bâtiments de l'entrepôt pour
recevoir plus de monde.
– Imaginez que vous vouliez
faire à présent une adaptation pour le théâtre d'un des anciens romans
de Simone Hauveceau, et la filmer, vous devriez négocier avec les
héritiers... Vous voyez maître, que je n'instruis pas qu'à charge...
– Nous ne le ferions que s'ils se pliaient à nos règles, et
consentaient à ne toucher qu'un treizième des bénéfices, une fois
prélevée la part des distributeurs, qui n'est pas mince. Mais la
meilleure adaptatrice de ses propres œuvres, c'est Simone Hauveceau,
comme nous l'avons constaté. C'est vous dire à quel point, mis à part
le chagrin que nous ressentons tous, nous regrettons sa disparition.
– Passiez-vous toujours la voir le matin, depuis
que vous habitez une aile de sa demeure ?
– Quand elle partait pour une quinzaine de jours, elle me demandait
d'aérer de temps en temps sa maison et d'y déposer son courrier...
– Vous aviez donc aussi la clé de sa boîte aux
lettres ?
– Oui comme celle de sa maison.
– Il était donc tout à fait naturel que vous ayez ces deux clés. Vous
m'avez dit tout à l'heure qu'elle ne vous les a jamais réclamées.
C'était normal que vous ayez puisque vous étiez chargé d'aérer sa
maison et de prendre son courrier. Pourquoi alors vous êtes-vous cru
obligé de me préciser qu'elle ne vous les a plus réclamées ?
Saviez-vous que cette dame dormait la fenêtre ouverte ?
– Ça fait deux questions à la fois, Monsieur le Juge, fait remarquer
Gérard Labarre. Mon client ne saura plus où il en est. Est-ce vraiment
cela que vous souhaitez, Monsieur le Juge ?
– Vous
pourrez me répondre dans l'ordre qui vous conviendra, maintenant que
Maître Labarre vous a donné le temps de réfléchir. D'abord vous avez
cette clé, parce que madame Hauveceau ne vous entend pas quand elle
travaille à la machine, ensuite parce que vous devez aérer la maison en
son absence.
– Je n'étais pas habitué, Monsieur le
Juge, à votre façon de conduire un interrogatoire. Elle m'a donné cette
clé pour que je puisse entrer chez elle quand elle tapait à la machine,
et ne m'entendait pas, elle me l'a laissée ensuite parce qu'elle n'y a
plus pensé, et elle a songé ensuite que, puisque je l'avais, je pouvais
bien lui rendre le service d'aérer la maison en son absence. Et je ne
vous ai pas donné exactement cette réponse, parce que nous étions passé
du coq à l'âne, et qu'il m'arrive parfois, comme à tout le monde, de
perdre le fil quand on me le fait perdre. Je savais qu'elle dormait la
fenêtre ouverte, malgré les objurgations de sa famille parce qu'elle me
l'a dit. Elle ne supportait pas de s'enfermer dans le noir, et
préférait bien se couvrir pour mieux profiter de l'air de la nuit. Un
souvenir peut-être du temps où elle campait entre deux étapes de ses
randonnées. Je crois qu'à présent, elle préfère descendre dans des
auberges. Elle envisageait d'explorer les régions au nord d'Inverness,
avec d'autres randonneurs, en automne. Je crois que leurs dispositions
étaient prises. D'autre part, sa fenêtre ne donnait pas sur la rue,
mais sur la haie derrière qui n'était pas surplombée par des immeubles
de rapport.
– Le portail, et l'entrée à côté n'ont
qu'une simple poignée et une serrure. Un rôdeur aurait dû parcourir une
cinquantaine de mètres à découvert, et même, s'il avait préféré longer
les haies, se découvrir à un moment ou à un autre.
– On
se découvre fort peu à trois heures du matin, fait remarquer l'avocat,
surtout si l'on attend de ne plus apercevoir la rue. La lune était
nouvelle, semble-t-il...
– Ce qui élargit, Maître,
l'éventail des possibilités. Inutile, Monsieur Arnaud, de vous préciser
que vous devez vous tenir à la disposition de la justice, et de vous
assigner à résidence. Vous pourrez continuer de répéter avec vos
camarades, mais il serait préférable que vous envisagiez d'être bientôt
retenu par nos soins.
Ces dames se sont résignées à
s'encombrer d'un appareil relativement encombrant. Emmeline Croin n'y
voit aucun inconvénient. L'ordinateur portable de Sophie Bernard ne
tient pas vraiment de place. Les impedimenta restent dans la limite du
raisonnable. Du thé froid pour se désaltérer, sucré au miel, dans des
thermos individuels ; Elles prendront leur déjeuner chez un
restaurateur du coin.
En attendant, elles ont fait le
voyage en compagnie de leurs vélos (chacune d'entre elles en a quatre,
afin de pouvoir se promener avec ses copines). Ce qu'elles cherchent,
c'est une crique correspondant exactement à celle décrite par la
défunte, avec une petite ville sur une hauteur juste au-dessus. Elles
longent une plage pleine de surfeurs avant de tomber sur cette fameuse
crique. Elles attachent leurs vélos avec leurs quatre antivols et les
arriment à un poteau avant de mitrailler la plage sous divers angles.
Elles descendent un sentier et enlèvent leurs chaussures avant de
s'engager sur le sable. Un maigre soleil fait gentiment ce qu'il peut,
et l'on trouve des braves des deux sexes qui n'ont pas hésité à se
mettre en maillot, malgré un petit fond d'air frais. C'est le cadre
qu'on veut prendre, mais il serait discourtois de leur demander de
quitter le champ. Emmeline Croin se débrouille comme elle peut. Leur
présence n'est pas passée inaperçue. Sous d'autres climats, il y aurait
eu un attroupement.
Le bouchon local n'est pas
désagréable. Pas autant de clients qu'en saison. Ces dames ont exprimé
le désir de féliciter le cuistot. On évoque en passant la personnalité
de la défunte. Celle-ci avait en effet une villa au-delà de la plage
aux surfeurs, dans la direction de Saint-Jean de Luz. Une mort bien
mystérieuse, l'on a mis en examen, faute de mieux, Jérôme Arnaud, le
comédien du Vide-Grenier.
Oui, l'on en a parlé dans le Sud-Ouest,
l'on
a même dit qu'il a demandé à Gérard Labarre de le défendre. Les gens du
coin ont connu sa famille. Elle avait une villa, qu'elle a vendu
depuis, au-dessus de la crique. Même La
Dépêche en a
parlé. Il y a
d'étranges coïncidences. Le comédien se fait défendre par un homme qui
passait autrefois ses vacances à un kilomètre à peine de la victime, le
monde est plus petit qu'on ne pense. Le frère de l'avocat fait une bien
belle carrière. Ces dames se disent qu'elles n'auraient pas réuni plus
d'informations à la mairie. Un garçon qui a failli étrangler son
petit-frère lequel a fait du chemin depuis. Le presque étranglé a pu
être aussi traumatisé, sur le coup, que l'étrangleur.
Reconstitution, la future auteure (il faut suivre les recommandations
d'une Académie qui craint les chiennes de garde) qui devait déjà aimer
la marche à pied a vu, en passant au-dessus de la crique, quelque chose
qu'elle n'aurait pas dû voir. Bien plus tard, elle juge que ça fera un
bon argument. Il suffit de se laisser aller en imaginant la suite. Elle
ignore qu'en l'utilisant elle réveillera des souffrances mal éteintes
(les clichés classiques n'ont rien perdu de leur saveur). Cela donne
trois suspects, si la mort n'est pas naturelle : le comédien, qui
n'avait aucun mobile apparent, l'avocat qui habitait derrière chez
elle, et son illustre cadet s'il se trouvait dans les environs, ce qui
reste à vérifier. Elle a même pu inventer la scène et ne pas y avoir
assisté. Il n'est même pas sûr que cet incident se soit produit.
En fait, il y a beaucoup trop d'incertitudes dans
cette affaire.
On a fini par rendre le corps à la famille. Ces dames arrivent à point
pour l'incinération. Gisèle Pouacre a été invitée, comme Gérard
Labarre, la troupe du Vide-Grenier – Jérôme Arnaud s'est
discrètement abstenu, il ira se recueillir au funérarium quand il aura
été définitivement disculpé – et tous ses compagnons de
randonnée, parmi lesquels son coquin intermittent. Madeleine Tançat n'a
pas été invitée, mais l'on comprend qu'elle soit là. L'on s'aperçoit à
cette occasion que la reine du crime avait un goût pervers pour les
airs de musette joués à l'accordéon. Elle l'assouvissait régulièrement,
quand il n'y avait personne dans les environs, mais la famille était au
courant, qui avait pris le genre en grippe. Ses enfants ont jugé que la
défunte aurait aimé que son corps fût réduit en cendres au son de
l'accordéon. Les simples familiers, fussent-ils des intimes, se
demandent si elle aurait apprécié que cette étrange faiblesse tombât
dans le domaine public.
Avant que tout le monde se
sépare – elle n'a pas été invitée au repas qui suit
–
Gisèle Pouacre se joint au groupe des randonneurs privés eux aussi du
rata de rigueur. L'on va manger dans un restaurant qu'elle connaît. La
conversation tombe sur le roman. Elle évoque la dédicace à laquelle
elle a eu droit. Ses commensaux ont reçu, eux aussi, des exemplaires
dédicacés. Et l'on sourit en se les rappelant. L'ancien coquin a été
ravi d'apprendre qu'Il
suffit d'un jour. Un autre qu'On
ne se
débarrasse pas de certains instants. Elle demande la
permission de
noter ce florilège, il y a une citation en grec de l'Œdipe Roi, pour un
ancien pédant, il y est question d'un destin qui a pris son élan pour
frapper, bien après, une cible qui n'en peut mais. L'on ne se
débarrasse jamais de ce qui aurait pu être, Malheur à ceux qui se
souviennent, Le cinéma se nourrit de retours en arrière comme les
simples d'esprit. L'idée correspond à l'argument du roman,
mais
pourquoi cette insistance ? Et si la mort de la romancière s'avérait
suspecte, envisageait-elle une réaction ? L'idée d'un message
d'outre-tombe effleure la tablée. L'auteur aime à servir ses messages
sibyllins aux lecteurs qu'elle apprécie et honore en leur envoyant des
exemplaires dédicacés. Elle en fait autant avec son éditeur et un
critique qu'elle estime, et refuse toute séance de signatures. Elle
fait parfois rire ses familiers en jouant l'auteur assis à sa table qui
cherche le chaland désespérément des yeux flanqué d'une pile de livres,
ou abat son travail répétitif et monotone en souriant, avec des
mimiques rodées, un arsenal de répliques bien senties, et des gags du
genre :
– Vous vous appelez Marcel ?
– Oui, mais c'est pour ma nièce.
– Et comment s'appelle-t-elle, votre
nièce ?
– Elle s'appelle Ginette.
– À Ginette, pour qui j'espère que ce
livre sera un cadeau... Et je signe.
Gisèle Pouacre rapporte cet échantillon de signatures à ses amies qui
ont accompli leur devoir de touristes en explorant la vieille ville
(***), les remparts romains exhumés(*), la cathédrale (**) et ses
vitraux (***), en admirant de la place, plus bas, les nombreux
arcs-boutants(***), en honorant d'un vague coup d'œil une horloge
florale(*), en visitant un petit musée consacré à une famille
bricoleuse, qui réussit à faire rouler une voiture à cinquante à
l'heure et apporta sa contribution aux progrès d'une aviation
balbutiante(*).
L'on s'accorde à trouver que point
besoin n'est de partir en quête d'autres dédicaces. Ou l'incident qui
affecte à ce point l'évolution du personnage principal s'est vraiment
produit, ou il est sorti de l'imagination de l'auteur. Dans le premier
cas, il faudrait trouver des témoins d'un fait qui n'a eu aucune
conséquence visible ce jour-là, et s'assurer qu'il continue à
empoisonner la vie d'un des acteurs. D'un point de vue légal, on risque
de ne parvenir à rien. Pour elles-mêmes y a-t-il le moindre intérêt à
remettre cette histoire sur le tapis ? Aucun si un innocent ne risque
pas d'être condamné. D'après leurs investigations, le suspect n'a pas
régulièrement fréquenté la crique dont l'auteur s'est inspiré. Il n'est
même pas sûr que cela le mette hors de cause. Ce fut une belle
excursion. Il n'y a aucune raison de pousser plus avant.
Il n'est pas exclu que Jérôme Arnaud se retrouve aux Assises. L'opinion
publique ne semble pas disposée à laisser les autorités tranquilles. Et
l'on doit craindre qu'un acteur qui monte des spectacles salués comme
il faut, ne soit un peu trop ménagé. L'ombre de Racine et de la
Brinvilliers plane au-dessus du théâtre, même si la romancière n'a rien
d'une Du Parc.
Le juge d'instruction a fait un résumé
décourageant au procureur, après avoir, sans aucun succès, interrogé
les membres de la troupe, qui ne dormaient pas non loin de la défunte,
et la famille qui ne pouvait savoir grand chose. J'ai fait ce que j'ai
pu avec Jérôme Arnaud : il avait bien une clé, il a bien trouvé le
corps et alerté dans l'ordre les premiers secours et la police. Vous
pouvez vous appuyer sur le fait que la maison est entourée d'une haie
de trois mètres, qu'il eût fallu une échelle pour la franchir,
l'utiliser sans attirer l'attention si l'on part d'un jardin attenant à
cette haie, ou se la trimballer discrètement dans la rue. D'autre part,
le bâtiment et ses abords sont bien en vue. L'on vous représentera que
le portail lui-même, et la petite entrée à côté ne sont pas
infranchissables, et que l'on peut à trois heures du matin longer les
haies sans se faire remarquer. Mes officiers de police judiciaire ont
fait l'expérience. Madame Tançat a franchi la haie, le commissaire n'a
eu aucun mal à passer par-dessus la petite porte, et il est parvenu
jusqu'à la fenêtre de la chambre où dormait cette dame sans se faire
voir. L'absence de traces de pas derrière le bâtiment ne prouve rien,
un éventuel assassin aura pu mettre ses chaussures dans des pantoufles
plus larges en tissu pour ne pas abîmer le gazon, comme l'on fait dans
les musées pour ne pas dégrader certains parquets. Je comptais sur une
maladresse de Jérôme Arnaud, il n'en a commis que d'insignifiantes, qui
n'ont même pas inquiété son avocat. Vous avez déjà parcouru cette pièce
d'un dossier squelettique. Si le cœur vous en dit, rien ne vous
interdit d'envoyer aux Assises le meurtrier d'une femme peut-être morte
d'une façon naturelle, dans une demeure dont il avait le malheur de
posséder sa clé, bien visible à partir d'une rue passante. Il n'avait
pas à parcourir une longue distance avant de parvenir à la porte. Vous
pourrez apprécier le travail de maître Labarre. Pour faciliter les
choses, la famille n'a pas jugé bon de se constituer partie civile.
Mais votre éloquence a parfois produit des miracles. Un miracle dans
une telle affaire ne manquera pas d'attirer l'attention et d'asseoir
votre réputation.
Le procureur a de l'estime pour le juge Prédoux,
mais il ne l'aime pas. Qui se prendrait d'affection pour un boa ?
Sentiments mitigés chez ces dames. Les excursions dans les environs,
rien à redire, Gisèle Pouacre veut faire découvrir la région à ses
amies. La mort de Simone Hauveceau, l'on n'apprendra rien de plus. Un
seul point qui mérite qu'on s'y arrête, Gérard Labarre a quarante-deux
ans, plus de quinze ans de moins que la défunte. Comme celle-ci aimait
autant la marche que le personnage qu'elle met parfois en scène, et
qu'elle parcourait sans doute régulièrement les sentiers qui longent la
côte, elle a pu effectivement surprendre la scène par laquelle s'ouvre
son roman. Est-ce que les dédicaces qu'elle a laissées le confirment ?
Il était naturel qu'elle songeât, en les improvisant, à l'argument de
son roman. La citation en grec ne contredit pas cette hypothèse. Elle
pourrait s'appliquer à bien d'autres œuvres. Jusque dans les westerns,
on utilise abondamment des images qui hantent un héros. Images d'un
bonheur révolu, familles massacrées. Sergio Leone ne s'est pas privé
d'exploiter le filon.
Pas la peine de s'éterniser dans
le coin, mais il n'est pas interdit de se retrouver si l'on juge bon
d'envoyer le comédien aux Assises.
Le juge
d'instruction est ravi de laisser le soin au procureur de mener cette
affaire comme il l'entend. Il ne comprend pas lui-même pourquoi on l'a
dérangé pour une morte qui ne présente aucun signe d'agression. Il
serait avocat, il ne se gênerait pas pour lancer joyeusement : "Que
reproche-t-on à mon client ? Que sa bienfaitrice se soit trop bien
portée avant de mourir ?" Ce n'est pas dans le style de Gérard Labarre,
qui refuse de se disperser en faisant rire la salle. À l'inverse de ses
collègues, il évite de prendre la salle à témoin. Le jury lui suffit.
L'équipe du commissaire n'a rien négligé. On a obligé le pauvre Serge
d'Aunis à lire Un Jour
sur la Plage – l'anecdote l'a fait
sourire – celui-ci a cru retrouver la fameuse crique en
scrutant
les côtes sur l'écran de son ordinateur, pris son téléphone
pour
demander à un collègue si Simone Hauveceau avait une propriété dans le
coin, et même appris que c'était le cas également de Gérard Labarre,
dont le pavillon se trouve au pied de la haie derrière laquelle la
romancière dormait la fenêtre ouverte. Trop de possibilités, lui a dit
le commissaire. L'acteur a fort bien pu sortir de chez lui, sans sa
clé, pénétrer dans la chambre de sa victime, si victime il y a,
l'étouffer on ne sait comment, rentrer chez lui, et découvrir le
cadavre en ouvrant la porte d'entrée avec sa clé. Il a dit qu'il a
frappé avant, avec insistance, c'est lui qui le dit ; qu'il est allé
dans la chambre de la morte parce qu'il était inquiet. Admettons.
En attendant, le comédien continue de faire répéter la pièce de Simone
Hauveceau, tirée d'un roman déjà en 'Poche'. On est même arrivé aux
fameuses couturières, quand l'on vient enfin chercher Jérôme Arnaud,
sans lui mettre les menottes, il n'a cessé de dire qu'il n'attendait
qu'une occasion de se disculper définitivement – il eût été
cruel
de la lui refuser.
Sophie Bernard reçoit, ainsi qu'Emmeline Croin et
Alberta Fiselou, ce message de Gisèle Pouacre :
"Ça y est, on envoie Jérôme Arnaud aux Assises. Je ne pourrai pas,
comme vous, assister de la salle aux débats, parce que je ferai partie
du jury. Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Je figure simplement sur les
listes électorales, et personne n'ignore que cela fait partie des
disgrâces qui peuvent toucher chaque électeur. Je pouvais me dispenser
de cette corvée en payant une amende. Ce n'est pas dans mon caractère.
Un vénéré bisaïeul n'avait pas de mots assez durs pour les planqués, il
soutenait qu'il faut faire comme les copains. Le mot me faisait froid
dans le dos. Il justifie les prétentions de n'importe quel sergent
recruteur. Et si je me suis fait inscrire sur les listes électorales,
c'est pour m'offrir le malin plaisir de voter régulièrement blanc. Si
encore on me consultait pour toutes les décisions qui risquent d'avoir
des répercussions dans la vie de tous les jours, je ferais comme les
citoyens athéniens, je remplirais volontiers mes devoirs. Mais pour
choisir un laquais des gens qui comptent, quels qu'ils soient, qu'on le
fasse sans moi. Je sais bien que le maire de ma commune, pour qui je
n'ai pas voté, doit régulièrement tirer au sort les administrés qui
pourront être appelés à siéger dans un jury d'Assises. Je ne me suis
pas trop inquiétée quand on m'a fait savoir que je figurais sur la
liste annuelle. J'ai tremblé quand j'ai appris que je figurais sur la
liste de session, mais pas trop : il n'y a que neuf jurés par affaire,
et chaque fois, il faut tirer au sort. Ni la défense, ni l'accusation
n'ayant jugé bon de me récuser, il me faut obtempérer. Une consolation,
j'ai le droit de prendre des notes, et de poser, par le truchement du
président, toutes les questions que je voudrai aux experts et aux
témoins. Puisque on m'a dérangée, je compte bien, quoique je n'aie tué
personne, être aussi encombrante qu+e le Septième Juré de
Lautner. Je me
garderai d'intervenir aussi souvent, mais je ne me sens pas disposée à
avaler n'importe quoi. Pour le reste, je suis prête à jouer le jeu, à
ne pas discuter avec vous de l'affaire, et à conserver le secret des
délibérations - je n'invente rien, c'est dans ces termes que l'on
s'exprime dans le serment des jurés, où l'on promet entre autres de ne
trahir les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni
ceux de la victime, ce qui me paraît un exercice pour le moins
difficile : l'accusé veut s'en sortir, la société maintenir son ordre,
et la victime que le suspect qu'on lui désigne écope du maximum. Cela
rend la partie encore plus piquante. Vous pourrez vous concerter, vous,
autant que vous voudrez, je serai, moi, dans le secret des dieux en
robe. Josiane Gerbille m'a envoyé un message pour me prévenir qu'elle
s'était laissé convaincre par le Gul
(1)
d'assister aux délibérations pour
en tirer une chronique. Elle a deviné que vous seriez chez moi. Elle a
demandé si elle pouvait me rencontrer après les débats. Je ne sais
comment elle a appris que je faisais partie du jury. Comme tout
rédacteur qui ne se respecte pas, le Gul a des antennes partout. Vous
pourrez discuter avec elle en mon absence. Nous ne lui dirons rien de
notre ballade sur la Côte Basque. Je n'ai pas jugé bon de suggérer
cette piste à qui de droit. Le commissaire Albert Thuil ne me semble
pas incompétent. Il aura lu le livre. Que la fête commence."
Gisèle Pouacre a juste le temps d'aller chercher chacune de ces dames à
la gare. Un quart d'heure de marche pour y parvenir, autant pour le
retour. C'est d'abord Alberta Fiselou qui récupère le parapluie que lui
tend son amie. Les passants sont moins surpris de voir deux dames avec
un parapluie, que d'en avoir vu une avec deux, dont l'un est ouvert, et
l'autre prêt à remplacer le premier en cas de défaillance. Deux
va-et-vient encore sous une pluie battante, avec un parapluie
supplémentaire, ce qui fait que les habitués voient passer
successivement une, deux, trois et quatre femmes, dont la tenue ne peut
qu'intriguer les spectateurs.
On compulse les derniers numéros du Centre-Ouest Républicain.
Jérôme Arnaud souhaiter se faire arrêter pour en garder un souvenir. Il
se faisait accompagner chaque soir d'Armande Bilboquet avec sa petite
caméra et d'un autre camarade chargé de s'assurer que le son serait
parfait. Un dispositif un peu plus élaboré attendait les officiers de
police judiciaire au Vide-Grenier.
Jérôme Arnaud se montrait succinct
dans les entretiens qu'il accordait aux correspondants locaux, lâchant
des traits que lui avait soufflés Joseph Bourdeau, tels que :
– Rien ne peut, autant que les Assisses, établir
l'innocence d'un prévenu.
Il en était sûr lui-même, mais l'on ne peut s'en tenir au témoignage
d'un seul individu, si l'on s'en tient à ce vieux principe : Testis
unus, testis nullus. Un suspect est par nature partial. Il
s'obstine à
protester de son innocence. Comme les témoins assistés qui prennent un
avocat pour défendre leur point de vue. Ce citoyen-là ne demandait qu'à
comparaître devant la justice de son pays, dût-il se faire passer les
menottes et connaître les joies de la prison, dût-il tâter d'une
préventive censée briser les volontés les plus fermes. Comme chacun
sait, les volontés les plus fermes s'en sortent fort bien, les autres
ne sont plus que des ombres.
Au lieu de quoi, on lui
fit savoir qu'il pouvait se présenter librement au tribunal, et
s'asseoir sur le banc des accusés, flanqué de deux pandores, comme la
coutume l'exige. C'est peut-être inhabituel, mais pas contraire à la
règle.
Pendant que Gisèle Pouacre se fait expliquer ce
qu'elle sait déjà sur ses devoirs de jurée, ses amies rencontrent
Josiane Gerbille dans un café, juste en face du Palais de Justice et
d'une église construite suivant les plans d'une visitandine, laquelle
église se recommande par un tableau de Lorrain représentant un étrange
Annonciation,
où un serveur beau comme un ange parle à l'oreille d'une
cliente qui vient de commander on ne sait quoi dans une taverne remplie
de joyeux drilles plus ou moins avinés, ce qui nous change de ces
scènes où un archangélique volatile s'acquitte de sa mission dans un
décor beaucoup moins familier. On s'étonne que cette Annonciation, même
pas signalée par les guides, ne soit exposée que dans une niche mal
éclairée. Gisèle Pouacre leur a dit que les prêtres de la paroisse ne
montrent qu'à peu de gens une nature morte où figure, en dehors du pain
et du vin, un pot de rillettes pour mieux faire passer le pain. Ces
maîtres ont préféré ne pas signer ces œuvres de peur de s'attirer les
foudres des talibans de ce temps-là, qui se sont un peu calmés depuis,
laissant à des furieux d'une autre obédience le soin de faire respecter
leur Seigneur et Maître. Cela évite à cette église la visite de
malandrins qui ne savent apprécier que les tableaux signés. Une
illustre culotte de peau se dresse fièrement sur un piédestal au milieu
de la place.
Après la mort tragique de son époux, qui a
laissé des reportages inoubliables, revus et corrigés par ses soins,
elle avait refusé de prendre sa suite au Centre-Ouest Républicain.
Elle
avait de loin en loin consenti à commettre des chroniques sur le style
et les postures des gens qui nous gouvernent. Elle ne se faisait même
pas rémunérer. Il était surprenant qu'elle passât une des courtes
vacances que l'on accorde aux enseignants pour satisfaire les
hôteliers, les restaurateurs, et les moniteurs de ski, à s'enfermer
dans une salle de tribunal au risque d'avoir à demander un congé pour
convenance personnelle à sa hiérarchie. Le Gul lui avait expliqué que
ce procès était un magnifique exemple des usages de notre Justice. Il
suffisait d'un rien pour coller quelqu'un au trou, l'ombre d'un
soupçon, un vague faisceau de présomptions. Comme bien des prévenus,
l'accusé n'avait pas d'autre tort que celui de s'être trouvé dans les
parages. Il se rappelait que lui-même, en 68, était passé en
correctionnelle parce qu'en sortant d'une boulangerie, il était passé
devant une vitrine qui allait être brisée. Il n'avait fait, sinon, que
haranguer les lycéens de sa classe. Il aurait eu du mal à se disculper,
si son père, honorablement connu, lui, n'était venu demander aux
magistrats comment le rejeton s'y était pris pour la casser, chargé
d'un Paris-Brest destiné à la famille ; le Paris-Brest était arrivé
intact à onze heures trente, comme pouvait l'attester la cuisinière,
alors que la vitrine avait été brisée cinq minutes avant. La pâtisserie
aurait souffert d'une course échevelée, et même d'une légère
bousculade. Il ne pouvait croire que les archers avaient fait
délibérément un faux témoignage. Ils avaient dû se tromper. Il y avait
même eu un entrefilet dans le Canard.
Cela n'avait pas suffi au Gul :
s'il avait bien digéré le Paris-Brest, ce simple délit de présence lui
était resté dans la gorge. L'on venait de renvoyer dans un cul de basse
fosse un quidam qui détestait des parents proprement assassinés, sans
véritable preuve. Selon sa formule, notre justice se passe de preuves,
pour ne pas avoir à les fabriquer comme on fait Outre-Atlantique. Ce
procès là, c'était du nanan. Il comptait sur une épouse qui avait si
bien saisi l'esprit de son défunt mari pour en tirer quelque chose de
farce. Surtout si l'acteur n'était pas acquitté. Non pas une
philippique. Une joyeuse pochade dont les magistrats ne se remettraient
pas.
Il faut arriver tôt, le jour du procès, si l'on
veut parvenir à entrer dans le Palais de Justice. Il y a là les acteurs
de la troupe, les enfants de la victime, et presque autant de curieux
que jadis, quand un archevêque avait mal pris qu'on le traitât de
barbeau sous prétexte qu'il possédait quelques biens immobiliers dans
la colline de la Cité où des bataillons de catins s'employaient à
pallier la misère sexuelle des notables comme des gens de peu, ou
lorsque deux sœurs affligées d'un grain exterminaient la famille qui
les employait afin d'offrir un sujet fort à un dramaturge de
l'Assistance tout droit sorti du violon. Ça faisait longtemps que la
ville n'était pas à pareille fête.
Parmi les invités
que l'on fait entrer en douce, quelqu'un a reconnu l'illustre frère de
l'avocat. Peut-être suit-il discrètement quand il peut les prestations
de son aîné. Il ne s'attarde pas, c'est un des enfants du pays qui a le
mieux réussi dans la vie. Faire partie d'une commission, quand on ne
siège pas dans la même salle qu'un ancien tortionnaire dont la
longévité fait l'admiration de tous et qui, tel un prince florentin a
su faire de son parti une entreprise familiale, cela pose un député
européen. L'institution a bien mérité des financiers qui nous
gouvernent et n'a pas volé son Nobel. Ces dames admirent au passage une
force qui va.
Elles sont assez bien placées, parce que
parties avant leur amie : celle-ci était sûre de trouver une place
assise. Elle a un peu atténué son air bonasse de Pierrot triste en se
faisant un chignon digne de ceux qu'on aimait voir chez Pauline Carton,
elle regarde l'assistance par-dessus ses lunettes, qu'elle a coincées
au bout de son nez légèrement épaté. L'ampleur de ses formes disparaît
sous une veste en laine mohair, quand même ouverte sur un chemisier
assez ordinaire, car la salle est bien chauffée. Elle n'aurait pas
hésité sinon à se mettre régulièrement des gouttes dans le nez.
On la connaît bien, pour l'avoir vue faire en vélo le tour de ses
fournisseurs préférés. Quand elle travaillait encore, c'était une
personnalité en vue, quoique discrète, dans la mesure où elle ne se
commettait pas dans les mauvais lieux. Elle commentait, devant les
visiteurs les archives de la ville, et il lui était arrivé de faire des
interventions dans les salles des actes des lycées, chaque fois que
l'on jugeait bon de retracer l'histoire de la ville à partir des
documents conservés, malgré les bombardements des alliés venus libérer
notre territoire. Elle utilisait alors sa voix des grands jours, sourde
et vibrante, qui saisissait jusqu'aux auditeurs les plus éloignés.
Elle observe les préliminaires avec un sérieux si affecté que certains
ont quelque peine à retenir un fou-rire. Surtout quand elle foudroie du
regard le président du tribunal qui menaçait de se laisser aller. Le
public ne s'y trompe pas, elle prend sa mission au sérieux.
Le substitut du procureur sent, il ne sait pourquoi, un frisson lui
parcourir l'échine. Il aurait su, il aurait récusé cette dame.
Cela ne l'empêche pas d'exposer les faits. Le présumé innocent aurait
cru échapper à la justice en expédiant sa victime d'une façon on ne
peut plus subtile pour des raisons que l'on peine à comprendre. Il ne
prévoyait pas que nos officiers de police judiciaires seraient à même
de reconstituer la scène, comme on pourra le constater au cours des
débats. Mais il ne pouvait éviter d'être la seule personne qui ait eu
la possibilité de commettre cet acte inqualifiable. Il faisait
confiance au jury pour apprécier comme il fallait un faisceau de
présomptions pour le moins accablant.
Gérard Labarre
félicite benoîtement le substitut pour la clarté de son exposé, et se
dit sûr que le jury saura apprécier la valeur de ce faisceau de
présomptions.
Cela n'étonne personne. Un commentateur
qui avait des lettres l'avait à ses débuts comparé à Phocion. Presque
personne ne savait qui était Phocion, mais l'on s'accordait à trouver
cette comparaison pertinente.
Alberta Fiselou émettrait
quelques réserves. Démosthène appelait Phocion la hache de ses
discours, elle a plutôt l'impression d'avoir vu un soufflé qui retombe.
L'avocat n'a regardé que le substitut en le félicitant à sa façon. Pas
un regard pour le jury, ni pour la salle. Pas un sourire. Si
l'accusation s'obstine à faire monter des soufflés, la tâche de la
défense sera encore plus facile.
(1) Norbert
Larousse, le rédacteur en chef du Centre Ouest Républicain,
affectueusement surnommé le GUL (Grand Usuel Larousse) par son équipe.
(Voir Quatre dames en bateau
dans la même série)
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