Quand le poisson est pris, on oublie la nasse.
Quand le lièvre est capturé, le piège n'a plus d'intérêt...
Tchoang-tzeu ; 26 -L
Trad. Léon Wieger
I
Regardez-moi
- Regardez-moi.
Je la fixe.
En général, j'évite de fixer les gens. Ils n'aiment pas trop. Ça les gène
de se sentir observés. Au bout de quelques secondes, ils laissent
transparaître une émotion, ou plus. Quand on garde les yeux fixés sur
son vis-à-vis, c'est pour l'intimider en général. Cela fait partie des
codes. Les codes humains, c'est comparable au fonctionnement d'une
machine. En beaucoup moins élaboré parfois, mais plus souple
d'utilisation. On ne regarde pas à la dépense. Tant de connexions pour
n'aboutir qu'à des résultats souvent simples. Dans un dispositif
matériel, chaque pièce a son utilité. Le moindre animal dispose d'une
machinerie infiniment plus complexe, et sans doute une majorité de
pièces qui ne lui serviront jamais de rien. La vie ne regarde pas à la
dépense. Vous pourrez vous entraîner jusqu'à ce que muscles et tendons
se grippent, exercer votre mémoire, vous efforcer d'utiliser votre
cerveau de la façon la plus efficace qui soit, vous croire l'espace
d'un instant supérieur à un autre spécimen de votre espèce. Cela
s'arrêtera là. Vous ne pouvez pas fonctionner à plein régime. Je n'ai
pas besoin de rêver.
J'ai mes talents comme chacun, et j'ai
consacré tout mon temps aux mécanismes les plus élaborés. Dans le
monde, je m'occupais de la partie informatique de plus en plus
envahissante dans les automobiles produites par la firme qui
m'employait. J'organisais des stages pour les garagistes. Il leur
faudra bientôt une formation équivalente à celle d'un ingénieur
aéronautique pour changer une roue. Et c'est tant mieux. L'usager doit
payer chèrement le droit d'encombrer la chaussée. Ce n'était que la
partie émergée, et rémunérée, de mon activité. Toute matière inerte ne
demande qu'à vivre en symbiose avec une autre matière inerte. Je ne me
suis jamais lassé d'explorer toutes les possibilités. Elle envahit le
paysage en lui imposant d'autres structures, pour épouser le rythme de
nos frénésies. Je suis né bricoleur, pour employer les mots de mon père
qui aurait bien voulu me voir faire des études de dentiste, afin de
reprendre son cabinet. C'est ma sœur qui s'y est collée. Moi, j'adorais
collectionner les instruments. Tous mes cadeaux de Noël ont été des
outils. Quand j'ai fait mes études supérieures de bricoleur, j'étais
déjà capable de réparer la plupart des dysfonctionnements dans notre
demeure. Pas besoin de convoquer le plombier, le maçon, le couvreur.
Quand il a fallu nous établir, notre
maison, c'est moi qui l'ai bâtie, des fondations à la cheminée, avec
mes économies, le gros oeuvre et la finition. L'endroit où sont réunis
tous les fusibles, d'après Caroline, on dirait le cockpit du Concorde.
Caroline, c'est ma femme. Je m'appelle Saturnin. Des noms de canards et
de tortues.
Nous étions faits pour nous entendre. Ce
n'est pas moi qui le prétends, c'est Caroline. Elle a de l'esprit pour
deux. Et elle dévore des livres pour deux. Moi, j'ai mes
hangars-ateliers qui jouxtent la baraque. J'adore quand elle me
raconte. La façon dont on bricole un livre, ça ne m'a jamais intéressé.
Un pur manuel, pour employer la même expression que mes maîtres,
quoique j'aie coupé au lycée technique, où l'on rencontre plus de
branleurs que de vrais manuels. On m'accordait pour le reste le
bénéfice du doute parce que j'arrivais à écrire correctement dans ma
langue maternelle, et que les langues scientifiques, toutes farcies
qu'elles soient de symboles, ne m'ont jamais posé de problèmes. Je me
suis révélé plus tard capable de concevoir des algorithmes efficaces et
simples. Mais j'éprouve le besoin de toucher ce que je fais. C'est du
charabia, sans doute, mais je ne vois pas d'autres moyens d'exprimer
l'idée. Un besoin qui n'a été qu'à moitié assouvi dans mon métier.
Quoi qu'en pensent d'aucuns, un
entretien minutieux épargne beaucoup de peine. Caroline s'en amuse. Le
matin, après m'être dégourdi les jambes sur mon VTC, c'est
l'inspection. Je m'assure que tout fonctionne. J'ai conçu, bien avant
que ce fût à la mode, une maison écologique. Elle ne m'a coûté que le
prix du terrain, des matériaux, et la curiosité de quelques badauds qui
me traitaient d'illuminé. Un chantier de deux ans. On louait en
attendant. Il a fallu la complaisance d'un architecte de nos amis pour
que les plans fussent acceptés. Il n'est au courant que des trouvailles
techniques les plus évidentes. La maison, flanquée de son éolienne,
avec ses capteurs sur le toit, que je ne pouvais cacher, suscitait la
curiosité des spécialistes. Je ne suis pas un militant. Je me suis
empressé de doucher l'enthousiasme de quelques fondus. Charbonnier est
maître chez soi. J'ai construit mon garage et mes ateliers selon les
mêmes principes. Je n'ai besoin de personne pour réparer ma voiture. Je
n'ai d'ailleurs jamais eu à la réparer. Quand je travaillais encore,
elle avait droit à sa révision hebdomadaire. Après vingt ans, elle a
l'air de sortir de l'usine. Presque une pièce de collection. Pour
complaire à mes employeurs, j'en changeais régulièrement. J'ai cessé de
le faire quand je suis parvenu au sommet de la hiérarchie. Je la sors
d'ailleurs très peu. Je suis un être d'une autre époque. Bien que
gagnant bien ma vie, je n'ai jamais pris de crédit. Je n'achète que ce
que je peux acheter cash. Vu ce que je dépense, je dispose de
confortables revenus, que nous dilapidons libéralement, Caroline et
moi, quand nous en ressentons l'envie. Nos enfants ne partagent pas mon
goût de la belle ouvrage. Je passe souvent chez eux pour effectuer les
réparations nécessaires. Il leur arrive de m'appeler quand ils ont un
pépin. Je ne suis jamais parvenu à leur inculquer les précautions les
plus simples. Quand nous sortons de chez nous, nous descendons à
l'hôtel. Je ne vois pas l'intérêt de posséder des résidences
secondaires qui nous imposent leurs contraintes. Je ne pourrais pas les
entretenir comme la principale.
Je me suis bien gardé de m'étonner qu'on
me mît en garde à vue. C'est un privilège des autorités que de pouvoir
retenir un citoyen quand elles manquent de preuves convaincantes.
Depuis quatre ans, on trouve dans les endroits où je me rends au début
de l'été, avant les grandes transhumances, des jeunes filles étranglées
après avoir été violées. Toutes ces filles, très jeunes, sont parties
de chez elles sur un coup de tête. La première s'est fait étrangler à
Cascais (Portugal), la deuxième à Inverness (Écosse) - Caroline voulait
apprécier les charmes d'une nuit vraiment blanche ; la troisième à
Cancale (Île-et-Vilaine), la quatrième à Prague (République Tchèque).
Circonstance aggravante, des trottineurs du dimanche sont tombés sur un
cinquième cadavre, à quatre kilomètres de chez moi, au bord du Canal,
que je hante tous les jours à l'aube, avec mon vélo, comme le savent
tous les pêcheurs du coin. Je conçois qu'un tel faisceau de
coïncidences puisse me rendre suspect. Il n'est pas exclu que mon
habileté manuelle dans les domaines les plus divers me donnent quelques
atouts dans l'art de tordre le cou à des jeunes filles en rupture de
ban.
J'ai droit, pour la seconde fois, à
l'exposé minutieux de ce qui pourrait être retenu contre moi, si je le
voulais bien. Je suis sommé de trouver une explication valable. J'étais
là, j'avais l'occasion, comme bien d'autres touristes, des penchants
sans doute, comme tout le monde, la possibilité sans doute de violer et
d'étrangler un tendron largué, pas besoin de chercher l'arme du crime.
Je ne cessais de regarder mon interlocutrice. La machine tournait à
plein régime, comme celui des moteurs d'une voiture à l'heure de
l'auto-bilan. L'avantage des véhicules qui passent l'examen, c'est
qu'ils ne provoquent pas d'embouteillages. Le dernier cadavre a donc
été trouvé au bord du Canal, non loin de Castevin (Castovi pour les
gens du cru qui ne parlent plus le dialecte depuis deux générations,
mais tiennent à ce que les deux noms figurent sur le panneau à l'entrée
de notre agglomération) où j'habite, ce qui est censé m'accabler.
D'autant plus que ma mise en examen n'a pas manqué de susciter la
curiosité des journalistes.
- Avouez qu'il y a de quoi être intrigué.
C'est la seule chose que je suis disposé
à avouer. Mais l'impératif me semblant une simple figure de rhétorique,
je préfère continuer à la regarder. À force, ça commence à la gêner.
Cela semble exaspérer le collègue qui l'assiste, et dont je sens qu'il
viendrait à des voies de fait, sans aucun égard pour les cheveux blancs
qui me restent. Il entreprend d'accélérer le mouvement.
- Comment expliquez-vous un tel faisceau
de présomptions ?
Enfin une véritable question. Je
m'efforce de rester objectif.
- Si je me l'expliquais, je
m'empresserais de vous l'expliquer. Ne serait-ce que pour écourter un
entretien qui ne représente pour moi qu'un intérêt bien limité, puisque
vous n'envisagez pas, ce me semble, de solliciter mon assistance. Je
vous aiderais volontiers à m'innocenter, mais je ne vois pas comment.
Je comprends bien que je suis le seul suspect que vous ayez à vous
mettre sous la dent, ce n'est pas une raison pour essayer de vous
induire en erreur, surtout à mon détriment. J'admets également que vous
souhaitiez obtenir des aveux, fussent-ils mensongers, en me faisant,
comment dites-vous ? craquer, puisque c'est apparemment votre mission.
Mais je crains que cela ne fasse pas vraiment avancer votre enquête.
- Nous avons affaire à un rigolo, grince
le fonctionnaire.
La dame ne l'a pas apparemment entendu :
- Votre discours se tient, Monsieur
Plech, ce qui ne saurait, vous en conviendrez, constituer pour nous une
garantie.
Outre le fait que l'on ne me traite
jamais par mon patronyme au village, l'on dit M. Saturnin, je ne vois
rien à redire. Cette fonctionnaire est tenue de garder un ton officiel.
J'attends patiemment les questions que l'on se doit de poser à un
éventuel obsédé.
- Vos relations avec votre épouse vous
semblent-elles satisfaisantes ?
- Nous nous ajustons heureusement.
J'emploie à dessein un terme d'artisan.
Pour cette dame, l'idée que deux êtres s'ajustent comme deux pièces ne
s'impose pas d'emblée. Ses compétences linguistiques lui permettent de
sentir que l'adverbe semble adéquat pour ce que je veux dire. Trop
adéquat. S'ils sont restés courtois jusque là, c'est qu'on a déjà fait
appel à mes compétences il y a quelques années. La formation des
policiers à l'informatique laissait encore à désirer. Ils avaient saisi
l'ordinateur d'un particulier qui ne s'embarrassait pas de scrupules.
Les programmes de ces machines est plus ambitieux que ceux que l'on
trouve dans les véhicules ordinaires, et l'indélicat n'avait pas eu le
loisir de récupérer son disque dur. Malgré toutes les sécurités (il
touchait vraiment sa bille), il ne m'a pas fallu plus d'une vingtaine
de minutes pour dépiauter tout ça. Faites donc suivre à quelques
membres de votre équipe quelques stages approfondis. Faut vivre avec
son temps. Une façon polie de leur faire savoir que je ne suis pas un
auxiliaire de police. Un peu plus tard, je leur ai installé leur propre
matériel, en tenant compte des dernières trouvailles. Je garde les
miennes pour moi. Malgré les charges, ils hésitaient à priver le
village d'un plombier, d'un électricien, d'un couvreur toujours prêt à
rendre service. Mes propres innovations je les garde pour moi. Pas
question de les faire breveter. J'ai eu à m'entretenir avec un
représentant de hackers mécontents, en terrain neutre, à une table
correcte. J'avais installé dans mes programmes un dispositif boomerang
qui m'épargnait la peine de les nettoyer régulièrement. De quoi griller
ceux des intrus qui s'amusent à introduire des virus, en remontant à la
source quelles que soient les précautions. Des tas de saletés traînent
sur la toile. Il en est qu'aucun filtre ne réussit à désamorcer. Mon
système touche directement le responsable. On avait jugé bon de
m'envoyer un ambassadeur. Mon espièglerie avait occasionné quelques
frais. Ce n'est pas rien de remplacer des installations
irrémédiablement grillées. J'avais immédiatement rassuré l'ambassadeur.
Non, je n'avais pas l'intention de commercialiser le logiciel. Cela
reviendrait à me lancer dans une stupide bataille de tranchées, les
assiégés et les pirates rivalisant d'ingéniosité. Autant de temps
perdu. Je proposais une paix armée. Dès qu'une image apparaîtrait, cela
voudrait dire, tenez-vous en là, braves gens. Tant pis pour ceux qui
passeraient outre.
Je garde aussi pour moi mon système
contre les maraudeurs. Une petite gageure que je m'étais proposée au
moment de construire ma baraque écologique. Parvenu à un certain point,
celui qu'on n'a pas invité déclenche un mécanisme qui ferme toutes les
portes. Et elles sont solides, aussi difficiles à forcer que l'entrée.
Pendant que l'alarme couinera comme une âme en peine, et qu'à
l'intérieur on profitera d'infra-sons du genre déplaisant. Sous les
tuiles du toit et les capteurs, un système de résilles juxtaposées où
les masses s'enfoncent en vain. Je n'en serais quitte que pour les
réparations. Je n'ai rien contre les maraudeurs. Si l'on ne sait
comment s'y prendre, mon matériel devient carrément inutilisable
dehors. Et j'ai assez de sous pour le remplacer. Pas de meubles de
prix, pas de bijoux. Ce qui m'amusait en fait, c'était la prouesse
technique, le bricolage. Et ce à partir d'objets que l'on peut trouver
dans le commerce. Les bons jardiniers ont la main verte. Je l'ai pour
tout ce qui touche la matière. J'aurais pu suggérer bien des
innovations quand je travaillais dans l'informatique automobile. Je les
réserve pour mon usage particulier.
Je suis la providence du quartier. On
l'a vu quand un accident industriel a provoqué un peu partout des
déplacements et des fissures. Il n'en a coûté aux usagers que le prix
du matériau. S'agissant de notre maison, j'ai mes propres alertes.
Caroline est une bonne jardinière. Je lui ai installé un réseau de
goutte à goutte si efficace qu'on pourrait l'utiliser dans un désert.
Ce qui ne la dispense pas de sarcler, d'ébouillanter les mauvaises
herbes, de s'occuper des arbres. Ce n'est pas mon
rayon. Les cellules vivantes échappent à mes attentions. Je n'aurais
pas fait un bon médecin. Ni un bon dentiste quoi qu'en ait mon père. En
revanche je suis fort sensible aux mécanismes qui se créent d'eux-mêmes
quand deux êtres vivants ou plus de la même espèce se trouvent en
présence. Quoique l'on en pense, les phénomènes éthologiques obéissent
à des lois mécaniques. Et les lois mécaniques relèvent de mes
compétences. Deux individus donnés effectuent, quand leurs relations se
prolongent, des réglages dont ils restent inconscients, et qui
échappent aux protocoles. C'est pourquoi je nourris quelques doutes sur
l'analyse. Celui qui interprète ce qu'il entend, et pose de temps en
temps une question, quand il ne se contente pas de hocher la tête, ne
fait que mettre en branle une relation censée donner des résultats.
C'est aussi pertinent que lorsque des syndicalistes se mettent à
plusieurs pour pondre une motion. On aboutit à quelque doléance dans le
jargon couramment accepté. Je ne connais pas les gens. Mais je peux
saisir les procédures de mise au point. Surtout celles qui répondent à
certaines exigences, comme celles d'un interrogatoire. Un équilibre a
fini par s'établir entre la commissaire qui aimerait bien que l'affaire
avance, le lieutenant qui l'assiste et moi-même. Ce qui ne rassure pas
le lieutenant. L'affaire pourrait tourner à mon désavantage. Tant pis
pour les services rendus. Il entreprend de me bousculer.
- Je t'en foutrais des ajustements
heureux ! Qu'est-ce que ça veut dire? Comment ça se passe ?
Regarde-moi !
Je ne puis regarder deux personnes à la
fois. Je cesse donc de fixer la dame, pour satisfaire le monsieur. On
va essayer de répondre le plus exactement possible bien que l'on soit
justement agacé. À quoi rime ce brusque tutoiement ? Est-ce que je lui
demande s'il lui fait feuille de rose, à sa morue officielle ?
- Connaissez-vous les paroles de "Jean-Gilles,
mon gendre" ? Une chanson de salle de garde.
- Mais c'est qu'il se fout de nous ! Et
il essaie de nous mener en bateau !
Une impertinence pour le faire sortir de
ses gonds, et mesurer ses rapports avec sa supérieure.
- Je ne vous invite pas à m'accompagner
à Messine. Nous n'avons pas assez d'atomes crochus.
Normalement, j'ai droit à un pain. La
dame ne détourne pas les yeux pour l'autoriser à me le filer. Elle ne
quitte pas la salle. D'un regard, elle calme les débats.
- Trouvez-vous que c'est vraiment le
moment de plaisanter ?
- Je ne plaisantais pas. Une bonne
analogie fait gagner du temps. Un certain Jean-Gilles, qui vient de se
marier, demande à son beau-père, à propos de son épouse : "Mais que
devons-nous faire quand nous sommes entre nous ?" Je vous épargne les
suggestions du beau-père. Les chansons de salle de garde n'obéissent
pas aux règles de la bienséance. Mais je donne la réponse qui me semble
la plus appropriée : on fait ce qu'on peut et ce qui plaît. Nous dirons
donc que Caroline et moi, nous parvenons encore à faire ce qui nous
plaît, sans avoir besoin de chercher des expédients pour arriver à le
faire. Le détail ne concerne guère l'affaire qui nous occupe. Je n'ai
jamais violé ni étranglé Caroline, qui d'ailleurs n'a que cinq ans de
moins que moi, et se sent parfaitement à l'aise en société, ce qui ne
semble pas être le cas des victimes. Mes bricolages m'occupent
suffisamment pour que je n'aie pas besoin d'occuper mes mains
autrement, même en vacances. Et encore moins ici, où je suis souvent
sollicité pour différents travaux. Pas besoin d'une enquête de
proximité pour vous en assurer. Cela dit, je comprends votre attitude,
vous n'avez pas qu'un cadavre sur les bras.
Caroline aurait ajouté que ce n'était
pas une raison de me les coller sur le dos. Les calembours ce n'est pas
mon fort, et j'ai assez échauffé les humeurs du sanguin. Je conclus
donc sur une note apaisante :
- Vous êtes tenus d'envisager toutes les
possibilités. Je conviens que j'en représente une de prometteuse. Vous
comprendrez que je ne regrette point de ne pas répondre à vos attentes.
Je crois avoir fait le tour de la
question. Je les laisse se remettre. Ils s'accordent une petite pause,
voir s'ils ne trouveront pas un autre angle d'attaque.
Le lieutenant est un bon faire-valoir.
Cela ne ressemble pas vraiment au numéro largement utilisé dans les
feuilletons policiers, l'accommodant et le brutal, le Pierrot et
l'Auguste. Il joue un rôle dans le mécanisme. C'est sans doute une
fausse brute, qui vous prépare aux importunités du compagnon de cellule
et du gardien qui fermera les yeux. La prison n'a jamais à mon avis
corrigé qui que ce soit. C'est un spectre que l'on brandit devant les
populations. Il serait moins effrayant si les conditions de détention
étaient humaines. Ceux qui parlent de les améliorer ignorent leur
fonction. Je dois envisager une préventive qui m'épouvante moins que
d'autres. Les prisons doivent être des machines comme les autres. Dès
qu'on est deux, quelque chose s'enclenche. J'ai très vite appris à
contrôler le fonctionnement de cette machine, suffit de faire
abstraction des gens qui la composent, en déterminant la nature de la
pièce. Encore faut-il pouvoir considérer nos semblables comme des
pièces. Il n'y a rien de méprisant dans ce que je dis. Je suis une
pièce comme une autre, dès qu'une relation s'établit qui dépasse le
cadre de la courtoise neutralité. Suffit de trouver le régime adéquat.
Concernant les sentiments, nous sommes à une époque où tout le monde
veut vivre en surrégime. L'influence, si j'en crois Caroline, d'un
dix-huitième pleurard qui dégénère en fontaine au siècle suivant. Je
n'étais pas de bois. Il n'y a rien d'ingrat dans ma physionomie, je
dispose d'un physique passe-partout, je ne suis pas du genre à formuler
des exigences. La surenchère est étrangère à mon caractère, on est
tenu, à moins d'être un tyran, de proposer autant qu'on réclame. Sans
être à l'affût des aubaines, je me suis assez souvent laissé séduire.
Quelques mots pour que le mécanisme se mette en route, et j'étais
disponible. Je trouvais d'instinct les expressions et les gestes, les
attentions bienvenues. L'on finissait par me congédier parce que je
négligeais d'introduire les dysfonctionnements dont la plupart des
amants font leurs choux gras. Caroline est passée entre les mailles. Je
n'étais pas d'une beauté confondante, ce qui éliminait celles qui
rêvent à ce qui se fait de mieux, un bonheur trop plan finissait par
décourager celles qui ne vibreront jamais assez. Il était inévitable
que, rencontrant Caroline, je finisse par me fixer, je passerais sinon
encore de concubinage en concubinage. Caroline est la seule femme que
j'ai connue, qui se contentât d'un réglage impeccable. Je ne l'ai pas
trompée. Je ne crois pas qu'elle soit allée chercher ailleurs, à moins
que ce ne fût pour s'offrir une gaieté, ce qui me semblerait improbable
si j'étais d'humeur à m'inquiéter. Une de mes passions d'autrefois (je
parle de passion parce qu'elle était passionnée) m'a lâché, avant de
claquer la porte, que j'étais aussi vivant qu'un poisson mort.
L'intensité de la vie devait pour elle se mesurer avec un ampèremètre.
Je crois aux vertus d'un entretien régulier. Je vérifie les joints de
mes robinets dès que je sens la plus légère anomalie, je remplace les
pièces les plus fragiles de ma voiture avant qu'elles ne lâchent,
entraînant une réaction en chaîne. Quand les enfants vivaient encore
chez nous, je tirais parti de leurs impatiences pour en atténuer les
effets. Tous leurs efforts, au demeurant prévisibles, pour bousculer la
bonne ordonnance de la famille ont été neutralisés sans éclat. J'ai
même survécu, dans ma vie professionnelle aux intrigues, et je suis
parvenu à avancer sans me pousser. Les mécanismes sociaux, comme ceux
qui se fondent sur la matière, contiennent leur principe de
destruction. Les naines rouges furent des soleils comme les autres. Je
ne fais que ralentir le processus l'espace d'une vie humaine, la
mienne. Ce qui me rend particulièrement lénifiant, trop lénifiant même
dans ce cadre. La commissaire s'en rend compte. Toute enquête poussée
sur ma vie s'avérera stérile. Je ne suis pas un bon client. Les pires
criminels, il est vrai ne paient pas de mine.
Une chose m'intrigue cependant. La
commissaire n'éprouve aucune peine à refréner les furieux élans du
lieutenant. Et je ne la vois pas en dompteuse de fauves. Aucune énergie
contenue, aucune main de fer sous un gant de velours. Les collègues, ça
devient comme les vieux couples qui ont pris leurs marques. Un
spectacle bien rôdé qui vaudrait le déplacement si l'on ne vous
déplaçait pas sans vous demander votre avis. Les rouages me semblent
étrangement bien huilés dans ce commissariat. La commissaire, trois
lieutenants dont celui-ci, et une autre personne du sexe. Je me sens
incapable de distinguer les commandants des capitaines dans cette
petite riche ruche. J'en déduis que cette équipe doit être plus
efficace que d'autres. Ce n'est pas que ça colle. Ça marche, au delà
des sympathies et des antipathies. Fait assez rare pour être noté. Au
moins ne m'aura-t-on pas déplacé pour rien. S'il y a un lieutenant un
peu sanguin, c'est qu'ils en ont compris l'utilité. Cette utilité doit
être réelle, puisque je me rends compte que la machine ronronne.
J'envisage même la possibilité que le butor n'en soit pas un. L'on ne
se méfie pas des colériques. On croit qu'ils vous malmènent parce
qu'ils n'ont aucun autre moyen de se procurer des renseignements. La
hiérarchie demande des résultats. Il faut pouvoir présenter une boîte
pleine de biscuits pour qu'un juge puisse instruire. Dans une affaire
de pédophilie, je serais déjà en face d'un manche à balai qui ne
m'écouterait même pas, comme s'il s'agissait de respecter un quota. La
presse nationale n'est pas encore sur le coup. Ils iront sans doute
jusqu'au bout de la garde à vue. Vingt-quatre heures reconductibles si
un magistrat compétent les y autorise. Comme on ne me soupçonne pas de
m'adonner au terrorisme ou au trafic de stupéfiants, je ne risque pas
d'être retenu quatre jours. Bonne pâte, je n'ai pas insisté pour qu'on
me soumît à un examen médical, et je n'ai pas demandé à m'entretenir
avec un avocat. On a bien voulu prévenir ma femme, cela ne pouvait
troubler le bon déroulement de l'enquête, bien au contraire.
L'essentiel, c'était que je ne fusse pas présent lorsqu'on
l'interrogerait. Leurs collègues n'ont pas été déçus du voyage. Elle
n'a pas manqué de faire remarquer qu'elle se trouvait également sur les
lieux, en ajoutant qu'elle se régalait d'avance à l'idée de visiter les
locaux où l'on interroge puisqu'à bien y réfléchir, les mêmes charges
pesaient sur elle. Elle est comme ça, pince-sans-rire, mais mutine. Je
n'avais pas pensé à cette farce. Comme je suis incapable de répéter mot
pour mot ce qu'elle a répondu quand on l'a interrogée sur la nature de
nos relations, je vais essayer d'en donner un compte-rendu
approximatif, fondé sur ce qu'elle en a dit plus tard.
- Il me plaît toujours, et, d'après ce
que j'ai pu constater, je lui plais encore, et nous sommes bien décidés
à continuer de nous plaire, tant que ça nous plaira. Vous n'ignorez pas
que chaque couple trouve assez vite les attentions qui transportent et
s'y tiennent. Elles nous transportent encore assez pour que nous ne
soyons pas obligés de nous torturer l'esprit pour rester aimables. Les
précisions anatomiques ne me semblent pas indispensables. Vous avez
assez d'expérience pour m'entendre à demi-mot. J'ajoute que nous
n'avons jamais songé à nous convertir en couple satanique. Vous n'êtes
pas obligés de nous croire. Aurons-nous droit à une petite
confrontation ?
Paraît que la mine des officiers de
police judiciaire était à peindre. Au moins pouvaient-ils s'appuyer sur
un fait : nous étions là.
Ils n'envisageaient pas, en tout cas, de
gagner dans l'opération une inculpée supplémentaire, qui ne demanderait
qu'à se hisser à la dignité de prévenue.
Caroline a toujours eu du goût pour les
mystifications. Mais elle s'efforce en général de ne pas outrepasser
les bornes du bon goût. J'imagine que ma garde à vue lui inspire une
sainte colère. Elle n'ignorera pas qu'on la soupçonnera de vouloir
brouiller les pistes ; qu'on imaginera le pire ; que nous représentons
des criminels d'une autre trempe, parfaitement cyniques et sûrs de
rester impunis, pour qui les officiers de justice ne représentent qu'un
divertissement supplémentaire, et craignant si peu d'être confondus
qu'ils s'installent comme chez eux dans les locaux mêmes où l'on pense
les contraindre.
Ils la connaissent mal. Les meilleurs
canulars sont pour elle ceux que la victime ne peut soupçonner. Les
rigolos qui se tapent sur la cuisse au moment même où ils révèlent le
fin mot la font penser à des pâtissiers maladroits incapables d'amener
une pièce montée jusqu'à la table où l'on se prépare à la déguster.
Il est vrai qu'ils en prennent assez à
leur aise, les limiers perspicaces pour que l'on ait gagné le droit de
se détendre. Ils oublient qu'un prévenu n'est qu'un usager comme un
autre tant qu'on instruit son affaire. Il l'est encore au tribunal,
jusqu'à ce qu'on le condamne. Il n'existe aucune raison de leur
infliger les méchants procédés que l'on juge sans conséquence dans les
salles de police. La Nuit du 4 Août était censée abolir les privilèges
à venir, y compris ceux des enquêteurs impatients. Il est vrai que,
comme tous les révolutionnaires qui se respectent, les jacobins se sont
empressés de donner le mauvais exemple. On ne pense jamais assez bien
pour les gens qui veulent réformer les sociétés imparfaites. Concernant
les policiers, je ne suis pas sectaire. Si l'ensemble des usagers admet
de telles pratiques (il n'y a aucun mal à bousculer des affreux qui
n'hésiteront pas s'ils peuvent à vous bousculer), je suis prêt à les
accepter. En tout cas, l'on n'a pas jugé utile de m'interpeller à
l'aube, de me menotter, et de m'introduire le doigt dans le rectum
comme l'on fait aux journalistes. On m'a simplement gardé dans le
commissariat où l'on m'avait simplement prié de me rendre, ce que j'ai
fait, et à l'heure dite. On m'y a fait patienter trois bonnes heures
avant de s'occuper de moi. Plus que pour un examen de routine dans un
hôpital. J'arrive à l'âge où l'on passe un certain temps dans les
salles d'attente. Trois heures, cela devait faire partie de la mise en
condition. J'ai dû les décevoir en ne protestant pas. J'étais censé me
ronger les sangs. J'avais apporté de la lecture. Tout cela pour me dire
:
- Vous devez vous douter des raisons de
votre présence en ces lieux.
À quoi, j'ai répondu :
- Je ne me suis pas posé la question.
Mais je suis ouvert à toutes les suggestions.
Une machine en panne, il ne faut pas
l'aborder avec des idées préconçues. Je n'anticipe qu'à coup sûr. La
première était sincère. Dans la seconde, j'entendais exprimer ma bonne
volonté, mon désir de coopérer, comme ils disent. Ce n'est pas ainsi
que mes interlocuteurs les ont comprises. On ne prête jamais une
attention suffisante à l'état d'esprit de ses interlocuteurs. Caroline
m'a un jour expliqué que tout le tragique de Racine reposait sur des
gens qui ne disent jamais ce qu'il faut quand il faut aux gens qu'il
faut. Le théâtre de boulevard utilise moins finement les mêmes
artifices, en se contentant de modifier le rythme et les situations, en
usant des armoires plutôt que des rideaux qui cachent un puissant
redoutable. Le contexte était spécial. J'entrais dans la catégorie des
petits malins. Caroline m'a parlé d'une certaine Jane qui, dans une
nouvelle de Somerset Maugham, ne se rend vraiment pas compte qu'elle
est une humoriste. Les rires de l'assistance la plongent régulièrement
dans une profonde perplexité. Elle estimait n'avoir que du sens. Pour
un enquêteur, je devais paraître singulièrement impertinent.
Heureusement que ma mine ne s'accordait
pas à ce genre d'interprétation. Le ton restait courtois. Mon visage
n'exprimait même pas l'impassibilité du pince-sans-rire. Je
m'appliquais à gommer tout effet incongru. Tant pis si, à leurs yeux,
je me comportais instinctivement comme un habitué qui connaît la
musique. Ils avaient du mal à se faire une opinion. Le lieutenant
bouillait. La commissaire avait sûrement obtenu des succès en se
laissant entraîner sur le terrain de l'adversaire.
- Quand nous convoquons un citoyen,
c'est que nous nous posons des questions. C'est notre métier de nous
poser des questions, et nous comptons un peu sur vous pour nous aider à
y répondre.
Je vois le mécanisme s'enclencher. Une
approche apparemment innocente. Boulon cherche écrou. C'est comme ça
que cela se passe en général pour les êtres humains. Civilités et
signes de reconnaissance pour l'occasionnel, bricolage sur le tas si
quelque affinité. Un policier doit établir un rapport avec l'individu
dont il attend une réponse. L'autre est censé se montrer agressif,
indigné, complaisant, manipulateur ou fuyant. La simple neutralité,
assaisonnée d'une ombre de curiosité, ils ne sont pas habitués. Je
devrais affirmer ici que je suis prêt à donner toutes les réponses que
l'on voudra dans la mesure de mes possibilités, mais que je serais bien
en peine de fournir le moindre renseignement si j'ignore de quoi il
s'agit. À quoi l'on me rétorquerait que l'individu le plus ordinaire,
même s'il ne se pose aucune question, comme je viens de le reconnaître,
sait plus de choses qu'il ne croit. On peut à mon avis faire l'économie
de ces répliques. Je patiente. Pas longtemps.
- Vous avez sûrement entendu parler de
cette jeune fille qui a été retrouvée sur les bords du Canal.
Je me contente de hocher la tête.
Faudrait être sourd pour ne pas en avoir entendu parler. Il ne se passe
pas tant de choses que ça, à Castevin. Il n'était bruit que de cela
chez la boulangère, le marchand de journaux, et au Huit à Huit.
- C'est un trajet qui vous est familier.
Vous rentrez quand la majorité des gens se lèvent. Et je vous
comprends. En bicyclette, vous ne risquez de rencontrer que des
pêcheurs, des colverts et des ragondins.
Comme elle semble attendre une réponse,
je ne me fais pas prier :
- C'est exact. Pour l'instant, je n'ai
pas rencontré de cadavres.
- Si vous avez particulièrement retenu
notre attention, c'est qu'un meurtre identique a été commis à Cancale,
quand vous y séjourniez.
- En effet. Je ne savais pas alors qu'il
serait identique à un meurtre à venir. Cela a même fait la une de la
presse locale, il y a eu des articles dans les quotidiens nationaux, et
la télévision régionale en a profité pour se livrer à une sorte
d'enquête de proximité. J'ai pu apprécier le sérieux du gendarme que
l'on interviewait.
Je me retiens d'ajouter que si l'on me
garde assez longtemps j'aurai moi aussi droit aux attentions du petit
écran.
- Vous ne pouviez évidemment pas lire
dans les journaux que des crimes comparables avaient été commis à
Cascais, Inverness et Prague au moment où vous vous y trouviez. Les
touristes ne s'intéressent guère à la presse locale. On dirait que vous
agissez à la façon d'un révélateur. Votre présence fait apparaître des
cadavres de jeunes femmes un peu marginales, toutes violées, toutes
étranglées. Vous comprendrez que nous nous posions des questions.
- D'autant plus que chaque meurtrier a
eu l'indélicatesse de s'équiper d'un préservatif.
- Voilà un détail que nous n'avons pas
jugé utile de vous communiquer.
- Et qui va de soi. Vous ne m'avez pas
encore mis en demeure de fournir un échantillon de ma chevelure ou de
ma salive.
Mon emploi du temps à Castevin ne pose
aucun problème. Je me trouvais comme chaque matin au bord du Canal
entre chien et loup. J'avais donc la possibilité de forcer et
d'étrangler cette enfant, après avoir appuyé mon vélo à un platane.
J'aurais pris soin de laisser le cadavre bien en vue, au milieu du
chemin, avant de repartir. La capote soulève certaines objections.
Caroline ne pouvant plus avoir d'enfants (quand elle pouvait en avoir,
elle prenait la pilule), nous n'avons besoin de prendre aucune
précaution quand nous sommes d'humeur. Si les policiers
perquisitionnent, ils n'en trouveront pas chez moi. Inutile
d'interroger le personnel de toutes les pharmacies des environs,
l'article est en vente libre dans les supermarchés.
On se déclare surpris que je sois si au
fait des techniques de la police scientifique. Je rétorque que les
techniques en question, on les emploie quand un drôle a le malheur
d'emprunter le scooter d'un rejeton dont le père se trouve être
président de la République. Les criminels d'aujourd'hui regardent comme
moi la télévision, ce qui les incite à prendre des précautions
supplémentaires. Du reste, les progrès de la police scientifique
fournissent assez d'arguments aux conteurs depuis les travaux de M.
Bertillon.
- C'est qu'il a réponse à tout, grogne
le lieutenant.
Bien obligé quand on est interrogé. Je
m'abstiens de souligner les conditions injustes à laquelle doivent se
soumettre les suspects. Ils s'enfoncent quand ils ne trouvent pas de
réponse. Ils s'enfoncent encore plus s'ils répondent trop aisément.
Je ne désespère pas. Les spécimens
auxquels j'ai affaire me semblent assez fins. Ils seront capables
d'envisager le moment venu un changement de perspective aussi radical
que celui que Galilée, après Copernic, a eu du mal à faire accepter.
Prévenant d'autres questions, je précise
que j'ai loué des bicyclettes dans tous mes lieux de villégiature, ce
qui m'offre un rayon d'action raisonnable. Je dors peu, et j'ai besoin
de me dégourdir les jambes quand j'émerge.
C'est moi maintenant, qui me sens
d'humeur bavarde.
- On aura donc retrouvé toutes ces
jeunes femmes sur des chemins où je pouvais m'engager, assez fréquentés
cependant pour qu'on les retrouve assez vite. Les pistes cyclables dans
les sous-bois ne sont pas assez passantes. Ôtez-moi d'un doute : en
a-t-on trouvé dans des parcours qui n'étaient pas goudronnés ?
Le lieutenant ricane :
- Voudriez-vous nous faire croire que
l'on dépose des cadavres sur vos parcours habituels, rien que pour vous
contrarier ?
L'inversion du sujet cadre mal avec le
personnage qu'il se donne. Je hausse les épaules.
- Pourquoi voulez-vous qu'on veuille me
contrarier ? Je n'ai pas assez de compétences pour faire des
suppositions. Mais, puisque je suis soupçonné, il est normal que je
m'intéresse aux détails les plus insignifiants.
***
Texte R. Biberfeld - 2009
photo JH Robert - 1995
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