La dédicace
Chapitre III
OÚ L'ON S'APERCOIT
QUE RIEN N'EST ÉVIDENT
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Gisèle Pouacre croit rêver. L'accusation s'échine
à convaincre la Cour que Simone Hauveceau ne pouvait mourir de mort
naturelle à son âge en menant la vie qu'elle menait. D'après ses
enfants elle ne s'est jamais permis aucun excès au prétexte qu'elle
respectait trop la nourriture, les vignerons et les distillateurs pour
se bourrer et boire jusqu'à en perdre l'esprit. Elle avait connu assez
de fêtards dans sa famille, au demeurant honorablement connue. Elle ne
tenait pas à perpétuer une tradition qu'elle se gardait bien de
critiquer. Elle ne voyait pas l'intérêt de veiller, quand on
travaillait si bien au petit matin. Un mari trop tôt disparu n'avait pu
contrebalancer de telles humeurs, ce dont la progéniture avait
souffert, à qui l'on infligeait des mises solides faites sur mesure,
dût-on régulièrement les changer au gré de la croissance. La dite
progéniture n'avait pas jugé utile de continuer à abattre des
kilomètres à pied tous les week-ends, et n'avait jamais partagé son
goût pour les transports en commun. Sinon, comme disait leur mère, il
est bon de savoir se détendre, mais pas question de se laisser aller ou
de se lâcher. La maladie n'avait que peu de prise sur elle dans la
mesure où elle savait soigner ses convalescences. Elle n'avait jamais
fumé. Elle restait en somme fidèle à des principes qu'elle n'avait
jamais affichés. La discipline la plus rude, ç'avait été de s'habituer
au fait que l'on n'a pas raison parce qu'on parle plus fort que l'autre
et qu'il est vain de vouloir clouer le bec à qui que ce soit. Toujours
d'humeur égale, une frugale jovialité. Vrai, il n'y avait aucune raison
qu'elle nous quittât de la sorte.
Son éditeur abonde
dans le même sens. Elle avait régulièrement regardé ses commensaux se
taper la cloche, et boire jusqu'à plus soif, en se contentant de
déguster ce qu'on lui proposait. Lui-même estimait qu'un bon repas
n'est vraiment bon que si l'on débouclait sa ceinture. Elle ne
partageait pas cette conception, mais il ne fallait pas lui en conter
sur la qualité des produits et la préparation. Quand l'on était invité
à sa table, on se servait dans le plat et c'était fort bon. C'est elle
qui faisait la cuisine, et qui coupait les pièces de viande les
poissons et les volailles. Elle se conduisait en somme en gourmet de la
vie. S'agissant de sabler le champagne, elle tenait que les mousseux
les plus coûteux sont une insulte à l'intelligence et au goût, mais s'y
prêtait du bout des lèvres. Elle avait un jour froissé un grand chef,
en lui déclarant que son exposition était remarquable. Heureusement que
ses personnages ne lui ressemblaient pas… En tout cas, elle n'était pas
du genre à succomber à un coup de sang.
Ni à trop
solliciter son corps, affirmaient ses compagnons de randonnée. Elle
savait mesurer ses efforts. Pas plus d'une quarantaine de kilomètres
par jour, comme le soldat romain de base, d'un bon pas régulier.
Fallait-il qu'elle fût sûre de ses capacités pour s'aventurer, comme il
était prévu, dans les Highlands. L'on envisageait un circuit pour le
moins éprouvant, d'Inverness à John o' Groats, puis l'on pousserait
jusqu'au Cape Wrath, on longerait la côte jusqu'au Loch Torridon, et
l'on couperait par les terres pour regagner Inverness. Tout cela en une
quinzaine. En l'absence de cartes, l'on se contente d'imaginer. Un
membre du jury, charcutier de son état, songe à proposer cette virée à
des cyclotouristes de ses amis.
Josiane Gerbille se dit
qu'il y a là de quoi offrir une matière intéressante à quelques
discours chantant les vertus de la chère disparue, mais que cela
n'apporte aucune lumière sur l'affaire en cours. Elle s'étonne que
l'avocat ne soit pas encore intervenu. Il doit savoir ce qu'il fait. Il
essuie ce déferlement de témoins qui pourraient à la rigueur passionner
une compagnie d'assurances, mais ne manifeste aucun désir d'en
interroger un.
C'est ensuite le médecin de famille qui
regrette de ne pas la voir plus souvent. Elle ne vient le voir avant de
se lancer dans une nouvelle aventure que pour un 'check-up' toujours
encourageant.
Emmeline Croin fronce les sourcils. Ce praticien,
de toute évidence, a oublié ce qu'est un bilan de santé.
À chaque fois, le substitut du procureur a hoché
la tête, et regardé le jury en s'abstenant de toute remarque.
Il a le malheur, à la fin de cette série de témoignages, de regarder en
souriant Gérard Labarre qui dit, d'un ton posé :
– Je n'ai jamais douté, Monsieur le Substitut, que
si elle n'était pas morte, la défunte se porterait à merveille.
Ce que disant, il s'abstient de tout effet appuyé. Il a comme un geste
d'excuse pour tous ces témoins qu'on a dérangés pour rien, et attend
patiemment la suite.
L'ombre du héros de Pavie plane un
instant sur la salle. Le président attend gravement que l'accusation
s'indigne qu'on puisse plaisanter ainsi dans des circonstances aussi
graves.
Le substitut n'est pas un imbécile.
– Votre remarque, cher Maître me semble frappée au sceau du bon sens.
Il convient de ne jamais oublier ce que nous ont appris nos anciens.
Mais si vous le permettez, nous allons quitter le domaine de la sagesse
populaire, et laisser la place aux experts.
Au médecin
légiste d'abord qui a constaté le bon état du corps, l'absence de tout
signe d'agression, ou de substance douteuse, et jugé pour le moins
improbable que Simone Hauveceau soit morte naturellement, alors qu'elle
n'avait de toute évidence aucune raison de le faire.
Gisèle Pouacre s'agite comme si quelque chose ne lui allait pas. Une
agitation discrète au demeurant, dont le président ne peut que tenir
compte.
– Auriez-vous quelque précision à
demander au témoin ?
– J'aimerais comprendre la distinction qu'il fait entre le fort
improbable, et le réellement impossible. Peut-il affirmer, sans l'ombre
d'un doute, comme on dit, que Simone Hauveceau a été victime d'un
meurtre ?
– Je ne peux être aussi catégorique.
Mais l'on ne peut s'empêcher de concevoir sur cette mort quelques
doutes, et ces doutes m'ont semblé assez justifiés pour que j'en fasse
état.
Pour improviser cette pirouette, le légiste a dû
s'arracher à l'emprise de cette voix. Quoique cette jurée parle
naturellement, chaque syllabe semble s'imprimer dans le cerveau de
chacun.
– Puis-je dire un mot, Monsieur le
Président ? fait Gérard Labarre.
Le substitut craint le pire.
– Un scientifique, poursuit l'avocat, avec la permission de la Cour, ne
serait pas sérieux s'il n'envisageait pas l'ombre d'une incertitude. À
l'inverse du chat de Schrödinger, la victime, je hasarde ce mot puisque
l'accusation semble y tenir, la victime, dis-je, est bien morte, c'est
la seule chose dont nous soyons sûrs. Si notre éminent spécialiste
pouvait se montrer aussi formel, la médecine aurait fait comme un pas
de géant.
Le président se tourne vers la jurée :
– Cette réponse vous suffit-elle ?
Elle fait signe que oui ; mais ne peut s'empêcher
de murmurer, comme si elle se parlait à elle-même :
– Je veux bien admettre que les plus
grands experts d'aujourd'hui seront les Diafoirus de demain.
Le malheur, c'est que ce murmure vibre dans la salle de telle sorte que
tout le monde l'entend. La jurée s'est déjà replongée dans ses notes.
Elle relève la tête, devant le silence un peu gêné qui a suivi, et
s'empresse de rectifier.
– Je n'ai pas un instant douté des
compétences de ce médecin légiste en l'état actuel de nos connaissances.
– Mettons, gronde le substitut, que madame Simone Hauveceau, puisque
mon éminent confrère ne veut pas entendre parler de victime, a autant
de chances d'être morte de mort naturelle, que moi de gagner une grosse
somme à l'Euromillions.
– Nous sablerons le
champagne une autre fois, dit le président en souriant. Nous sommes
prêts à écouter votre prochain témoin.
Le témoin suivant, c'est le commissaire Albert
Thuil.
Joseph Bourdeau a apprécié l'échange comme il se
doit. Il imagine déjà la représentation.
Le commissaire s'étend longuement sur l'état des lieux à son arrivée,
et les soupçons dont il a été pris en constatant que la personne qui
avait trouvé le corps possédait les clés de la maison. Celle-ci eût
aussi bien pu passer par la fenêtre pour le découvrir, mais c'eût été
encore plus gênant. Toute mort aussi soudaine donne lieu à une
autopsie, et celle-ci a donné les résultats que l'on sait : aucune
trace de maladie, ou d'un malaise qui n'aurait pas manqué d'en laisser.
Faute d'indices décisifs, on pouvait imaginer un modus operandi. Il
était possible d'obtenir un tel résultat en provoquant l'inconscience
du sujet avant de glisser sa tête dans un sac en plastique. Il se
réveillerait trop tard pour se débattre. L'assassin récupère son sac,
essuie délicatement au besoin le visage de la victime – je fais
remarquer à l'accusation comme à la défense que l'on peut être victime
d'un infarctus – et va jeter le dit sac loin de là avant de nous
alerter. Il nous restait à vérifier que l'éventuel meurtrier ne pouvait
être que l'accusé. Nous sommes allés jusqu'à essayer de franchir la
haie qui entoure la propriété, ce qui est possible. Encore faudrait-il
disposer d'une autre échelle une fois sur la place pour retourner d'où
l'on est venu. Nous avons également songé à nous introduire dans la
propriété par l'entrée, ce qui est beaucoup plus aisé, à nous fondre
dans l'ombre des haies pour contourner la maison avant d'entrer par la
fenêtre qui, comme je l'ai déjà dit, était ouverte. C'est possible.
D'autant plus que, comme vous dira n'importe quel éphéméride, c'était
le jour de la nouvelle lune. Il n'y avait aucune trace sur le sol, et y
en aurait-il eu que cela n'aurait rien prouvé, n'importe quel occupant
d'une maison peut en faire le tour sans avoir de mauvaises intentions.
Dans une pièce, il suffit de disposer de ces larges pantoufles que l'on
trouve dans les musées aux parquets fragiles, ou même de patins. Les
deux se glissent facilement dans une poche où ils n'ont rien à craindre
de l'humidité. On se procure facilement des gants qui évitent de
laisser des empreintes. N'importe quel lecteur de films policiers sait
malheureusement la façon dont on peut faire pression sur les jugulaires
sans laisser de traces. L'opération ne requiert pas des compétences
exceptionnelles. J'ai poussé la conscience professionnelle jusqu'à me
prêter à une expérience. L'inspectrice Tançat a eu l'obligeance de me
faire perdre conscience et de glisser ma tête dans un sac devant mes
collègues et le juge d'instruction, qui l'a consigné dans ses dossiers.
Elle me l'a enlevé au bout de quelques secondes, ce qui m'a permis de
me réveiller. Mêmes causes, mêmes effets. Pas de trace.
Gisèle Pouacre lève à peine le doigt. Le Président
lui cède la parole.
– Cela donne-t-il des indications suffisantes pour qu'on puisse en
déduire ce qu'il en aurait été si l'expérience avait été menée jusqu'à
son terme ?
Cette voix… Un frisson parcourt la salle.
– Je ne peux pas m'avancer plus que ça. Mais nous avons poussé
l'expérience aussi loin que possible. Mes collègues ne tiennent pas à
se retrouver devant un tribunal et… la police manque d'effectifs.
Deuxième incertitude. La réponse convient parfaitement à la jurée. Elle
évite de faire remarquer que l'on a oublié le plus important en route,
à savoir l'accusé. Elle a juste montré qu'elle goûtait l'esprit du
commissaire.
C'est à Gérard Labarre d'interroger le
commissaire qu'il félicite du soin qu'il a pris à montrer que l'accusé
était mieux placé que personne pour commettre ce meurtre, s'il s'agit
bien d'un meurtre, pour des motifs que l'on n'est pas encore parvenu à
découvrir. Il lance pour finir :
– En somme il a pu le faire…
Le commissaire tombe dans le panneau :
– Absolument. Il a pu le faire…
L'avocat fronce les sourcils, en esquissant la mimique de celui qui
essaye de se rappeler, puis il lève la tête, comme s'il avait trouvé.
– Je vous remercie, Monsieur le
Commissaire.
Les plus vieux se rappellent un sketch assez connu de Pierre Dac et
Francis Blanche qui est entré dans la mémoire collective.
Sophie Bernard se demande si c'est bien habile de s'installer dans le
registre de la farce. La solution crève les yeux. Le cher maître
considère ce procès comme une farce. Mais, il devrait se méfier. Elle
se rappelait ce courtier condamné pour escroquerie pour avoir monté une
opération financière fictive, et invité à verser cinq milliards d'euros
à la banque pour laquelle il travaillait. Elle attend en vain que
toutes les opérations fictives subissent les foudres de la loi quels
que soit leurs résultats, et se dit que Gérard Labarre, au lieu
d'accumuler les pièces à la décharge de son client, que personne ne
veut prendre en compte, et des témoins que personne ne veut entendre,
aurait simplement demandé aux plaignants de jurer devant la Cour
qu'aucun de ses courtiers n'avait jamais effectué d'opérations fictives
avec son aval. Une fois bien établi que ne sont licites que les
escroqueries qui rapportent, on est fondé à condamner celles où l'on
perd un peu de sa culotte. Mais dans ce cas-là, il y avait d'autres
enjeux.
Dans ce procès, il semble qu'il ait les coudées
plus larges.
On finit par s'en prendre enfin à la seule chose
qui puisse embarrasser ses clients.
– Vous avez dit, à l'instruction, que madame Hauveceau vous avait
confié d'abord ses clés pour que vous puissiez entrer quand elle
n'était pas à même de vous entendre. Elle n'aurait pu vous entendre
parce qu'elle tapait sur une vieille machine à laquelle elle a fini par
renoncer parce que celle-ci tombait en ruines. Maintenez-vous ces
affirmations ?
– Oui, Monsieur le Substitut.
Comme le président du tribunal semble avoir laissé
toute latitude à l'accusation, elle y va franchement.
– Mais pourquoi voulait-elle que vous puissiez entrer, même si elle ne
pouvait vous entendre ? Elle aurait pu se trouver aussi bien sous sa
douche.
– Je passais lui présenter tous mes
respects, chaque matin, parce qu'elle m'avait assuré que cela lui
faisait plaisir.
– Je ne suis pas contre des
plaisirs aussi réguliers. Mais je ne puis m'éviter de me poser des
questions. Sur les liens que vous entreteniez avec cette dame.
Le prévenu le laisse s'interroger tout seul, en attendant d'être
lui-même interrogé. Le président s'abstient de lui demander de répondre
à une question qu'on ne lui a pas encore posée.
Le
substitut attendait simplement que son adversaire s'élevât contre un
tel harcèlement, et tous ces sous-entendus dignes d'un argousin
sue-la-bière qui confesse un client. L'avocat du suspect semble trouver
cela parfaitement naturel.
– Pouvez-vous m'éclairer sur ce point ?
– C'étaient des liens d'amitié.
– Amoureuse ?
– Pas le moins du monde.
– Vous avez parlé d'affection distante.
Qu'entendez-vous par là ?
– Rien de particulier. Il me semble que ces mots sont dans le
dictionnaire. Si leur alliance peut surprendre, ils n'ont rien
d'incompatible. Nous ne nous livrions à aucune des manifestations que
suppose le terme affection, bises, claques sur le dos, ou sur les
cuisses. Et la défunte ne mérite pas que l'on suppose la moindre
promiscuité entre nous. Y en aurait-il eu une, qu'elle eût été bien
expéditive, je passais la voir, c'est tout.
– Elle vous hébergeait. Cela ne
dénote-t-il pas une certaine affection ?
– Elle venait parfois me voir, juste en passant, elle aussi, et ne
s'attardait que lorsque je répétais chez moi une scène avec des
camarades. Bien qu'elle se soit assez intéressée à notre travail pour
nous avancer quelques fonds, qu'elle a récupérés largement, elle ne
s'est jamais montrée indiscrète. L'adaptation de ses romans nous
convaincus qu'elle avait des talents de dramaturge, et elle envisageait
d'écrire directement une pièce dont elle aurait tiré un roman. Nous
étions impatients de savoir ce que cela donnerait. Je n'étais pas le
seul à éprouver ce genre d'affection dont je parle. Elle n'était pas
d'un abord qui encourageât les familiarités, et même s'il nous arrive
de jouer les natures, nous n'étions pas preneurs.
– Admettons. Simone Hauveceau a fini par utiliser un ordinateur avec un
clavier moins bruyant, et vous avez gardé la clé, tout simplement parce
qu'elle ne vous l'a pas redemandée. À quoi pouvait-elle vous servir ?
Il n'était pas nécessaire de la garder.
–
D'autant moins qu'elle ne s'enfermait pas à clé, et ouvrait la porte
avant de se mettre à travailler. Plus personne ne pouvait entrer chez
elle sans qu'elle s'en rendît compte. Il est bon d'avoir près de chez
soi quelqu'un qui possède une clé car l'on n'est jamais à l'abri d'un
accident. L'on peut glisser sur une savonnette en prenant sa douche, ou
tomber simplement malade, même si l'on jouit d'une parfaite santé.
– Vous n'avez pas parlé de cela à l'instruction. Vous avez dit que
cette clé vous permettait d'aérer les pièces de votre bienfaitrice en
son absence.
Silence du prévenu.
– Son jardinier aurait pu s'en charger.
N'a-t-il pas une clé ?
– Il lui arrive de s'absenter. Deux
précautions valent mieux qu'une.
– Je n'en doute pas. Si j'ai bien compris, madame Hauveceau ne
s'absentait jamais plus de trois semaines. Il arrive qu'on laisse une
maison fermée plus longtemps. Cette précaution n'était pas nécessaire.
Je veux bien qu'il faille aussi relever le courrier. Est-ce que cela
justifie que vous soyez en possession de cette clé ?
– Je ne me suis jamais posé la question.
– Vous ne pourrez éviter que nous nous en posions. Êtes-vous obligé,
Maître, de jouer avec votre trousseau de clés ?
–
Excusez-moi, ça m'arrive quand on parle de clés. Heureusement que ce
n'est pas un sujet de conversation très courant. Tiens, au fait,
celle-ci, c'est celle de mon voisin.
– Où voulez-vous en venir ?
– Je l'ai toujours sur moi. Je passe chez lui, quand il s'absente plus
de deux jours, pour m'assurer que son chat ne manque de rien. Je vous
rassure : il n'est rien arrivé à mon voisin.
C'est malhonnête, mais pas dénué de sens.
Effarement du substitut quand l'avocat déclare qu'il n'a aucun témoin à
décharge, ni de moralité à faire comparaître.
Il n'est
pas question là de moralité, mais de logique. L'accusé n'avait aucun
intérêt à s'en prendre à une victime qui lui offrait des perspectives
alléchantes. Il aurait lui-même voulu voir ce que pouvait donner une
romancière qui s'improviserait dramaturge pour tirer des romans de ses
pièces. Il n'avait au demeurant aucune raison de le faire, dans la
mesure où leurs relations semblaient excellentes. Si ce n'avait pas été
le cas, il faisait confiance à l'accusation pour sauter sur ce mobile
et trouver des témoins. En gros, l'on pouvait tout de suite passer aux
conclusions. Son respecté confrère pourrait les préparer tandis que
l'on se restaurerait.
Il était effectivement midi. Le
président trouva la suggestion excellente et suspendit la séance, qui
reprenait à deux heures. Il avait laissé la défense entamer cette
manière de plaidoirie, parce qu'il avait estimé que le substitut en
avait pris à son aise. Celui-ci eût-il émis la moindre protestation, il
aurait rappelé sa complaisance à son égard. On n'a pas à instruire une
affaire au tribunal, qui n'est là que pour examiner les pièces d'un
dossier.
En expédiant un sandwich à la dinde,
l'accusation mettait au point son réquisitoire sur un coin de table,
tandis que la défense dégustait, en compagnie de son client et sous
l'œil de deux pandores qui avaient opté pour un chien chaud, de
délicieux amuse-bouche qu'elle avait fait venir d'un chinois tout
proche.
Le temps que tout le monde se mette en place, on
est prêt à entendre le réquisitoire.
– Monsieur le Président, mesdames et messieurs les jurés, il ne faut
pas oublier que si Monsieur Jérôme Arnaud se trouve à la barre des
accusés, ce n'est pas à cause de je ne sais quelle mouche qui aurait
subitement piqué quatre officiers de police judiciaire et un juge
d'instruction qui a trouvé que les charges étaient suffisantes. Mon
respectable confrère avait le droit de les juger nulle et non avenues,
et même de proclamer que le dossier était vide. C'était son avis, et je
jury n'était pas tenu de le suivre là-dessus. De quoi s'agissait-il ?
Simone Hauveceau a été trouvée à son domicile, morte dans des
circonstances pour le moins étranges, comme l'a souligné le médecin
légiste qui a examiné son corps, sans aucun antécédent ne serait-ce
qu'un peu inquiétant, comme l'ont confirmé les témoins qui se sont
succédé à la barre. Le corps a été découvert par Jérôme Arnaud, qu'elle
hébergeait dans une aile de sa demeure, et qui se trouvait en
possession d'une clé, l'on ne sait trop pourquoi. Les officiers de
police judiciaire ont vérifié que la haie qui entoure la propriété est
difficilement franchissable. Faisant preuve d'un scrupule peu commun,
ils sont allés jusqu'à pénétrer simplement par la porte d'entrée, plus
abordable, et s'abriter à l'ombre de la haie, ils sont ainsi parvenus
derrière la maison, échappant au regard de tout passant, et se sont
introduits par la fenêtre ouverte dans la chambre de la victime. Qui
est censé savoir que cette dame dormait les fenêtres ouvertes ? Ses
parents et ses amis qui n'étaient pas dans nos murs ? Les membres de la
troupe dont l'emploi du temps a été vérifié ? Les jardiniers qui
avaient rejoint leur famille pour une semaine ? Jérôme Arnaud était sur
place, et possédait la clé. Il pouvait même faire le tour de la maison
dont on ne voit que la façade de la rue, sans avoir à longer les haies,
avant de s'en prendre à la victime endormie, puis de rentrer chez lui,
de s'en aller enfin découvrir le cadavre de sa bienfaitrice après avoir
ouvert sa porte avec sa clé. Il pouvait même… Mesdames et Messieurs les
jurés… se servir de sa clé à deux reprises. Il pouvait, direz-vous, et
je ne doute pas que mon éminent confrère fera un sort à ce verbe, comme
il l'a déjà fait. Eh oui, faute de prendre les assassins sur le fait,
nous sommes amenés à nous prononcer sur de très fortes présomptions. Et
quoi qu'on ait essayé de vous faire croire, ces présomptions sont très
fortes, elles ne seront décisives que si, vous les jurés, êtes à même
de prendre vos responsabilités. J'en profite pour saluer les scrupules
de l'une d'entre vous, qui voudrait être sûre, non pas à
quatre-vingt-quinze pour cent, ni à quatre-vingt-dix-neuf, mais à cent
pour cent, que le prévenu est coupable. Si c'était vraiment possible,
il suffirait de vous remplacer par des machines. Il n'y aurait même
plus besoin de réunir un tribunal pour examiner les charges qui pèsent
sur un accusé. Celui-ci est un homme qui doit répondre de ses actes
devant une cour constitué d'hommes et de femmes, et d'un jury qui
représente le peuple. Mon honorable confrère s'est efforcé, avec la
probité que l'on connaît, de nous dérouter en se permettant quelques
saillies. Vous êtes au-dessus de ces misérables tentatives. Nous
n'allions pas vous solliciter pour jouer votre partie dans on ne sait
quelles pantalonnades. Les charges qui pèsent sur Monsieur Jérôme
Arnaud sont graves. Peut-être a-t-il cru pouvoir échapper à la justice,
en s'y prenant assez habilement pour qu'on ne puisse pas le confondre,
en employant un procédé qui ne pouvait échapper à la sagacité de nos
officiers de police judiciaire. Je m'en remets à la vôtre, Mesdames et
Messieurs les jurés.
Au moment de prononcer sa plaidoirie, Gérard
Labarre semble légèrement hésitant.
– Je partage au moins sur un point les opinions de mon illustre
adversaire… J'accorde toute ma confiance, Mesdames et Messieurs les
jurés, au discernement dont vous ne manquerez pas de faire preuve… Je
salue l'honnêteté de l'accusation qui n'a pas voulu vous influencer en
vous affirmant nettement que l'accusé est coupable… Elle s'est
contentée d'évoquer des présomptions qui ne demandent qu'à être jugées
décisives… La loi l'y autorise, qui parle de présomption légale,
établie par la loi, et qui dispense de preuves. C'est un outil
indispensable, et non un aveu de faiblesse. On ne peut contraindre un
magistrat à présenter des preuves matérielles ; cela forcerait les
enquêteurs à en fabriquer, une pratique courante sous d'autre climats.
Au moins cela contraint-il l'accusation a présenter des présomptions
sérieuses. L'accusé se trouvait à proximité, il ne le nie pas, il
disposait d'une clé, sans laquelle il n'aurait pu découvrir le corps,
l'on ne sait pas s'il a commis ce crime, il a pu le commettre. On est
presque sûr qu'il y a eu crime. Il y en a eu un si la victime n'est pas
morte de mort naturelle, vous me pardonnerez cette Lapalissade.
Progressivement la voix se fait plus nette, plus
affirmée.
– Je n'irai pas jusqu'à dire que ce n'est pas sérieux : des demandes de
révision régulièrement rejetées prouvent que l'on condamne des gens
pour moins que ça. Je ne parlerai pas de cette jeune femme qui a réussi
à saboter des caténaires en rase campagne, tandis qu'elle retirait de
l'argent à un distribue-billets à Pigalle. Dommage qu'il ne reste plus
d'enregistrement d'une telle performance. Mais je n'ai pas à me
prononcer sur une affaire jugée dans une autre juridiction, et mon
client était bien là, il ne retirait pas de l'argent à des centaines de
kilomètres. Là, où j'aurais quelques doutes à formuler, ils concernent
les pourcentages servis par mon adversaire. Il parle de
quatre-vingt-dix pour cent de possibilités, voire de quatre-vingts pour
cent, ce qui me semble plutôt exagéré. Peut-être exagérerai-je autant
que lui en parlant de quarante pour cent. Vingt-cinq pour cent me
semble une estimation raisonnable, d'autant plus qu'on n'évoque aucun
mobile. Je veux bien qu'il faille faire un exemple, encore faut-il que
ce soit un bon exemple. Heureusement pour l'enquête que mon client se
trouvait à portée. Je devine l'orientation qu'elle aurait prise sinon.
Elle serait tombée sur une piste encore plus prometteuse, et un mobile
plausible…
Stupéfaction dans la salle. Gisèle Pouacre
échange un rapide regard avec ses amies. Il a fini par comprendre, le
petit drôle…
– Vous ne pouvez pas, Maître, dit le
président, évoquer un mystérieux mobile sans autre précision, et ce
dans le seul but de semer le trouble dans l'esprit des jurés.
– Ils semblent difficiles à troubler, Monsieur le Président. Même s'ils
font preuve d'une certaine indulgence. Ils ont vu l'accusation fustiger
mes facéties, et je me suis bien gardé, moi, de rappeler qu'un
fantaisiste avait rire le Tout-Paris, en expliquant sur le ton le plus
sérieux comment transformer le crottin de cheval en peluche mauve. Non
que je veuille comparer mon honorable confrère à ce farceur. J'essayais
juste à ma manière de souligner la faiblesse des charges.
– J'entends bien maître, même si je vous invite à éviter toute
comparaison désobligeante… quoique je serais moi-même flatté que l'on
trouvât un point commun entre ma modeste personne et ce comique qui a
fait la joie de ma grand-mère. Cela dit, vous n'aurez rien fait tant
que vous ne nous aurez pas parlé de cette fameuse piste, et de ce
mobile.
Un coup d'œil sur la salle. Gisèle Pouacre
déguste la démonstration. Dommage que ses amies ne puissent se
retourner à ce moment-là.
– J'y viens, Mesdames
et Messieurs les jurés. Tous les mobiles ne sont pas passionnels ou
crapuleux. Une émotion régulièrement remâchée peut produire des effets
désastreux. Le dernier roman de la victime évoque, pour ceux qui ne
l'auraient pas lu, un jeu tout à fait imbécile. Des gamins auraient
essayé de se capturer les uns les autres avec un lasso, l'un d'eux
aurait perdu l'équilibre et failli se retrouver proprement étranglé. Le
roman décrit les affres de l'étrangleur improvisé, jusqu'à ce que
celui-ci finisse, malgré une réussite certaine, et sans que personne
puisse comprendre pourquoi, à se donner la mort. L'incident s'est passé
dans une crique ; mes parents avaient une maison au-dessus, et la
défunte en avait une un peu plus loin. Elle était plus âgée que
nous-mêmes, et vous connaissez son goût pour la marche à pied. Il y a
un chemin qui court de Saint-Jean de Luz à Bidart. Une randonneuse
aguerrie a pu surprendre la scène. Elle l'aura oublié, jusqu'au moment
où celle-ci lui est revenue alors qu'elle cherchait un bon sujet pour
un roman criminel. Vous imaginez les conséquences… Pourquoi ne me
livré-je pas ? J'attends que l'on me prouve que cette scène a
réellement existé, et que je n'en ai pas été que le témoin. Et qui me
dit que le garçon qui avait failli être étranglé n'avait pas autant de
raisons d'en être affecté que celui qui a failli l'étrangler ?
Peut-être que grâce à l'industrie des officiers de police judiciaire,
le barreau eût été privé d'un de ses plus dévoués serviteur, et le
Parlement Européen d'un sage. Nous sommes si peu de choses… Tiens, j'ai
là un exemplaire dédicacé que la supposée victime a envoyé à son
présumé assassin. Je vous la lis. Un
jour, vous comprendrez. Si c'est
aujourd'hui que mon client doit comprendre… S'il y a une chose que mon
client ne comprend pas aujourd'hui, c'est pourquoi il aurait à répondre
d'un crime qu'il n'a pas commis.
On demande à l'accusé s'il a quelque chose à dire
: il semble ému.
– C'est le plus bel hommage qu'on
pouvait rendre à notre chère amie.
– La seule chose que je sais, avait dit Gisèle Pouacre aux autres
membres du jury, c'est que cet avocat va se faire passer un savon de
première par le bâtonnier de l'Ordre.
– Un savon mérité, dit le président qui
assiste aux délibérations.
– Il n'était pas obligé d'aller aussi
loin pour que je doute de la culpabilité de Monsieur Arnaud.
Le tour de table ne donne pas des convaincus. Il n'y a plus qu'à
élargir l'accusé au bénéfice du doute, et même à lui présenter des
excuses, si le cœur en dit à la Cour.
Jérôme Arnaud
sort du tribunal complètement blanchi, et heureux. Il n'y a qu'un petit
reproche à faire aux officiers de police judiciaire, ils ont écarté une
piste entrevue. Gisèle Pouacre ne regrette même pas qu'il lui soit
interdit d'évoquer les délibérations du jury, on en devine la teneur.
Reste un petit point à régler. Et là, elle ne peuvent pas le faire
elles-mêmes.
Ni les autorités officielles, il faut croire.
Le commissaire Albert Thuil était perplexe. Cela valait-il vraiment la
peine de faire du porte à porte au-dessus de la crique, pour voir s'il
y avait des camarades, sans doute partis ailleurs, qui se
souviendraient de ce jeu imbécile ?
– Même si
c'était le cas, a gémi Madeleine Tançat, il faudrait encore pouvoir
affirmer que les principaux acteurs n'ont cessé de se passer cette
histoire dans la tête pendant des décennies. Je crois Gérard Labarre
parfaitement capable de réduire à néant le dossier que l'on réunirait
là-dessus, qu'il s'agisse de se défendre ou de défendre son frère.
Est-ce une impression ? il avait l'air de ne rien vouloir perdre de cet
instant, et ce n'est pas au substitut qu'il pensait. Et son frère n'a
jamais manifesté la moindre aversion à son encontre depuis qu'ils ont
fait leur chemin. Je vois d'ici un défilé de témoins effarés.
– Et le Boa n'est pas prêt à nous suivre sur ce terrain, confirme ce
bon d'Aunis. Je veux bien que le ridicule ne tue pas, mais il tient à
sa réputation. Deux échecs de suite dans la même affaire, c'est plus
qu'il n'en saurait supporter. J'imagine déjà les caricaturistes, une
foule de suspects, un ticket à la main, qui attendent leur tour devant
son bureau, en attendant qu'il en ait fini avec celui qu'il interroge.
Notre Jacques Zébulon a un joli coup de plume.
Ces
dames ne se laissent pas arrêter par de telles considérations. Elles
dégustent des crêpes dans une brasserie, avec Josiane Gerbille, juste
en face de la cathédrale, à côté du cabinet de Gérard Labarre.
– J'ai commencé par soupçonner le ténorino du barreau, dit Emmeline
Croin, qui parle au nom de toutes les autres.. Simone Hauveceau ne
serait pas devenue une reine du crime si elle ne savait pas ce qu'on
risque à évoquer des situations que chacun aimerait oublier. Le rappel
de certains faits qui se sont hissés à la dignité d'obsession, peut
vous donner comme des bouffées de chaleur, mais rien n'empêche qu'il ne
soit pas dénué de vertus thérapeutiques. Le personnage se donne la mort
à la place du petit crétin qui n'a pu oublier, et paie à sa place. Les
tragiques grecs cherchaient inconsciemment, jusqu'à ce qu'Aristote se
mêle de leur expliquer ce qu'ils faisaient, à produire de tels effets.
Quand ils l'ont su, c'est devenu plus poussif. Bref, rien n'empêche de
supposer que ce livre ait au contraire soulagé l'imprudent.
Apparemment, Gisèle Pouacre commençait à raisonner de la même façon que
nous. Il est en revanche quelque chose qui est pire qu'une haine
affichée, c'est un ressentiment qui n'a jamais pu s'exprimer. Louis
Labarre n'a plus été tourmenté par son frère après cet incident. Mais
il avait failli être étranglé, ce qui est pire que d'avoir à lâcher une
corde avant qu'il ne soit trop tard. Une suite de petits sévices
couronnée par une tentative d'étranglement. L'autre s'arrête. Il n'y a
plus aucune raison de lui en vouloir, et c'est pour ça qu'il ne cesse
de lui en vouloir, malgré les années qui s'écoulent, leurs carrières
distinctes. Inutile de dire que dans les joyeuses réunions il n'en
laisse rien paraître, pour la bonne raison qu'il attend le bon moment,
qu'il en jouit d'avance, que c'est nécessaire à son équilibre. Gérard
Labarre a pris plus de temps à comprendre. Rappelez-vous sa
démonstration : il n'osait penser au tour qu'aurait pris cet enquête,
si… Louis Labarre ignorait que Jérôme Arnaud passait voir son amie tous
les jours. Je vous laisse imaginer sa contrariété quand il a vu que
l'on inculpait l'acteur. Je vous laisse imaginer sa réaction quand il a
su que son frère se chargeait de la défense, sa confusion quand
celui-ci a décrit la scène originelle devant le jury. Gisèle n'en a pas
perdu une miette. Gérard Labarre n'avait pas besoin de se retourner, il
goûtait le plaisir d'étrangler de nouveau son frère, et ce, en
défendant un innocent. Pour le reste, il ne s'est pas trop posé de
questions. Son frère sait qu'il habite à côté de la victime, qu'on lira
le dernier roman de celle-ci dans l'espoir de trouver une piste, et que
la machine judiciaire se mettra en marche. Oui, je me rappelle
l'incident. Je ne croyais pas qu'il s'en ferait une montagne, et
perdrait l'esprit en le voyant publier. C'est tellement gros que cela
me semble incroyable, impossible. On peut faire confiance à un habitué
des parlements. Les agents de police judiciaire ont longuement expliqué
comment il s'y est pris. Une fois bien acquis que ce n'était pas notre
romancière la cible, mais son frère, le reste coule de source. Il a
perdu toute possibilité de prendre sa revanche. Comme tous les malades,
il va s'en prendre aux pauvres lampistes. Mais ces gens-là craignent la
presse. Vous ne pouvez pas développer ce raisonnement dans votre
journal. Vous vous retrouveriez sur la paille, et vous ne seriez pas la
seule si votre rédacteur laissait passer l'article.
– J'en ai déjà un : il est intitulé La
vie est un roman, comme le film
de Lelouch. On a eu deux pour le prix d'un pendant ce procès. Jérôme
Arnaud a bien eu raison de dire qu'on ne pouvait lui rendre un meilleur
hommage. Et le coup de la dédicace, qui prolonge encore l'effet du
roman, en ajoutant comme une résonance, c'est effectivement digne d'une
reine du crime. Que puis-je faire de plus ?
– Un
entretien. Il m'étonnerait qu'un politique refusât une interview au Centre Ouest Républicain. Vous le
conduirez comme vous voudrez. Vers la
fin, vous évoquerez nos inventions pour le moins absurdes, en affirmant
que cela ferait un admirable roman, à condition bien sûr de changer
certains détails. Laissez planer un petit silence avant d'ajouter, avec
enthousiasme, que vous êtes sûre qu'il accomplira, comme il l'a
toujours fait, sa mission pour le plus grand bonheur de tous, et que
vous éprouvez une telle fascination pour lui que vous ne laisserez
passer aucune de ses interventions. Il n'osera pas vous demander s'il
s'agit là d'un chantage. Nous vous attendrons dans l'antichambre. Vous
demanderez à sortir par la porte par laquelle vous êtes entrée. Vous ne
voudriez pas décevoir vos amies qui vous attendent. Mettez le Gul au
courant. Il saura quoi faire pour nous couvrir. Il suffit de semer des
journalistes tout autour.
– Et il va s'en sortir comme ça ?
– Il sera plus utile dans sa commission qu'à fabriquer des pantoufles
dans une maison d'arrêt. En réfléchissant il comprendra qu'il n'a pas
affaire à n'importe qui, et que la toile est ouverte à toutes les
propositions.
Une légère déception pour Josiane, mais
elle s'en est elle-même sortie comme ça dans d'autres circonstances, et
elle sait ce qu'elle doit à ces dames.
De sa fenêtre, Gérard Labarre regarde la colline
en face. Il est heureux, il ne voit plus que la cathédrale.
FIN
texte R. Biberfeld et photos JHR - 2012>
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